Un quart de siècle. On était déjà présents pour les dernières festivités cinq ans plus tôt, et vu l'affiche exceptionnelle prévue pour ce nouvel anniversaire, il était inconcevable que l'on ne revienne pas. Garmonbozia a vu les choses en grand, très grand pour ses 25 ans, avec d'abord la réquisition des deux salles du complexe rennais. Étage et Liberté cette fois, et enfin, avec une affiche historique, encore plus monumentale que les précédentes, déjà remarquables.
Récit du premier jour, le plus porté black metal avec l'énorme tête d'affiche.
Saturnus
Comme pour les précédents anniversaires, les festivités commencent tôt en ce jour de semaine. Trop tôt pour que l'essentiel des amateurs de metal puissent participer au premier concert, celui du groupe de death/doom Saturnus à l'Étage. C'est partiellement notre cas, et seul notre reporter photographe de l'extrême a pu assister au show pour en tirer ces photos.
Saor
La configuration choisie pour le festival étant celle de l'alternance entre les deux scènes afin de pouvoir caler un maximum de concerts, on commence de notre côté avec Saor au Liberté. Le combo écossais de metal celtique attaque son set sur des ambiances softs, avant de rapidement gagner en intensité. Sur "Carved In Stone", il s'envole déjà vers des sommets épiques très dansants, servis par la flûte d'Ella Zlotos, multi-instrumentiste également à l’œuvre sur l'intro à la cornemuse du titre. Avant de redescendre dans de nouveaux passages atmosphériques, puis repartir dans de nouvelles explosions festives - la section centrale d'"Aura" en est un parfait exemple -. Le set fait preuve d'une grande dynamique, et cerise sur le gâteau, le son est déjà très bon ! On sent l'amélioration par rapport au précédent anniversaire, où plusieurs concerts hors têtes d'affiche devaient se contenter d'un son moyen sans plus.
Un autre des moments forts réside dans le long final solaire sur "Tears Of A Nation". La mélodie apaisante orchestrée entre la guitare et la cornemuse y contraste avec la thématique du titre. Le temps de cinq titres, Saor a su nous offrir une superbe entrée en matière !
Setlist Saor :
Bròn
The Awakening
Carved in Stone
Tears of a Nation
Aura
In The Woods
Beaucoup de monde est déja remonté pour retrouver In The Woods à l'Etage. La salle, pas encore pleine, ne tardera pas à afficher complet. Question prestance scénique, le quintette se défend très bien, avec Bernt Fjellestad (qui signe possiblement ici son premier concert en France avec le groupe) en frontman qui se déplace allègrement sur l'ensemble de la scène, et des musiciens qui ne manquent pas de style. On pense à Nils Olav Drivdal (bassiste mais aussi choriste, en voix claire comme growl) qui arbore barbe et moustache très bien taillées. Anders Kobro (batterie) est aujourd'hui le seul membre d'origine de la formation.
Le combo norvégien attaque avec "Heart Of The Ages", tiré du premier album éponyme sorti il y a fort longtemps. À bientôt 30 ans, il est plus vieux que le roi lézard lui-même ! S'en suit une petite présentation de Diversum, le dernier album en date, suivi d'une naturelle interprétation de quelques uns de ses titres. D'abord l'épique "We Sinful Converge", puis le nettement plus lourd "The Coward's Way", également de bonne facture. On retrouve ce côté avant-garde/doom progressif qu'on aime, on ressent cependant le net ralentissement des compos, versant de plus en plus dans le mid-tempo lourd à mesure que le set avance. Et ce n'est pas avec "Empty Streets", de Cease The Day cette fois, que le constat s'inverse. Curieusement, c'est sur "A Wonderful Crisis", qu'In The Woods retrouve un peu d'énergie, avant le retour vers le début de carrière pour la fin du set. Et quelle fin !
Intense, progressif, puissant et lourd, le morceau fleuve "Yearning The Seeds Of A New Dimension" remet les pendules à l'heure. Si certains des plus vieux aficionados du groupe peuvent être frustrés des sorties et changements de line-up récents, cette pépite du premier album est leur remède absolu. Le titre alambiqué conserve toujours ses passages black metal bien speed, et c'est un régal. En voix douce comme dans ces passages nerveux ou torturés, Bernt est techniquement impressionnant. On reste dans cette dynamique avec l'enchaînement sur "...In The Woods" pour clore le set avec une bonne dose de scream. Avant de descendre au Liberté retrouver Enslaved, pour un set qui devait s'annoncer spécial.
