Candlemass
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Psalms for the Dead
Sortie prévue le 8 juin 2012 chez Napalm Records
"Emmannuelle for the Dead"
L'imposante nappe n'en finit plus de s'allonger au fur et à mesure où je la suis du regard. La texture douce du satin s'illumine par endroits, dès lors qu'elle rencontre la lueur des rares bougies de la pièce, révélant ainsi une couleur rubis, si subtile, infinie. Trop satinée pour être faite de sang, sa couleur me fait toutefois penser un bref instant à celle du liquide de vie, le mien peut-être. L'atmosphère est moite et un parfum douceâtre me prend à la gorge. Cette gorge desséchée qui se tait derrière mes lèvres ouvertes. Un léger courant d'air traverse mes cuisses, mais la chaleur de mon corps angoissé le coupe net. C'est fou ce que le sang peut bouillir dans les veines, en commençant par les pieds, avides de prendre le large avant que la conscience ne revienne à la dure réalité...toute échappatoire est vaine. Je ne sais quel jour nous sommes, ni quelle heure vient de sonner. Et dans un souffle qui se transforme en buée, je remonte des yeux le fil de ce qui commence à ressembler plus à un rideau qu'à une nappe, une longueur infinie qui me mène directement à lui...
Derrière le rebord de l'autel situé au dessus de moi, je reconnais le visage de celui qui me sourit. Un visage rond, aux traits doux, mais dont le regard me captive et m'immobilise. C'est celui de Robert Lowe. Aussi incroyable que cela puisse paraître, je le reconnaîtrais pourtant parmi mille hommes, avec ses cheveux mi-longs, ressemblant davantage à un Lord qu'à un métalleux, avec son veston au col montant et boutonné jusqu'aux paumes de la main. Sa voix est certainement l'une des plus belles de l'Histoire de Candlemass, et ses interprétations, depuis son arrivée dans le groupe en 2007 ne cessent d'émouvoir, notamment sur l'album Death Magic Doom qui était magistral. En concert, son charisme est des plus imposants et, comme un grand ténor, il arrive à adoucir les esprits les plus rebelles et donner le frisson aux plus violents, comme au Brutal Assault en 2010 par exemple. Toujours en souriant, il tend un bras par dessus l'autel, dans lequel il tient une bougie. J'appréhende ses gestes et je ne veux pas qu'il me verse de la cire brûlante sur ma poitrine se dressant vers lui. Et il n'en fait rien. Il déplace son bras lentement pour mieux me toiser dans cette obscurité et rien n'y échappe, pas même mon pubis. Il arrête la lueur de la bougie de nouveau sur mon visage et scrute mes yeux effrayés...et fiers d'avoir été ainsi témoins de cet éclairage avantageux pour ma silhouette.
Connaissant le personnage, amoureux des apparitions en grande pompe, homme sensuel et mystérieux par excellence, petit homme trapu mais certainement très vicieux, je m'attends au pire...
Sans blague, serai-je la victime de ses déboires gothiques ? Ne me suis-je pas jurée de ne jamais me laisser prendre au piège comme un furet ? Vous allez rire, mais l'histoire ne fait que commencer.
Quatre hommes encapuchonnés entrent dans la pièce et se placent côte à côte, en baissant légèrement la tête. Vous allez rire, mais j'ai pensé la même chose que vous ! Non ?! Ils font ça entre copains de tournée (sans jeux de mots). Mais mon angoisse monte de nouveau en moi comme la vapeur qui sonde jusqu'à la surface de l'eau et l'impossibilité pour moi de voir ce qui est posé là, sur l'autel au dessus de mon corps allongé et ligoté me terrifie par intermittences. Derrière Robert, des peintures représentant des anges surplombant des amas de crânes apportent à l'ambiance un côté macabre et non plus érotique. Robert jette un regard cruel aux quatre hommes muets et relève une gigantesque coupe au dessus de sa tête avant de la reposer sur l'autel devant lui. Mais que contient-elle ? Un couteau sans doute. Pardon, une dague rituelle pour les gothiques. Mais moi ça ne me fait plus rire, je veux sortir d'ici et rentrer chez moi avant de commencer à bêler comme une bimbo dans un film d'horreur. Pourquoi n'ai-je pas parlé ? Exprimé mon mécontentement et ma négation ? Pourtant je parle anglais... Je la vois déjà, acérée rien que pour moi, pour transpercer ma chair pas trop mal conservée, je sens déjà un goût métallique dans la bouche et je reconnais l'odeur que je sentais au début de mon réveil ici, comme étant celle de la mort !
