Six mois seulement après leur dernier effort discographique en date (le très bon Purge), les Rennais de Fange reviennent avec un nouvel album: Pourrissoir.
Purge avait consacré le quatuor breton comme le champion incontesté du genre qu'il s'était créé sur mesure; un alliage tout à fait unique de sludge, de death metal, de crust, de hardcore et de noise. On attendait donc leur troisième sortie avec impatience - bien que pas aussi rapidement - car c'est celle qui permet de savoir si le groupe choisit de garder sa recette, déjà largement au point, ou de bouleverser les codes de sa musique.
L'artwork est ici encore l’œuvre de Benjamin Moreau et se situe à coup sûr dans la continuité stricte de celui de Purge - représentant pour rappel un amas d'intestins - tant il est difficile de ne pas y voir un orifice rectal. Comme pour les précédentes sorties du groupe, Pourrissoir est disponible en téléchargement légal, sur les pages bandcamp du groupe et de son label (Throatruiner), ainsi qu'en CD et LP sur le site de Fange. Ceux qui se faisaient une joie d'encadrer le rectum sus-mentionné en 35x35 dans leur salon, à côté des sorties précédentes du groupe peuvent donc se réjouir.
Le line-up ne change pas, Benjamin Moreau étant toujours entouré des mêmes Jean-Baptiste Lévèque (noise), Matthias Jungbluth (chant, et accessoirement patron de Throatruiner) et Boris Louvet (batterie). En revanche, il est à noter que messieurs Jungbluth, Lévèque et Moreau contribuent tous trois au chant sur cet album, ce qui constitue une nouveauté.
Les trente premières secondes du premier titre, "Parmi les Ruines", suffisent à s'en convaincre : pas de changement majeur à l'horizon, Fange persiste et signe dans le style qui est le sien. Pourrissoir propose six titres, dont deux sont des interludes, pour une durée totale de 32 minutes, là où son prédécesseur en faisait 37. Il se rapproche ainsi du format EP, mais six mois seulement après un album aussi dense que Purge, qui aurait la mesquinerie de s'en plaindre? La durée des titres - interludes exceptés - est toujours conséquente, variant entre cinq et neuf minutes, laissant au groupe toute la place de développer des compositions dynamiques et changeantes. Point de titres punkoïdes très courts à l'horizon.
On peut noter - entre autres éléments remarquables - le son de guitare clair et gorgé de réverb, aussi hypnotique qu'anxiogène, qui intervient sur plusieurs titres de Pourrissoir, formant ce qui pourrait bien devenir une des signatures sonores de Fange. Il serait toutefois dommage de céder à la facilité qui consisterait à en abuser, ce qui n'est absolument pas le cas sur cet album.
"Agapes" marque par sa simplicité apparente, avec ses riffs typés death metal et ses cavalcades D-beat, à l'inverse de "Les Gémonies", que l'on retient pour sa lente progression, construite autour d'un arpège menaçant. Sa structure dynamique, qui alterne violence sonore et passages plus mesurés - on n'ose pas dire calmes... - suscite l'intérêt de l'auditeur, et rappelle par certains aspects la lourdeur du funeral doom. Enfin, comment ne pas parler de "Ressac"? Ce titre clôt l'album en apothéose en démarrant dans une explosion de death metal old school à la suédoise (riffs en béton, D-beat frénétique et solo délicieux sont de la partie), avant de ralentir pour se vautrer dans la lenteur, la dissonance et le bruit du sludge le plus cauchemardesque. Vous avez dit dans la Fange?
En revanche, les deux interludes "Ultrafrance" et "Vore", représentant tout de même cinq minutes et demie sur un temps d'écoute de 32 minutes, peinent nettement plus à convaincre. Mélange de noise rugueux et de hurlements apocalyptiques et nauséeux, ils apparaissent un peu comme la caution "démence et aliénation" de l'album.
Or, la démarche paraît superflue tant la musique du groupe suinte la folie, la mort, la saleté et la destruction par ailleurs, sans qu'il soit besoin d'en rajouter de manière aussi démonstrative.
C'est d'autant plus dommage que les sonorités indus de la boîte à rythmes utilisée à la fin d'"Ultrafrance" font dresser l'oreille de l'auditeur, et on en vient à regretter que cette piste n'ait pas été explorée plus avant dans un autre titre.
Le production de Pourrissoir, œuvre du même KKP que sur les albums précédents ainsi que de Valentin Jung, se situe dans la continuité de celle de Purge : grasse, lourde et enveloppante, tout en gardant cette agressivité dans les aigus qui interdit clairement de qualifier l'écoute de l'album d'agréable. On peut applaudir la créativité dont a fait preuve Benjamin Moreau pour introduire des nuances appréciables dans son son à base de Boss HM-2 (réverb, tremolo, nuances d'EQ, bel effet velcro sur "Les Gémonies"), ainsi que le chant à trois voix. Très loin du bête contraste chant clair/chant saturé, il permet des nuances de timbre et des superpositions qu'un seul vocaliste ne peut que difficilement reproduire en dehors du studio, ce qui est un atout pour jouer sur scène une musique aussi dense et travaillée dans sa texture.
Au final, si les quelques failles de Pourrissoir le placent légèrement en-deçà de son prédécesseur, il n'en reste pas moins un très bon album. Fange reste droit dans ses bottes - que l'on devine aisément maculées de sang et de boue - et continue de punir joyeusement les oreilles des amateurs de violence sonore, ou, pour reprendre les propres mots du groupe: "ignorant music for the educated man". Notons que selon l'aveu du label, cet album représente la fin d'un chapitre pour Fange. Espérons que le prochain, quel qu'il soit, sera tout aussi digne d'intérêt!