Setlist In The Woods:
Heart of the Ages
We Sinful Converge (de Diversum)
The Coward's Way
Empty Streets (de Cease The Day)
A Wonderful Crisis
Yearning the Seeds of a New Dimension
...In The Woods
Enslaved
Petit couac de la soirée : alors qu'on se réjouissait de pouvoir profiter d'un set allongé pour Enslaved, avec un gros quart d'heure supplémentaire par rapport aux setlists classiques cette année, il n'en sera rien. Le concert ne commence qu'avec un bon retard de 10 minutes, hypothéquant les espoirs d'avoir un titre unique pour l'événement. Les Norvégiens finissent par investir la scène alors que résonne dans les hauts-parleurs l'ouverture d'Orange Mécanique, avant d'attaquer par les riffs de "Kingdom". Issu du dernier album en date, Heimdal, le titre évolue d'une structure assez nerveuse et classique au début vers des passages bien expérimentaux. À l'image de l'album, qui se révèle plus ambitieux dans ses arrangements et ses ambiances (moins concis également) que ne l'était Utgard, son prédécesseur. Justement, "Homebound" qui en est interprété ensuite semble rapidement beaucoup plus classique dans sa structure. Avec ce refrain épique et mélodique, on est loin du final en expérimentations du premier titre, mais on se régale avec les solos mélodiques d'Ice Dale et le chant d'Iver Sandøy.
Le son est sensiblement moins bon que pour le concert de Saor, deuxième petit couac. Le mix reste heureusement suffisamment clean pour que rien ne se retrouve noyé, les instruments comme les voix. Håkon Vinje, Grutle Kjellson et notamment Iver sont en grande forme vocale ! Ice Dale et Ivar Bjørnson carburent à la guitare, envoyant riffs sur riffs et un bon paquet de solos épiques sur "The Dead Stare", Grutle abandonnant alors sa basse pour balancer des effets sonores depuis un panneau avec quelques molettes posé sur un pupitre. Tiré de l'iconique Below The Lights (qui fêtait ses 20 ans cette année), le titre nerveux n'en est pas le seul représentant, la formation enchaînant avec le très singulier "Havenless". Ivar, Iver, Håkon et Grutle lèvent leurs bras vers le ciel en entonnant les incantations, pendant qu'Ice Dale régale en répétant inlassablement le riff incisif du titre. C'est épique ! On est contents du retour de ce morceau dans les setlists depuis l'arrivée d'Iver au sein de la formation.
Après "Heimdal", également fort original avec sa section centrale pratiquement jazzy, c'est vers une fin de set plus classique que l'on se dirige. On retrouve les riffs nerveux d'"Isa" puis le classique ultra énergique "Allfǫðr Oðinn", en clôture comme pour les 20 ans ! Et c'est fini, avec un peu d'avance sur le temps de set prévu. Pas de morceau supplémentaire, la setlist jouée ce soir est exactement la même que celle que le groupe a sorti au TyrantFest ou pour le DesertFest une semaine avant. Vu la qualité du concert on ne va certainement pas bouder notre plaisir - on est rarement déçus avec Enslaved en même temps -, mais on s'attendait à un peu plus.
Setlist Enslaved:
Kingdom
Homebound
Forest Dweller
The Dead Stare
Havenless
Heimdall
Isa
Allfǫðr Oðinn
The Great Old Ones
À l'instar d'Enslaved, les Bordelais de The Great Old Ones étaient déjà présents il y a cinq ans. Cependant, ils reviennent cette fois avec un concept radicalement différent. En effet, le groupe a préparé un ciné-concert sur le film The Call Of Chtulhu de la HPLHS (H.P. Lovecraft Historical Society) paru en 2005 (même si la technique de film donne l'impression d'un rendu beaucoup plus ancien). La plongée dans l'univers lovecraftien se fait d'une façon encore plus totale qu'auparavant, et dès le début du set, les guitares puissantes et le son lourd du groupe captivent presque autant que la projection. Celle-ci se fait sur un écran en fond de scène, les musiciens étant sagement rangés des deux côtés pour laisser l'écran un maximum visible pour le public.