Des écouteurs. Simplement de gros écouteurs étaient posés sur la coupe et maintenant Robert se place prudemment derrière ma tête pour les y poser et la musique de Candlemass résonne dans mon crâne sans attendre. Oh ! Ce groove est exaltant et martèle déjà avec une puissance exaltée par une production magistrale. Apparemment j'ai cru lire qu'ils venaient de signer chez Napalm Records. Robert crie « Prophet ! Prophet ! » et les riffs rock'n'roll prennent le relais dans un titre introductif assez vitaminé et aux multiples changements de rythme, parfois carrément jouissifs. Les solis sont nombreux et assez aériens en milieu de titre, pour enfin retomber en puissance monumentale et je réalise que mes reins viennent de retomber eux aussi sur l'autel froid sur lequel je gis. Ce qui signifie que je me cambrais déjà dès le premier morceau.
Au cas où j'avais oublié que je me trouvais dans une cave obscure, le second titre, « The sound of Dying Demons » vient me le rappeler. Après quelques coups de grosse caisse, un son rétro s'échappe de mes écouteurs et mes yeux entrouverts surprennent Robert qui ne me quitte pas du regard. Je les referme pour oublier sa présence et je m'évade dans un cimetière ridiculement effrayant, entre voix de démons ou de fantômes, je sens leur présence à travers la voix de Robert, si tremblante, si enfiévrée, avant de la porter très haut dans un registre qui est rare chez Candlemass. Une maîtrise totale de la voix pour l'un des titres les plus fantomatiques qui ne tombe jamais dans le ridicule. Surtout que les accélérations de rythme en milieu de titre viennent encore exalter la musique, qui en devient presque obsédante. Candlemass réaffirme ses emprunts à Black Sabbath et la production est juste parfaite pour faire ressortir ce son d'antan, aux origines du Metal et du Doom.
Et ce n'est rien sans comparaison avec l'un des monuments de l'album, le tarabiscoté « Dancing in the Temple (of the Mad Queen Bee) ». Un titre tiré par les cheveux qui démarre sur les chapeaux de roue rappelant très fortement par sa musicalité et le tempo le sublime, le sublimissime « The Bleeding Baroness » que l'on trouvait sur Death Magic Doom. Poussé par les orgues psychédéliques relayés au second plan mais bel et bien présents sur tout le morceau, (et en réalité sur tout l'album !) la voix de Robert racontant d'une voix cynique les exigences de cette Reine au trône fait d'abeilles. Les deux solis de guitares sont de vraies merveilles : l'un de Heavy classique, l'autre de Rock psychédélique. Et la voix de Robert est directe, percutante.
La peau est un organe vivant, ses irrégularités nous le rappellent. La mienne est transparente par endroits, si fragile dans certains creux, ne voulant pas dévoiler ses faiblesses... Robert les a toutes repérées. Il me toise de nouveau, fronce les sourcils et attend que je termine mon écoute de « Waterwitch ». Tandis que la voix introductive et sensuelle de Robert sur fond de notes de basse obscurs de Leif Edling me dresse déjà les poils, les riffs qui suivent, typiques du genre, sont d'une profondeur et d'une efficacité qui me fait entrebâiller les lèvres... Déjà mes jambes se surélèvent, mon ventre se rétracte, car c'est dedans que l'alchimie de Candlemass opère. Robert ne manque pas ce spectacle et de nouveau, un sourire fier se dessine sur ses lèvres. Oh ! Un monument du Doom mes amis... Et les deux dernières minutes ne sont que pur fantasme.
