Quand l'excellence technique cotoie le talent mélodique: Gaia/Medea a tout d'un grand album.
En 2013, comme en 2012, la Klonosphere a su offrir son lot d’albums de qualité. Certains ont d’ailleurs particulièrement intéressé votre serviteur et c’est avec plaisir que je voyais 7 Weeks ou encore Hacride confirmer tout le bien que l’on pensait d’eux. Et pourtant, même de telles productions se sont vues occulter par une inattendue formation luxembourgeoise. Après une dizaine d’année d’existence et un premier album remarqué par les critiques locales, Scarred a décidé de marquer l’année 2013 de son sceau avec son second opus, Gaia/Medea.
Après avoir officié dans le thrash sous le nom de Requiem, Scarred a peu à peu radicaliser sa musique, si bien que c’est sous l’étiquette de « Death moderne » qu’est vendu ce Gaia/Medea. Mais comme souvent avec les groupes de talents, il est bien difficile d’apposer une étiquette à la musique de Scarred. Nous dirons simplement que les luxembourgeois proposent un death ambiancé piochant aussi bien du côté du thrash atypique de Nevermore, que du death de Gojira ou du post hardcore de Meshuggah. Si les influences sont facilement reconnaissables, c’est pourtant à un album à la personnalité affirmée que nous avons affaire.
L’artwork annonce la couleur : raffiné et sombre, l’univers de Scarred se reflète parfaitement dans cette statue antique éviscérée. Un petit riff minimaliste agrémenté de clavier et d’extraits de reportage accueillent l’auditeur pour la première tuerie de l’opus. "Gaia" illustre les principaux atouts de Scarred : riff rentre dedans, voix puissante alternant entre growl et chant hardcore, production massive et surtout une accroche quasi instantanée. Cette accroche est démontrée sur le refrain de «Gaia», entêtant à souhait et boosté par un riff jouissif, voilà de quoi déclencher de furieux headbang. La rythmique est changeante mais conserve sa cohérence et les multiples riffs savent tous faire mouche. Vindicatif et bien écrit, le texte a (comme on peut s’en douter avec un tel nom) une forte connotation écologique que fait parfaitement vivre le chant rageur de Sacha Breuer.
Difficile d’enchainer après une telle tuerie mais heureusement, la variété du répertoire de Scarred permet de captiver l’auditeur du début à la fin. Si la musique du groupe sait garder une touche atmosphérique, celle-ci ne doit en aucun cas occulter l’aspect « in your face » du combo. Que les adeptes d’un thrash furieux se jettent sur "The Great Pandemic". Ouvert par un solo inspiré et technique, « The Great Pandemic » ne se dévoile vraiment qu’avec l’arrivée d’un riff meurtrier qui saura assurément animer le pit. Véritable appel au mosh galvaniser par la fougue du chant de Sacha, on s’imagine déjà reprendre le pré refrain ( «The Great Pandemic…making panic your endemic state of mind ! »).
Le refrain intense et presque mélancolique est la cerise sur le gâteau de cette folle embardée. De même, « Mosaic » et son intro dérangeante, offre un morceau frontal avec là encore un refrain bien mémorable. Mais pourtant la violence est encore poussée un cran au-dessus sur « Low », véritable quête introspective où les growl sont impériaux et le refrain une nouvelle fois efficace avec ce riff plutôt black metal du plus bel effet. Après un très beau pont (vers 3’20), la violence atteint son paroxysme (vers 3'55) avec un blast beat ravageur soutenu par un riff schizophrène des plus prenant. « No escape in denial, just on way to survive: suffer and improve. but this one I’ll walk on my own”, débarrassé de ses demons, le narrateur peut avancer après cette étouffante épreuve.
Malgré les qualités de New Fiflth Order, Gaia/Medea le surclasse en tout point. On ne peut qu’être impressionné par l’intelligence du compositeur qui sait parfaitement user des qualités de ses musiciens. Rien n’est placé au hasard et la technique est toujours au service de l’harmonie de l’ensemble comme le montre le superbe « Empire Of Dirt », envolé thrash technique magnifié par son riff introducteur (que l’on retrouve aussi sur le refrain) montrant la dextérité de la paire Bertrand Pinna/Diogo Bastos. La noirceur de Gaia/Medea est subtile et magnifiée par des accalmies savoureuses. Le poignant « Psychogenesis » souligne cela avec son entame atmosphérique, ses riffs à la Meshuggah sur les couplets et proche d’un black atmosphérique sur le refrain. La folie en devient touchante et rarement le chant hardcore n’aura tant véhiculé d’émotion.
Si les influences sont là et que l’on songe à Gojira à un moment ou à Machine Head à un autre, celles si sont parfaitement digérées et Scarred a su se forger son propre univers. Peut-être « Idiosyncrasy » transpire un peu trop le Morbid Angel avec ce riff lourd et ce growl proche de David Vincent. La musique de Scarred a beau être complexe, les parties groovy proches de Pantera permettent de rendre plus digeste les moments les plus sombres. Ceci est flagrant sur « « Psychogenesis » où un riff presque dansant nous acceuille à la sortie d’un pur passage death (à partir de 4'02). Et bien évidemment, on retrouve ce riffing imparable sur le hit « Cinder » diffusé récemment. Comment passer sous silence ce voyage où là encore, une partie death très intense est rapidement tempérée par un riff affreusement groovy. C’est dans cette maitrise de différentes atmosphères que Scarred impressionne le plus et les multiples variations d’ambiances de « Cinder » en sont les témoins.
Le savoir-faire mélodique de Scarred s’illustre totalement sur « The Knot » avec ce refrain fédérateur, ode à l’autonomie ("We'll free ourselves with the knives"). Atilla Voros de Nevermore vient même ajouter sa patte au morceau grâce à excellent solo. La maitrise du groupe est complète et ils s’autorisent même un pavé de 10 minutes pour conclure l’album. Noir, «Medea » l’est assurément avec ce riff introducteur d’une lourdeur certaine mais là encore, l’accroche reste conservée et c’est sans once d’ennui que l’on écoute les menaces de Médée. Difficile d’extraire une trouvaille parmi d’autres dans ce vivier à riff qu’est "Medea". Celui à 3’53 par exemple, celui plus thrashy qui lui succède, ce refrain qui sonne comme une descente aux enfers, on en prend plein la gueule. La basse se fait plus morbide que jamais avant que les notes d’introduction de "Gaia" soient de nouveaux joués vers 9’04. C’est plongé dans une certaine torpeur que se termine notre écoute.
Gaia/Medea est un album abouti, sans points faibles avec des musiciens accomplis. A cette excellence intrinsèque s’ajoute des étincelles géniales, que l’observateur objectif peine à retranscrire mais que l’auditeur conquis saura apprécier.
Au final, Gaia/Medea est juste un putain d’album.