On suit à l'écran le vieux professeur racontant ses prises de notes, puis diverses expéditions, dans le Bayou et en bateau, jusqu'à la rencontre avec le sus-nommé. Entre flashbacks et récit au présent, le film montre bien la santé mentale du narrateur qui finit par se dégrader, The Great Old Ones appuyant largement cette sensation avec son post-black malsain. Pour autant, le groupe n'est pas constamment dans la débauche de riffs lourds. Au contraire, il adapte largement son jeu en fonction des scènes affichées et de leur intensité. Ainsi, les grosses guitares stridentes hurlant pendant les scènes les plus violentes s'effacent pour les moments plus tranquilles. On pense à ce passage jazz lors du congrès d'archéologie, rompant avec les ambiances précédentes. Il en va de même lors des moments de calme, tamisées par de simples nappes électroniques ou de basse. Voire de simples incantations occultes, quand ce n'est pas tout simplement du silence. Globalement, le film est captivant et le groupe en propose une bande-son live qui colle très bien.
La seule ombre au tableau, et elle n'est pas des moindres, réside dans l'affluence assez énorme pour ce concert. Naturellement, une telle proposition attire beaucoup de monde, et vu la disposition de la salle tout en longueur, il est vite difficile de pouvoir être bien placé. Pour un concert, ce n'est pas fondamentalement très grave, mais lorsqu'il s'agit de lire les dialogues du film muet c'est tout de suite un autre problème. L'écran installé à mi-salle et filmant la scène fait un peu le job, mais clairement tout le monde n'a pas pu apprécier le ciné-concert dans les mêmes conditions. Et on ne parle pas de ceux qui n'ont pas pu rentrer, la jauge du festival étant taillée sur celle du Liberté (en configuration réduite, mais qui reste néanmoins beaucoup plus grand que l'Etage), empêchant mécaniquement certains retardataires d'assister à la séance.
Setlist The Great Old Ones:
Ciné-concert The Call Of Chtulhu
Emperor
La voilà la grosse tête d'affiche de ce soir, et même du festival tout entier. En cinq ans, il est indéniable que Garmonbozia a sacrément pris du galon. Pour ses festivités, le roi lézard a carrément invité les patrons du genre black metal, Emperor ! Et quelle occasion ! Le groupe, depuis dix-ans régulièrement présent lors de festivals en plein air, signe ici son premier concert en salle en 24 ans (la précédente date en salle française date de la même période, 1999). Pour une soirée, Rennes devient l'épicentre du black metal dans l'hexagone. Le backdrop renvoie aux premières sorties du groupe, et la pression monte alors que l'introduction de In The Nightside Eclipse résonne dans les enceintes. Rapidement, Samoth, Ihsahn et leurs compères, investissent la scène, saluent le public et se préparent pour un concert historique.
On se prépare à un set ouvrant par le premier album, mais alors que la tension se résoudrait naturellement dans "Into The Infinity Of Thoughts", c'est avec un titre beaucoup moins classique qu'Emperor ouvre les hostilités. "In The Wordless Chamber", tout droit venu de Prometheus: The Discipline Of Fire & Demise - dernier album en date, sorti en 2001 - est moins connu que les classiques des deux premiers albums, et se retrouve remis en avant par le groupe depuis deux ans. Ambitieux et exigeant dans ses arrangements et ses parties orchestrales, ce premier titre est l'occasion de constater le son de grande qualité, impérial comme le groupe. Les guitares de Samoth et Ihsahn alternent entre plans alambiqués et riffs techniques pendant que Secthdamon et Trym gèrent la rythmique. De son côté, Jørgen Munkeby (le maître à penser de Shining et son blackjazz a rejoint le groupe depuis 2018) assure les parties de clavier, toujours très en avant dans le mix, alors que les vocaux d'Ihsahn déchirent l'espace temps. Le combo assure, et il vaut mieux vu la richesse des compositions au programme.