La voix de Robert est plus posée, plus humble, et, en particulier sur ce titre, extrêmement grave, inquiétante. Alors que sur Death Magic Doom il se parodiait presque par moments, ici l'interprétation ne se laisse pas trop succomber à des élans Heavy, non, les breaks sont nombreux, les trémolos contenus mais bien présents, l'émotion est une vague qui resurgit du plus profond de notre être et non exposée aux yeux de tous comme dans un vulgaire marché.
Jusque là, l'écoute me satisfait grandement et je suis déjà en train de chercher l'approbation de Robert pour la suite. « The Lights of Thebe » ne vient que confirmer cette fascination pour un groupe mythique, avec son entrée en la matière très orientalisante, rappelant un peu un Rainbow qui nous menait aux portes de Babylone, de même que le solo de guitare de Lars Johansson, extrêmement langoureux, désespéré. Mais le rythme tout en mid-temp est soutenu et groovy à souhait jusqu'à son break final décisif.
Ce break annonce l'arrivée du titre éponyme, « Psalms for the Dead », dans lequel les claviers refont surface et le tempo des riffs surréalistes redescend de nouveau d'un cran jusqu'à cette merveilleuse pulsation que l'on apprécie chez Candlemass. Les versets (psaumes?) sont longuement chantés a cappella, avec à peine des claviers en arrière plan, à la façon des Doors. Magnifiques couplets et changements de rythme jusqu'à ce riff, mais quel riff !!!! La surface de la peau, si magnifique lorsqu'elle exhale des pulsations intenses, émeut l'homme qui me domine. Le visage contracté, je ne puis réprimer un début de headbang sans éprouver de la honte, de la gêne devant ces hommes qui m'observent. Un brutal break vient me réveiller et je me replonge dans la douceur de ce titre macabre.
L'agonie s'achèvera sur « Siren Song », et en apothéose, parce que les plus simples sont souvent les meilleures!! Après une intro délirante, rappelant les fonds sous marins psyché, un riff monumental s'échappe des écouteurs !! Un riff tout simplement monstrueux !! Oh ! Quelle apothéose !! Tous les instruments envoient le pâté et mon corps se vrille littéralement de jouissance ! Mon mentor se penche sur mon corps pour mieux observer mes spasmes et se délecter de son oeuvre. Une musique qui s'exalte tellement lorsque les claviers font leur entrée en scène pour un long solo complètement improbable qui rappelle que Candlemass est le Maître incontesté du genre ! Chaque veine, chaque capillarité est maintenant gorgée de sang, et je ne peux me « refuser à elles », tout comme le scande Robert dans le titre. « Les sirènes seront empalées sur ton épée. » Et c'est ce que je suis : une Sirène éventrée.
Un album magistral, incroyablement mature dont les surprises vous tiendront en haleine, comme ce dernier opus, « Black as Time » qui démarre sur un tic-tac d'horloge ancienne et une voix bien anglaise qui commente de manière cynique que « Le temps est court. Le temps est infini. Le temps ne pardonne rien et ne soigne rien. (...) Le temps est un trou noir qui consume l'énergie, l'ambition et l'amour. (...) Il n'en a franchement rien à foutre et par dessus tout, le temps est NOIR ». Entre Heavy, Doom et passages délirants, ce titre résonne déjà dans ma tête comme un hymne, un mythe ! D'ailleurs la voix l'annonce bien haut et fort « The Master of Doom ». Le Maître se met alors à chanter dans la grotte et sa voix résonne de plus belle, j'en enlève mes écouteurs à l'aide de mon épaule. « Time is Black!! Black as the Sun !! Time is Black!! Black as Time !! » avant que les riffs ne s'évanouissent derrière le tic-tac infatigable de l'Horloge. Puis, celle-ci s'arrête...
Une façon pour Candlemass de fermer le rideau et nous faire comprendre que leur Art est inépuisable, intemporel, qu'il est Substance. Le rythme ne quitte jamais un corps en vie. La vie est cyclique, pulsation, douleur et jouissance. Ce Psalms for the Dead est tout cela à la fois.
Katarz
PS : Le groupe a d'abord annoncé que ce disque serait le dernier avant de congédier le chanteur. Candlemass ne saurait-il plus sur quel pied danser ? Pourvu toutefois que les prochains albums, s'il en est, soient à la hauteur de nos espérances...