Dès lors que l’on évoque la scène "post-quelque chose", l’excellent label allemand Pelagic n’est jamais loin. Après le superbe Unfold the God Man en 2019 et un EP en 2021, la formation belge Psychonaut présente aujourd’hui son deuxième album studio, Violate Consensus Reality.
Animés par une vision commune, Stefan De Graef (guitare, chant) et Thomas Michiels (basse, chant) se sont lancés une fois de plus dans l’entreprise ambitieuse de construire une œuvre musicale enracinée dans la spiritualité et la philosophie. Violate Consensus Reality évoque la formation d’un nouveau monde à travers l’acceptation d’une nouvelle identité humaine, partant d’un postulat subversif de rejet du consensus autour de l’idée que « l’humanité est fondamentalement mauvaise et a besoin de se protéger d’elle-même grâce à une forme de hiérarchie ». Le propos est profond, philosophique même, le concept complexe, mais les paysages musicaux dans lesquels le trio embarque l’auditeur brillent d’une cohérence et d’une force organique, viscérale.
Le trio s’exprime par des compositions plutôt longues, exaltantes, inspirantes et plutôt lumineuses, et dès les premiers titres c’est la puissance féroce qui s’impose. Le chant clair de Thomas et le cri de Stefan s’unissent pour un effet dévastateur et poignant. "A Storm Approaching", tout en groove et en intensité, est porté par des riffs incisifs, une basse impeccablement mixée et une rythmique démente. Signalons d’ailleurs le superbe jeu à la batterie, particulièrement sur les cymbales, signé du talentueux Harm Peters.
Psychonaut, c’est aussi et surtout cette construction en spirale qui apporte une densité et une certaine efficacité aux refrains et aux mélodies, mémorables et marquantes. Difficile avec les deux ou trois morceaux débutant l’album de ne pas penser à du Mastodon, notamment dans ce langage du riff si particulier, trouvant force et violence dans la nuance et la subtilité. Le single "All Your Gods Have Gone" s’ouvre par exemple sur des arpèges intenses gagnant en texture et en puissance. Des montées démentes et explosives créent un relief imparable également servi par les cris incroyablement poignants et vigoureux de Stefan. La magie des compositions repose d’ailleurs beaucoup sur l’alliance toujours juste et expressive du scream de ce dernier et du chant clair de Thomas.
Pas le temps de s’ennuyer pendant ce voyage au cœur d’une bataille entre l’individuel et le collectif. Psychonaut sait manier le chaud et le froid, en ménageant par exemple une pause dans l’attaque avec des morceaux plus posés, d’abord avec "Hope" marqué par la délicatesse d’un thème au piano et son chant clair inspiré. Pour cette subtile montée en puissance avant une redescente, les timbres clairs des deux vocalistes s’harmonisent fort bien.
Un certain suspense se crée dans l’atmosphère lente et lourde du single "Interbeing", très progressif dans sa construction. Les lignes de basse et de guitare s’abattent sur l’auditeur qui se retrouve porté par les lignes vocales incantatoires. Le contraste est flagrant avec le morceau qui suit, "A Pacifist’s Guide to Violence", judicieusement nommé d’ailleurs. Le titre le plus court de l’album est un concentré de brutalité et on est frappé par le cri d’entame redoutable et la virtuosité dont font preuve les musiciens ici.
Construit comme une vibrante invitation au voyage intérieur, le morceau-titre associe le masculin et le féminin, l’incantation et l’écorchure, représentant ces fêlures humaines. Un tiraillement évoqué par l’entame mystique et pure de Stefanie Mannaerts (Brutus) puis la montée en puissance signée Pyschonaut qui lance ses spirales de cordes et de progression vocale, avant l’explosion finale marquée par les cris déchirants du frontman d’Amenra Colin H. Van Eeckhout. Un morceau on ne peut plus marquant qui montre ce nouveau palier franchi par Psychonaut, affirmant sans difficulté son appartenance à cette scène post belge qui nous régale particulièrement depuis ces dix dernières années.
Le groupe affirme sa liberté de création et teinte d’un côté prog et même psychédélique ses compositions, avec par exemple des morceaux graves, pleins d’échos, dont le balancement rappelle des chants de marins ("Age of Separation").
C’est enfin le cas de la monumentale piste de conclusion de l’album, treize minutes d’un voyage lumineux et intense entre riffs puissants et atmosphères aériennes, que l’on traverse guidé par le chant et les cris des deux vocalistes et orné d’un solo final magistral. On ne pouvait pas imaginer meilleure fin pour Violate Consensus Reality, véritable épopée à la belge dont on ne sort pas indemne. Une belle expérience que cet opus conceptuel aussi massif que lumineux, qu’on attend désormais avec impatience de découvrir sur scène, dans l’habitat naturel du combo – peut-être pour deux dates fort attendues à Paris et Nantes, grandes oubliées du report de la tournée de The Ocean ?
Tracklist Violate Consensus Reality :
1. A Storm Approaching
2. All Your Gods Have Gone
3. Age of Separation
4. Violate Consensus Reality
5. Hope
6. Interbeing
7. A Pacifist’s Guide To Violence
8. Towards The Edge
Sortie le 28 octobre 2022 via Pelagic Records.