Après une attaque assez inhabituelle, ce sont quatre titres d'Anthems To The Welkin At Dusk qui se présentent à nous, notamment les intenses "Thus Spake The Nightspirit" et "With Strength I Burn". Le public est à fond lors des incantations à l'esprit de la nuit. Avant de s'orienter logiquement vers les poids lourds du premier album, Emperor fait une excursion vers IX Equilibrium pour un "Curse You All Men!" toujours aussi grandiloquent. Enfin, la fin de set reprend le final d'In The Nightside Eclipse, de "Towards The Pantheon", ses arpèges remarquables et ce long hurlement d'Ihsahn jusqu'à l'épique "Inno A Satana" repris en chœur. Sans oublier l'immense "I Am The Black Wizards", un de ces titres incontournables du genre, capable de faire secouer les nuques religieusement comme de générer des circle pits ou zones de mosh !
"Opus A Satana" retentit, le groupe salue les festivaliers et se retire. S'il avait fallu en rester là le contrat aurait déjà été rempli, mais c'était sans compter sur le rappel. Avec encore pas mal de temps imparti, le public ne se montre pas rassasié et vite le groupe revient. Et alors qu'il nous en avait privé en début de set, il nous offre enfin "Into The Infinity Of Thoughts" ! Cette ouverture de rappel relance directement toute l'énergie et toute la tension du set. On savoure les envolées orchestrales et le jeu toujours aussi communicatif de Jørgen, lequel porte maintenant une épaisse capuche. Enfin, "Ye Entranceperium", la folie ambiante qui l'imprègne et ce final épique, une nouvelle fois scandé dans le public. Et c'est terminé, "The Wanderer" passe dans les enceintes pendant que le groupe se retire. Quel concert !
Setlist Emperor:
Intro In The Nightside Eclipse (sur bande)
In The Wordless Chamber
Thus Spake The Nightspirit
Ensorcelled By Khaos
The Loss And Curse Of Reverence
With Strength I Burn
Curse You All Men
Towards The Pantheon
The Majesty Of The Nightsky
I Am The Black Wizards
Inno A Satana
Opus A Satana (sur bande)
Rappel:
Into The Infinity Of Thoughts
Ye Entranceperium
The Wanderer (sur bande)
Regarde Les Hommes Tomber
S'il y a cinq ans la plus grosse tête d'affiche jouait en dernier, il n'en est rien cette fois. Jouer après Emperor n'est pas chose aisée, mais une dernière célébration funèbre attend bien les festivaliers. Et c'est un des fleurons du black metal hexagonal qui va la prodiguer, Regarde Les Hommes Tomber. Dès l'entrée dans la salle, on remarque tout de suite la scénographie à base de candélabres, cierges et autres lustres diffusant une pâle lumière. Avec les épais rideaux séparant la salle du monde extérieur et la fumée, on est plongé dans une ambiance très appropriée. Après nous avoir fait attendre un peu, un fond sonore se fait entendre, le début de "The Incandescent March". Des torches sont apportées sur scène, et des brasiers sont allumés autour de la batterie. Quelle ambiance, les concerts avec autant de pyrotechnie à l'Etage sont sûrement bien rares !
Alors qu'on aurait pu s'attendre à ce qu'une bonne partie du public soit déjà partie, la foule est très compacte pour le concert final. RLHT est apprécié, et il n'est qu'à peine minuit passé, on a encore largement le temps de se défouler ! Car derrière l'habillage de scène qui invite à la contemplation (en stimulant aussi l'odorat, une senteur de cire et d'encens ayant bien imprégné les lieux), le black lourd que distille le groupe est riche en riffs rapides. En particulier lorsqu'est entamée la section autour d'Ascension, effectivement particulièrement bien taillé pour le live. "The Renegade Son" et ses rythmiques bien envolées, "Stellar Cross" et son riff lancinant... sans oublier le dyptique "L'Ascension"/"A New Order" pour tout bien dynamiter au bout !
Avant de ranger les armes, c'est vers le premier album (qui fête ses dix ans déjà) que l'on se tourne pour terminer le set. La lourdeur des rythmiques de "VII The Fall" prend le contrepied des derniers titres plus nerveux. On retrouve un peu de cette ambiance de procession présente au début du set. Si de menus problèmes sonores sont par moments venus troubler un peu le rendu, on reste en présence d'un super set pour terminer en beauté ce premier soir d'anniversaire ! On reviendra demain bien sûr, même si l'affiche est fort différente.
Setlist Regarde Les Hommes Tomber:
The Incandescent March
The Renegade Son
The Crowning
Stellar Cross
L'Ascension
A New Order
VII The Fall
Crédit photos : Arnaud Dionisio. Toute reproduction interdite sans l'autorisation du photographe.