Votre fidèle serviteur vous avait bassinés (c’est le moins que l’on puisse dire !) avec la venue en Europe, et plus particulièrement en notre fraîche contrée, des légendaires Toto. Nous vous avions prévenus que Saint Luke et ses Dragons viendraient effectuer une mission d’évangélisation en terre franche, au fil de pas moins de neuf dates au cours de notre orageux mois de juin. Et bien-sûr, nous n’avons pas manqué l’appel au pèlerinage : le vendredi 7 juin à Montereau (77) au cœur du festival « Les Confluences » (connu comme « le festival le moins cher d’Ile de France », fait assez noble pour être signalé), puis le jeudi 13 juin au Zénith de Paris donc !
On avait suivi intensivement, et avec émerveillement, la progression du groupe dans la préparation de son spectacle musical spécial « Anniversaire », via leur site internet et les réseaux sociaux, étayée de manière fort éloquente par moult photos qui avaient ravivé la flamme de la magie dans nos cœurs éprouvés par un bien rude hiver.
Coming for you !
Le plus illustre collectif de rock de ces dernières décennies, souffle en effet cette année ses 35 bougies ! 35 ans à œuvrer au service de la musique, à produire des albums toujours plus intéressants et actuels les uns que les autres, mais aussi à supporter en coulisses les productions discographiques d’autres artistes (parfois extrêmement illustres, comme relaté dans notre entrevue avec Steve Lukather en mars dernier) et à s’aventurer bien au-delà du spectre du rock, pour toucher à un panel de styles extraordinairement vaste (pop, funk, jazz fusion, musique de film, etc…). Car est-il, dans l’histoire de la musique contemporaine, une troupe plus prolifique que celle-ci ? Et lorsque l’on sait que ce sont en réalité les liens de l’enfance, de l’adolescence, et du sang parfois (feu le batteur Jeff Porcaro, le bassiste malade Mike Porcaro, et le génie des synthés et de la prog, Steve Porcaro, sont frères), alors on n’hésite plus à avoir recours au terme de « miracle musical » pour qualifier nos amis.
Le groupe en répétition de son spectacle
Lors de notre dernière entrevue, Steve Lukather nous avait promis un show à la hauteur, riche en surprises et foncièrement entertaining, afin de célébrer comme il se doit cette pierre angulaire dans la carrière du groupe. La première étape pour votre fidèle serviteur était à Montereau le vendredi 7 juin dernier donc (et relaté par notre collègue ici), pour une mise en bouche savoureuse au fil de deux heures de concert devant environ 20 000 spectateurs (parmi lesquels enfants, adultes, personnes âgées, personnes handicapées, sous le même ciel étoilé et pour la modique somme de 10€ ! La vraie définition d’« évènement de musique populaire »). Après un crochet par la Hollande, puis le nord de la France, retour en région Parisienne et son épicentre avec cette date à Paris.
Le collectif Toto en 2013, de gauche à droite : Simon Phillips, Nathan East, Steve Lukather, Amy Keys, Steve Porcaro, Mabvuto Carpenter, David Paich et Joseph Williams
Complet à dix sièges près, le Zénith a décidé d’opter ce soir pour une formule « sièges partout »… Souci pour le confort du spectateur, ou bien présomption d’un public d’âge trop mûr, à l’échine trop endolorie par le poids des années ? Nos Californiens débarquent quoiqu’il en soit avec « On The Run / Goodbye Elenore » et « Goin’ Home » qui soulèvent immédiatement les foules. David Paich (synthés / piano) entame « Hydra » de sa voix de basse, et le groove de folie ainsi que des choristes dansants et très en-place vocalement (Amy Keys et Mabvuto Carpenter) donnent le rythme. Les derniers réfractaires de la fosse se lèvent, et resteront levés jusqu’à la fin du concert, preuve finale que la configuration « bal musette » n’était résolument pas la meilleure idée de la soirée !
« St. George and The Dragon » impose pour de bon le constat d’une section chant (comme d’habitude, constituée des voix de tous – hormis Steve Porcaro et Simon Phillips, batterie) très au-point, et est couronnée d’un solo de guitare impeccable, dans la plus pure tradition des interjections de rêve de Luke. Ce dernier se dévoile de plus en plus comme le cœur de Toto, et entame une version d’« I’ll Be Over You » qui laissera tout le monde bouche bée, de par sa performance poignante, portée par un groupe réellement soudé. Et certainement un des plus beaux solos de Luke de la soirée. Petite nouveauté, « It’s A Feeling », écrite par Steve Porcaro, est apparemment jouée live pour la première fois ! Le show n’est pas exempt d’exclus et surprises, et l’on constate avec joie qu’il est assez différent de ce que le groupe a produit six jours plus tôt à Montereau.
Steve Lukather & Nathan East
Très tôt dans le programme, le groupe ne rechigne pas à balancer « Rosanna » qui provoque la liesse. L’hommage à Jeff est au rendez-vous (et ce, sans-faute, depuis maintenant plus de vingt ans) avec une interprétation géniale et très puissante du « Wings Of Time » de l’album Kingdom Of Desire (1992). Son chaud de guitare pour Lukather, qui improvise même un solo sur la fin, avec une virtuosité hors-du-commun et une inventivité qui propulse le groupe (si besoin il était encore d’en parler) dans une autre dimension : une oasis de maîtrise instrumentale dans un jardin de beauté et de mélodie propres à la pop. La vraie. « Falling In Between » durcit le ton, avec son ambiance psyché et heavy, et son riff central de guitare très sournois. Car si les thèmes et le refrain accrocheur sont là, c’est tout de même très prog pour du hard FM… Et c’est précisément la force de Toto : allier le mélodique et les phrasés entêtants typiquement pop / rock US FM, à la musique progressive, au hard rock et à une complexité merveilleusement intéressante musicalement.
