Nombreux sont les groupes qui s’y sont essayé, avec plus ou moins de réussite … l’exercice des reprises est une entreprise délicate, dont Ghost est pourtant coutumier depuis une dizaine d’années. La bande masquée a en effet déjà revisité des morceaux de groupes aussi variés que les Beatles, Metallica, Eurythmics, ABBA ou Depeche Mode. Cette dernière offrande Phantomime ne déroge pas à la règle : un éclectisme à toute épreuve, mais malgré tout une signature indéniable, la recette idéale pour un objet abouti et divertissant au possible.
Ghost n’a pas attendu d’être un groupe "bien établi" pour se permettre des incursions studio afin de reprendre des morceaux plus ou moins classiques chers à son créateur Tobias Forge. Les sorties de covers ont d’ailleurs ponctué les cycles d’albums depuis ses débuts, comme des transitions entre différentes ères. On pense bien sûr aux deux EP de reprises If You Have Ghost, sorti peu de temps après Infestissumam en 2013, et Popestar qui prolongeait l’ère Meliora en 2016.
Mais les reprises de Ghost se cachent aussi sur des bonus d’albums (les Pet Shop Boys ou Leonard Cohen sur Prequelle) ou encore pour une œuvre caritative : les bénéfices de la reprise de "Enter Sandman" de Metallica, enregistrée pour la compilation Blacklist, et jouée sur toute la tournée 2022 de Ghost, vont à une association américaine dédiée à l’accompagnement d’enfants et adolescents transgenres et non-binaires.
Le frontman nous confiait en interview avoir d’abord envisagé de faire tout un album de reprises avant d’arrêter son choix sur ces cinq morceaux, enregistrés dans la foulée du cinquième opus Impera. Au menu, donc, une sélection surprenante et alléchante, allant d’icônes de la scène prog / punk rock des années 70 (Television, The Stranglers) à des succès commerciaux des années 80-90 signés Genesis et Tina Turner, sans oublier le monument Iron Maiden, par le biais du titre "Phantom of the Opera". En filigrane, comme à chaque fois, des paroles qui font référence à la religion ou à des problématiques existentielles ou philosophiques, de façon à ce que les morceaux s’intègrent comme naturellement dans le répertoire du groupe.
Au commencement était … Genesis. Ghost, espiègle, a dévoilé le single "Jesus He Knows Me" le jour de Pâques. La version revisitée regorge de riffs bien durs et de lignes de basse bondissantes, et la touche Ghost est partout sur ce morceau entraînant, violente attaque contre les télévangélistes. L’excellente production sur la reprise – comme sur tout l’EP d’ailleurs – apporte une profondeur et un dynamisme palpables au titre qui se révèle addictif.
Autre gros succès des années 80 cette fois, le tube mid-tempo de Tina Turner, BO du troisième volet de Mad Max, "We Don’t Need Another Hero (Thunderdome)", arrangé à la sauce Ghost, révèle aussi une densité et une intensité accrues, du moins sur le refrain et la montée en puissance de la seconde partie du morceau, les couplets étant peut-être un peu plus lisses. À noter que la partie au saxophone sur l’original est remplacé habilement par un solo de guitare tout à fait caractéristique.
Comme avec facilité, des transformations s’opèrent et l’ensemble présente une fluidité appréciable. Avec des identités musicales très différentes, sous les doigts de l’inarrêtable Tobias Forge, des morceaux de Ghost apparaissent. Le combo synthés vintages / harmonies vocales / doubles guitares y est pour quelque chose, couplé au mordant dans le chant et à des montées en puissance phénoménales sur "Hanging Around" des Stranglers ou agrémenté d’un solo et de volutes psychédéliques pour accompagner les boucles de riffs dans "See No Evil" de Television. Ces deux titres ne s’y prêtaient pas a priori mais, portés par une basse exceptionnelle et des accélérations heavy, ils prennent ici une dimension très accrocheuse de type arena-rock.
Ghost va jusqu’à oser donner un coup de jeune au morceau de 43 ans "Phantom of the Opera" sorti sur l’album éponyme d’Iron Maiden. Cependant il s’agit moins d’une correction que d’un hommage sous forme d’un exercice de style, les paroles ayant d'ailleurs été réécrites du point de vue du fantôme. Le côté progressif et incroyablement entraînant de ce morceau signé Steve Harris est complètement respecté, y compris dans sa durée (7’23), mais Tobias y a ajouté des transitions dynamiques, et un mix qui lui confère un effet monumental. La colonne vertébrale de la piste réside dans sa rythmique digne d’une horloge suisse, côté batterie mais aussi sur le riffing rapide et la basse virevoltante. On ressent ce souci du détail qui bataille avec une jubilation d'amateur dans la tête – et les mains du frontman qui, en plus du chant, s’est chargé d’une bonne partie des guitares et de la basse sur tout l’EP, confiant les parties de guitare lead à Fredrik Åkesson (Opeth) et Lars Johansson (Candlemass).
Il y a vraiment peu de chose à jeter dans cet EP abouti, entraînant et terriblement accrocheur. Un bon petit Ghost de plus qui viendra s’ajouter tout naturellement dans les collections des amateurs – ou aux longues listes de griefs des haters !
Tracklist :
1. See No Evil – Television cover
2. Jesus He Knows Me – Genesis cover
3. Hanging Around – The Stranglers cover
4. Phantom of the Opera – Iron Maiden cover
5. We Don’t Need Another Hero (Thunderdome) – Tina Turner cover
Phantomime sort le 19 mai 2023 via Loma Vista Recordings.