Circle II Circle – Seasons Will Fall

Le 'cirque' des poètes disparus...

S'il y a aujourd'hui un groupe qui suscite encore la nostagie pour bon nombre de vieux hardos, c'est bien Savatage. Et pas besoin de chercher trop loin les raisons à cela : d'une part, le groupe aura marqué de son empreinte, à travers cette signature raffinée et si unique, la scène heavy mélodique à dominante progressive des 80's, et ce jusqu'au dernier opus de 2001, Poets and Madmen, qui  n'avait toutefois pas fait l'unanimité auprès des fans. D'autre part, il semblerait que la flamme depuis ait eu peine à se raviver (certains diront : déjà de son vivant, notamment depuis le décès en 1993 du guitariste Criss Oliva...), et que les survivants de cette fière épopée - que l'on parle du claviériste/chanteur Jon Oliva avec le très commercial Trans-Siberian Orchestra et son projet plus confidentiel Jon Oliva's Pain, ou bien ici de Zak Stevens (son successeur chez les 'Tage) avec le groupe Circle II Circle -, tous aient reçu en héritage un patrimoine bien trop lourd à porter et surtout à faire perdurer.

Ainsi, si ces derniers ont su enfanter en 2003 un magnifique Watching in Silence (fruit d'ailleurs d'une bien belle écriture collégiale!), cela n'aura été que pour s'essouffler peu de temps après en délivrant péniblement (Stevens faisant alors cavalier seul...) des albums foncièrement plus « bruts », à la production chaque fois plus indigne de la part de tels artistes, aux concepts thématiques peu inspirés quand on a connu la fibre de la plume d'antan (cf ce Burden of Truth de 2006, d'assez bonne facture mais surfant un peu facilement sur le succès du 'DaVinci Code'...), et surtout dont une bonne moitié des titres étaient loins d'être inoubliables, pour ne pas dire plus !
Et si un mieux peut aujourd'hui être constaté sur ce Seasons Will Fall, le sixième opus en date des Ricains qui est sorti le 25 janvier dernier chez earMusic/Edel (distribution SPV/Wagram), notamment au niveau du son qui ne souffre plus cette fois d'aucun reproche, il est clair qu'on se retrouve de nouveau face à un opus (non conceptuel cette fois, ouf?! ...) constitué pour moitié de réjouissances et pour le reste d'éléments franchement plus anecdotiques n'apportant pas beaucoup de pierres à leur édifice, mais qui apporteront en revanche de l'eau au moulin de leurs détracteurs.

 

Circle II Circle, band promo pic 2013

Bon, commencons donc par le chapitre des bonnes surprises puisque ce Seasons Will Fall est quand même loin d'en être exempt. Et au rayon de celles qui vont ravir les afficionados à qui je rendais hommage plus haut, signalons que cette fois les Circle II Circle se remettent enfin à lorgner plus souvent qu'à leur tour vers notre Savatage chéri, hallelujah! Preuve en est, cette place de choix de nouveau laissée au piano, que ce soit pour aérer des compos autrement plus directes et rentre-dedans à l'image de ce "Diamond Blade" introducteur -correct sans pour autant être transcendant- ou bien plus encore pour composer la trame des morceaux à l'image cette fois de ce magistral "Epiphany" de neuf minutes, rehaussé qui plus est de choeurs tout à fait caractéristiques (un des points fort de l'album...) et d'un solo tout en 'feeling' sur les notes longues comme on aimerait pouvoir s'en délecter plus souvent chez nos Ricains.

Les soli, puisqu'on en parle, à ce niveau pas de réelles surprises mais la confirmation du talent du  guitariste dissident Bill Hudson déjà de retour au bercail (à moins qu'il ne se fonde et se confonde dans le travail de son compère Christian Wentz, l'une des dernières recrues en date) : « chantants » comme on les aime, de haute voltige et tout simplement très bien menés, on ne saurait guère leur reprocher qu'un simple syndrôme de 'pilotage automatique' parfois, cette impression de cacher derrière un professionnalisme sans faille et pas mal d'effets de manche une petite paresse et une certaine réticence à se dépasser (excepté sur le momument qu'est donc "Epiphany" dans ce domaine!), même si le plaisir de jeu est bien là, palpable, et que l'on ressentirait même de ci de là des clins d'oeil  aux 'leads' du grand Criss Oliva de la période Streets (cf "Diamond Blade", encore elle) ...

Retour donc aux influences bienvenues et autres « retours vers le futur », avec ces ballades un brin pompeuses qui n'auraient pas dépareillé chez Savatage telles "Only Yesterday", ainsi qu'un titre éponyme magnifiquement contrasté (avec notamment sa délicate intro piano/voix), retour en fanfare également des plus prévisibles réminiscences vocales au niveau des choeurs (mais qui irait s'en plaindre?!), à l'image de ce canon sur le pont de "Dreams That Never Die" (encore un très bon titre d'ailleurs, plein de conviction), énième déclinaison de cet exercice de style depuis le "Chance" des 'Tage sur Handful of Rain...
 

