A première vue le mec sort d’un casting pour un film sur la bio de ZZ Top. La barbe est au poil, pour les fringues on est loin du clinquant des texans. Le californien arbore une pauvre salopette en jean et une vieille casquette baseball aux couleurs délavées. En guise d’outil de travail, Billy Gibbons n’a pas de souci à se faire, sa Gretsch Billy Bo ne sera pas dépassée par les armes de Seasick Steve. Le gars s’est fabriqué une gratte avec "two hubcaps and a top" comme il l’évoque fièrement dans le titre de son nouvel album.
Seasick Steve est un bluesman, un vrai. Encore un gars ressorti de nulle part à plus de soixante piges. Ce nouvel album sort chez les princes du blues trash Fat Possum (comme le dernier Stooges). C’est un des derniers blancs à officier avec autant de "mojo". On retrouve chez lui du blues traditionnel où le Steve tire son épingle du jeu aussi bien au niveau vocal que guitaristique. On a un son crade semblant droit sorti des champs de coton. Ce sont des mecs comme lui qui ont inspirés les Jon Spencer et consorts.
Seasick Steve est plaisant à écouter. Moins trash que ses compères de chez Fat Possum Junior Kimborough Junior, T Model Ford ou RL Burnside. Il essaye d’apporter une touche de fraicheur avec un chant un poil (de barbe bien sur) moins mélancolique que les autres mais les fondamentaux sont là et la slide chauffe bien comme il faut. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir le gaillard officier avec des grattes on ne peut plus pourries avec seulement deux cordes. Amplement suffisant pour l’excellent slider qu’il est. Preuve en est faite avec "Keep On Keepin’ On".
Avec des titres comme "The Way I Do", la voix de Steve se range au coté de celle des bluesmen blancs les plus célèbres. On pense ici au phrasé de Stevie Ray Vaughan sans les prouesses techniques à la six-cordes, bien que celle-ci soit quand même bien présente et avec un son très gras. On reconnait d’ailleurs la patte du sieur Jack White qui est venu prêter main forte à Steve après avoir produit son album précédent. On finit comme un blues Led Zepelinien, c’est le coté John Paul Jones, qui lui, accompagne couramment Steve en tournée.
"Heavy Weight" est un morceau qui n’usurpe pas son titre. C’est lourd, l’ambiance est pesante, peut-être un peu trop au point de manquer cruellement d’originalité mais en tout cas on sent que le gars ne triche pas et sort ses tripes.
Steve tente aussi quelques incursions du coté de la country et de la musique redneck. Le banjo chauffe sur "Over You". Le spectre de "l’homme en noir", Johnny Cash, rode dans le coin. Avec "Purple Shadow" on est dans le registre country comme pouvait le faire le grand Jerry Lee Lewis à l’époque. Ca peut évoquer aussi des chutes de Keith Richards, stone et alone. C’est tripant. La voix féminine rajoute un petit coté Cash and Carter du plus bel effet. Les parties de slide illuminent le morceau.
On sort les cuivres sur "Coast Is Clear". Ca lorgne encore coté country avec en plus un coté épique. Le son s’éloigne du blues trash. C’est l’émotion transmise par le chant de Steve qui donne sa force au morceau. Moi je préfère quand même les blues trash.
Mention spéciale aussi à "Hope", tout petit morceau tout en retenue, qui nous présente un Steve beaucoup plus intimiste et moins bourru que son image ne le laisse penser.
A coté de cela, les récalcitrants opposeront que Seasick Steve, c’est un peu toujours pareil. C’est vrai que le gars maitrise bien son fond de commerce et n’a pas forcement envie de changer une équipe qui gagne. Avec "Freedom Road" ou "Home", les poncifs du style sont tous passés en revue. On obtient un album qui parfois frise la monotonie à travers quelques longueurs mais le son reste à la hauteur. On aurait pu espérer un peu plus de folie, que le mec nous jette sa rage de bluesman à la face.
Peut-être que depuis que les sirènes (John Paul Jones, Jack White, Luther Dickenson des Black Crowes) du succès ont frappé a sa porte en lui chipant une partie de son Mojo ? Pas certain… Le monsieur se permet quand même d’enregistrer un titre avec cinquante seconde du moteur de son tracteur en guise de fin d’album. Monsieur ne se prend pas la tête, le blues, c’est pendant la pause déjeuner, maintenant on retourne au vrai boulot à la ferme. Un vrai bouseux bien roots comme sa musique. Respect Monsieur Steve !!! A 72 ans vous assumez fort dignement votre appartenance au club des derniers bluesmen dignes de ce nom encore vivants !