Pas très rock Higelin ? C’est ne pas connaître la carrière de ce monument. Des albums comme Irradié, Champagne et caviar, No Man’s Land, Alertez les Bébés et on en oublie, peuvent donner des leçons de rock à pas mal de monde, comme ils ont donné pas mal de cheveux blancs à des parents qui auraient préféré voir leur progéniture écouter sagement des yéyés décérébrés, ou ce qui se fait de pire en matière de variète insipide. Le grand Jacques a toujours été un cas à part, inspiré par Brel ou Léo Ferré, taillant la route en se contrefoutant du monde qui l’entoure, lui préférant son monde à lui, empli d’émotions à fleur de peau, de tirades d’une insolence magnifique ou d’éclats de folie d’une naïveté enfantine. Bien sûr, le patriarche a désormais 72 ans et s’est quelque peu assagi, laissant à sa fille Izia la tâche de porter bien haut l’étendard du rock. Ce qui ne signifie pas pour autant que ce qu’il propose soit nécessairement devenu chiant. Il est vrai que depuis le carton de Tombé du ciel (pourtant loin d’être son meilleur titre, mais ainsi va la vie, que voulez-vous…), le chanteur a connu un net ralentissement de ses activités. Pas moins de 8 ans entre Paradis Païen (1998) et Amor Doloroso (2006), qui nous montrait un visage apaisé. Pourtant, impossible de confondre : c’était indéniablement le « fou chantant » que l’on retrouvait là.
Coup de foudre, il y a 3 ans, faisait office de retour à un Higelin plus classique, qui alternait douceur et folie. Et c’est il y a quelques jours qu’est sorti son successeur Beau Repaire. Est-ce à dire que Jacquo va nous faire partager son havre secret ? En quelque sorte, puisque c’est à nouveau un album très apaisé. Encore une fois, sur le principe, on n’a rien contre, tant que niveau musique ça suit. A ce niveau-là, l’album alterne le bon et le moins bon. Le bon, ce sont des compositions aussi douces et aériennes que « La Ballade au bord de l’eau » et « Délire d’Alarme ». Planantes et inspirées, elles nous montrent un Higelin qui a découvert de nouvelles sonorités et s’amuse à les mêler à son univers avec classe, tout en regardant de façon touchante son âge en face. Comme quoi on peut prendre de la bouteille sans que cela s'accompagne nécessairement d'une panne d'inspiration. Après un départ pareil, c’est peu de dire que les attentes sont hautes, car la perspective d'un album aussi cool que mature se profile. Malheureusement, on ne retrouvera jamais des moments pareils, la suite se contentant d’alterner entre le pas mal et le pas terrible.
Le pas mal, ce sont des compos qui sonnent comme du Higelin typique, à l’instar de « Rendez-vous en gare d’Angoulême » et sa belle mélodie, les ambiances un rien plus sombres d’"Etre là, être en vie » ou « Tu m’as manque », les chouettes paroles sur les relations de couple de « Duo d’anges heureux », où Sandrine Bonnaire, rencontrée par hasard dans un train, vient taper le guest. Aucun de ces titres ne parvient pour autant à se hisser au niveau des classiques du chanteur. Le moins bon, c’est le poussif « Hey man », sur lequel Jacquo semble fatigué, et surtout en manque de conviction. Les paroles sont terriblement banales, les thèmes ont déjà été abordés sur d’autres albums en mieux (notamment le splendide « L comme beauté » sur No Man’s Land)… Le même problème se retrouve sur « La joie de vivre », qui démarre plutôt pas mal, avant de retomber dans les abîmes de la variétoche la plus fade qui soit. C’est un petit comble pour un artiste aussi anti-conformiste, mais plusieurs de ces chansons s’avèrent bien trop sages, sans la folie ni la puissance émotionnelle qu’on appréciait tant. Pour faire court, Jacques Higelin faisait de la chanson, alors qu'ici on se rapproche dangereusement de la variète. C'est Télérama qui va être content. Bien sûr, beaucoup diront que c'est l'âge, la maturité, la sagesse... Mais encore une fois, dans ce registre, Amor Doloroso était autrement plus convaincant et démontrait qu'on peut être mature sans être plat.
Si cet album laissait le côté cinglé et sauvage de côté et nécessitait plusieurs écoutes pour dévoiler toutes sa richesse, on sentait tout de suite qu’il y avait un truc à creuser. Ce n’est pas vraiment le cas ici. Malgré de beaux arrangements cordes/cuivres et quelques passages qui nous rappellent que c’est bien le grand Jacques qui est aux commandes, Beau Repaire s’avère être un album un peu poussif, un peu facile, un peu fainéant. S’il a beau faire la pige à la plupart des clowns qui prétendent faire de la chanson aujourd’hui, les amateurs ne manqueront pas d’être un peu déçus. Un album qui, sans être une honte, laisse l’auditeur indifférent, ce qui est un comble de la part d’un tel personnage ! D’un autre côté, y a pas mort d’homme, et après nous avoir donné tant de bonheur, comment pourrait-on lui faire un procès d'intention ? De plus, il est possible qu’une partie de son public ait bien vieilli également et apprécie ce côté plus pépère, plus conventionnel. Les amateurs de variétoche gentille tiennent là leur album du printemps (vous avez remarqué qu'on a un printemps de merde ?). Pour ma part, ce manque de culot, de force émotionnelle me chagrine. Au moins, y a un bon paquet d'albums à réécouter et ce sera l’occasion pour qu’il reparte en tournée. Jacques, on t'aime !