La grosse surprise de cette tournée reste Joseph Williams (le fils du compositeur de génie John Williams – soit : Monsieur Star Wars, Indiana Jones, La Liste de Schindler, etc… ; et présent sur les albums Fahrenheit, 1986, et The Seventh One, 1988). Si le doute subsistait avant le show de Montereau, quant à la capacité du chanteur à reproduire ses performances d’antan, il est vite levé dès les toutes premières notes. Une performance impeccable, une voix fabuleuse, toujours autant en aigus et en dynamiques, et une présence captivante. S’il affiche un timbre très similaire à celui de Bobby Kimball, on est heureux de retrouver cette voix si caractéristique, et introduite à nouveau il y a quelques années sur le titre « Bottom Of Your Soul » sur la toute dernière production discographique du groupe en date, Falling In Between en 2006. Le rouquin de 52 ans a, de par son charisme, son jeu de scène, et sa grande forme physique et vocale, de quoi calmer les plus jeunes générations de chanteurs, dont les voix aigues se rapprochent bien trop souvent du cliché grotesque, tandis que Joe sonne naturel, puissant, et surtout, vaste.
Joseph Williams, magnanime
Tout comme à son concert en solo de mars dernier au Bataclan de Paris, Steve Lukather dédie une chanson à « toutes les mamans » (dont la sienne, décédée il y a plus d’un an) : « I Won’t Hold You Back » qui nous a tant fait rêver, prend ici un envol presque cinématographique et émeut à nouveau l’assistance. « Pamela », extraite de The Seventh One, voit le retour en grande pompe de Joe Williams, qui délivre à nouveau une performance fracassante. A Montereau, Luke avait confié au public que la chanson « 99 » portait sur une fille venue d’une autre planète ; ce soir, dans l’intimité du Zénith, il n’hésite pas à lever l’anathème sur cette chanson écrite par David Paich, qui a tant fait jaser, et dévoile qu’il s’agit en réalité d’un hommage à la position sexuelle préférée de ce dernier ! Guitare acoustique pour une version qui rappelle un peu Paco De Lucia, puis la chanson se termine autour d’un duo guitare / piano de toute beauté, de la part de Luke et Paich, qui voit progressivement l’introduction de Joseph pour une transition superbe vers « White Sister ». Joe murmure « do you love me ? » avant de lancer la version la plus surprenante jamais entendue de ce titre extrait de l’album IV (1982), et originellement chanté par Bobby Kimball.
« Better World », extraite de l’album Mindfields (1999), impose à nouveau l’abord très prog du groupe, avec structure alambiquée et ambiance psyché, pour un thème qui n’en demeure pas moins profondément humaniste. « Ca peut sonner un peu cliché, mais nous pouvons tous générer un monde meilleur ; nous pouvons faire la différence vous et nous, et cela commence dans cette salle » scande Luke, avec un idéalisme et une foi profondément rafraîchissantes dans un univers artistique désormais si fataliste. « Africa » continue dans cette lancée tout en couleurs, et le génial Nathan East (basse) y mettra du sien pour faire entonner au public des chants de style africain. « How Many Times », deuxième extrait de l’album Kingdom Of Desire (et premier album sur lequel Luke était l’unique chanteur), redonne la touche hard rock au show, et « Can’t Stop Lovin’ You » (The Seventh One) fera notamment rêver tout batteur dans la salle, avec le jeu impressionnant de Simon ‘tea bag’ Phillips. Ils conduiront le show vers une clôture très énergique, avant un final en apothéose sur « Hold The Line », sur lequel fleurit un superbe duo Williams / Keys (il est à noter que la chanteuse américaine s’est illustrée aux côtés de nombreuses pointures, dont notre Johnny national !) ; puis « Home Of The Brave » que David Paich dédie à la paix mondiale : « et cela commence ici et maintenant avec nous ».
Ficelé de main de maîtres, ce show spécial « 35ème Anniversaire » aura comblé toutes les attentes, et n’aura laissé aucun temps mort. Tout aura été au rendez-vous : une grande camaraderie (dont auraient sérieusement besoin de prendre exemple les plus jeunes générations de musiciens), un professionnalisme indéniable, une setlist d’enfer et un groupe béton aux membres prestigieux. Le seul ‘bémol’ que l’on pourrait éventuellement entrevoir (et c’est bien histoire de parler) est un son peut-être un poil trop fort. Steve Lukather, toujours magistral, donne la juste mesure de la maestria de son groupe : à mi-chemin entre shred & technicité d’une part, et intentions pop et grand sens mélodique d’autre part, le guitariste / chanteur sait toujours aller dans la bonne direction, et plaire au plus grand nombre et pour des raisons différentes.
Alors, que vaut Toto live en 2013 ? Cher, et ils délivrent du très lourd, toujours dans l’air du temps (avec un train d’avance sur tout le reste, même). Ils réussissent, en toute simplicité et sans prétention, le pari de renouveler leur musique, de la porter en live de manière toujours différente et intéressante, voire même de durcir un peu le ton. Un très grand groupe, à la classe difficilement égalable, et résolument pas ‘has been’ pour un sou. Sans aucun doute le meilleur concert de l’année, voire le meilleur de ces dernières années.
Liens utiles :
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Photos : © 2012 Nidhal Marzouk / Yog Photography
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