Mais ces incartades somme toutes furtives (même si plus présentes que dernièrement chez les C2C) ne sauraient résumer entièrement l'album : d'une part parce qu'on ne touche jamais non plus (et c'est bien là que le bât blesse...) au génie et à la magie de l'incarnation du Savatage du temps jadis (sous la houlette de Jon Oliva), et d'autre part car Circle II Circle a su également s'en émanciper depuis (ahem... l'on sait qu'en concert le groupe se repose tout de même essentiellement sur le répertoire de Savatage, en témoigne cet happening d'anthologie au Wacken 2012 où ils avaient interprété dans son intégralité l'épique The Wake of Magellan...), de sorte qu'il s'est redéfini un style d'écriture plus actuel et qui lui est propre, à défaut d'être aussi novateur que son ancêtre. C'est ainsi qu'on associe depuis plusieurs années le groupe à un métal plus "moderne" dans ses rythmiques (cet album très axé sur les grosses grattes n'ira pas me contredire!) notamment via des riffs bien graves et gras parfois sous-accordés, des couplets très posés et en retenue (influence directe de l'école métal progressif actuelle), associés à des refrains accrocheurs, tirant même de temps à autres vers le FM !

C'est dire si l'équilibre peut vite être rompu... En outre, si l'excellent "Without A Sound" se révèle un digne successeur au non moins sublime "Revelations" sur Burden of Truth (avec ici une approche vocale qui n'est pas sans rappeler l'esprit d'un Tony Martin dans Black Sabbath ou ses projets annexes, et une harmonie vocale prévisible que l'on anticipe avant la reprise du refrain - mais cela n'empêche pas qu'on l'accueille avec le sourire aux lèvres!), si de son côté un "Killing Death" (humour à la Lemmy, ou quoi??!) nous renverrait, lui (écoutez notamment ce son clair de guitare sur les couplets...), à un Queensrÿche de bonne mémoire (RIP), ils cohabitent toutefois avec des voisins d'album déjà moins fréquentables, à l'instar de ce déroutant et assez bancal "End of Emotion", à la batterie on ne peut plus datée et dans l'ensemble très schizo dans son écriture (coécrit, de l'aveu-même de Stevens par le bassiste Mitch Stewart et ... le fils adolescent de ce dernier, ceci expliquant peut-être cela!), entre des couplets comme à l'accoutumée très solennels et même d'une certaine gravité, que vient tout à coup contrebalancer un refrain d'une extrême banalité et d'une mièvrerie rarement entendu dans du hard mélodique, dont même un Joe Lynn Turner n'aurait pas voulu, au bas mot ! ... On n'échappe pas non plus à l'écueil d'un hard mélodique mid-tempo de facture trop classique, tendant gentiment vers un 'power' digne d'un mauvais Axel Rudi Pell ne décollant jamais réellement ("Never Gonna Stop"), et donc pas à la hauteur de la classe que l'on attendrait chez d'anciens de chez 'qui-vous-savez'... Même constat sur le plus sombre "Isolation", la douceur majoritairement acoustique d'un "Sweet Despair" ou encore ce "Downshot" avec ces faux airs au Deep Purple actuel qu'on aurait mélangé à du blues/southern rock surheavy (!) : chaque fois prometteurs au premier abord, mais qui par la suite ne s'enflamment jamais comme on s'y attendrait... Il est ainsi regrettable que quelle que soit la formule choisie pour la tournure d'un titre, le groupe se contente bien souvent d'y appliquer les mêmes schémas, quitte - on ne pourra certes pas leur reprocher de ne pas être fidèles à leur nom! - à tourner un peu en rond, et de nous resservir un refrain qui va ressembler à tel autre, des couplets assez redondants, le break qui arrive toujours au moment...où l'on s'y attend (dixit Gad Elmaleh), et tutti quanti...

Et malheureusement le remarquable Zak Stevens (bien mieux mis en valeur - car moins ! - que sur les dernières sorties du combo), ne suffit pas à lui tout seul à sauver des morceaux qui pour la plupart auraient eu besoin d'une petite étincelle supplémentaire pour totalement nous embarquer de bout en bout.
On aurait ainsi aimé une écriture plus équilibrée au sein-même de chaque titre (la diversité de mise - écriture à plusieurs mains oblige - et fièrement affichée ici engendre immanquablement des morceaux à qualité variable et parfois bien patauds), quand bien même l'album en lui-même vous semblera probablement assez homogène ... mais sans trop de surprises non plus et au final un peu fastidieux sur la longueur ! 
 

Il ne faudrait pas finir sur une note trop négative, l'ensemble reste honorable et déjà bien supérieur aux deux derniers opus réunis. Mais après 10 ans de longévité, on est en droit d'en attendre plus de la part d'artistes issus de la lignée de ceux qui en leur temps pouvaient être tout autant "Poets" que "Madmen", et s'ils retrouvent en partie aujourd'hui le raffinement des premiers, il leur faudrait maintenant reconquérir la fougue et un peu de l'audace qui caractérisent le génie des fous.

Sinon, il ne restera plus qu'à brûler un cierge en implorant de nouveau : « à quand la reformation  ??! » ...
 


LeBoucherSlave

7,5/10

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NOTE DE L'AUTEUR : 7 / 10



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