On n'y croyait plus, voilà venu le temps des concerts, debout et à visage découvert. Pour la reprise des hostilités, pas de violence ni même de distorsion ce soir : la salle parisienne de l'Olympia offre une fois de plus son écrin au combo norvégien folk Wardruna, que le public venu nombreux semble enthousiaste de retrouver.
Kalandra
L’entame du set de Kalandra, formation dont les membres sont originaires de Suède et, bien sûr, de Norvège, se fait lente, éthérée, pleine d’échos. La vocaliste Katrine Stenbekk emporte l’attention de tous dès les premières notes de chant clair sur un premier titre planant qui plonge l’Olympia dans un nuage de lenteur, entourée des deux guitaristes à l’attitude solennelle – l’un des deux frottant ses cordes à l’archer. Le quatuor enchaîne ensuite avec des titres plus rythmés, mélodiques mais syncopés. Les guitaristes sont plus mobiles, la batterie et sa caisse claire prennent des teintes organiques, et les compositions sont accrocheuses et variées, portées par des arrangements subtils et une interprétation inspirée. Le son de Kalandra oscille entre la pop aérienne et la folk mystérieuse, rappelant des sonorités aussi variées que London Grammar ou Clannad.
Katrine magnétise la salle, par ses envolées vocales cristallines porteuses d’une certaine spiritualité et par sa gestuelle expressive. Elle n’a comme instrument que sa voix et une platine d’effets qu’elle utilisera avec parcimonie pour mettre en valeur la clarté de son vibrato. Au bout de 25 petites minutes, le set touche à sa fin, et le public, comme surpris, réserve des applaudissements chaleureux au groupe qui a su ouvrir la soirée en mettant en place une atmosphère fraîche, délicate et éthérée. À noter que Kalandra s’est fait connaître notamment par une reprise remarquée du titre "Helvegen" de Wardruna, et fait d’ailleurs partie du label By Norse (branche musicale d’une plateforme de promotion des arts et cultures norvégiens, fondée par by Einar Selvik et Ivar Bjørnson). La formation de ‘pop nordique alternative’, comme elle se définit elle-même, a sorti son premier album studio The Line fin 2020.
Wardruna
Disséminés dans le public, en plus des classiques t-shirts à l'effigie du groupe à l’honneur ce soir, on peut apercevoir des tenues traditionnelles, des symboles runiques dessinés sur les corps ou les visages, ainsi qu'un florilège de barbes tressées. L’Olympia a revêtu ses plus beaux atours pour recevoir Wardruna en cette reprise des concerts (presque) comme dans le monde d’avant.
Le décor est simple, des panneaux blancs découpés au fond et de part et d’autre de la scène serviront d’écran pour les innombrables jeux d’ombres et de lumières de la soirée. Le corbeau blanc, symbole de Kvitravn le dernier opus du groupe, est projeté, la fumée s’épaissit, quelques croassements (oui, oui) s’élèvent dans la fosse : le spectacle peut commencer.
L’entrée des sept musiciens se fait dans la sobriété, le maître de cérémonie Einar Selvik prenant la position centrale, entouré des deux chanteuses, Lindy Fay Hella (avec Wardruna depuis sa création) et Katrine Stenbekk (la vocaliste de Kalandra, déjà de retour). Les autres musiciens occupent la profondeur de la scène, positionnés près d’un certain nombre d’instruments traditionnels caractéristique du son des Norvégiens.
Le set s’ouvre sur deux morceaux issus du dernier opus ("Kvitravn", "Skugge"), et immédiatement le public est transporté par la puissance et l’intensité qui émane de la scène. Einar Selvik ne se contente pas de poser son chant envoûtant, il pousse des soupirs, ferme les yeux, tire la langue, ose le chant de gorge, roule les « r » et navigue entre les octaves, avec une expressivité et un talent de conteur qui tiendra la salle en haleine toute la soirée.
Le collectif, calme et serein, entre avec facilité en communion avec le public par la variété des instrumentations, mises en valeur dans le mix mais également visuellement, par le subtil jeu d’ombres magnifiant la dextérité des musiciens. Vocalement, de magnifiques harmonies s’imposent à chaque instant, portées par la dualité entre les chants masculin et féminin. La setlist met en valeur tantôt des morceaux subtils et lents où les chanteuses sont à l’honneur ("Bjarkan", "Isa", ou l’entêtant "Lyfjaberg"), tantôt des titres à l’ambiance plus martiale ou épique ("Tyr", "Grá").
La force de l’expérience Wardruna réside dans un certain effet immersif : les sonorités créées par l’utilisation du norvégien et du vieux norrois dans le chant, ainsi que le jeu de nombreux instruments traditionnels, aident à évoquer les ces cultures nordiques anciennes. Au son des violons hardanger, guimbarde, lyres, percussions traditionnelles, et autres flûtes à os, la narration délivrée – et parfois mimée – par Einar Selvik, Lindy Fay Hella et Katrine Stenbekk prend une dimension universelle, et le public peut ressentir la force des mots, à défaut de comprendre leur signification.
En toute discrétion, le multi-instrumentiste Eilif Gundersen joue un rôle de pivot sur de nombreux morceaux, aux chœurs, à la corne de bouc sur "Heimta Thurs" ou encore au lur (imposant instrument à vent en bronze), sur "UruR" et en duo avec Einar pour l’introduction solennelle de "Tyr". La force d’interprétation du groupe emporte l’adhésion sur les morceaux d’ensemble salués par le public ("Fehu", "Odal", ou l’excellent "Helvegen" joué en rappel après une ovation générale), mais autant d’intensité et de puissance se dégagent de titres plus dépouillés, sur lesquels le vocaliste projette son chant chargé d’émotions ("Voluspá").
Einar Selvik finit seul sur scène pour un dernier moment de partage avec son public. Après avoir évoqué le bonheur de retrouver les fans après deux "shitty years", le frontman, seul avec sa harpe, se lance dans "Snake Pit Poetry", qu’il a composée pour la BO de la série Vikings. Jusqu’aux derniers instants en symbiose avec le public de l’Olympia qui prend lentement le chemin de la sortie, voulant sans doute prolonger le plus possible la magie de cette soirée.
Setlist Wardruna :
Kvitravn
Skugge
Solringen
Bjarkan
Heimta Thurs
Raido
Lyfjaberg
Voluspá (Skaldic Version)
Tyr
Isa
UruR
Grá
Rotlaust tre fell
Fehu
Odal
Rappel : Helvegen
Rappel 2 : Snake Pit Poetry (Einar Selvik seul en scène)
Crédits photo : Arnaud Dionisio. Reproduction interdite.