Guitare En Scène 2024 – J3 sans G3

À St-Julien, le festival Guitare en Scène a l'habitude de montrer chaque jour une facette différente. Après un premier jour très rock placé sous le soleil (et les marécages) du Sud, le vendredi s'est inscrit dans un registre plus american rock traditionnel, passionnant pour les amateurs de blues-rock/country-rock. Un second jour plus jeune que le premier, mais plus revival aussi. Pour la seule fois du week-end, ce troisième jour affiche complet. Au regard des groupes prévus, les mauvaises langues pourraient bien dire que la programmation s'adoucit de jour en jour. Entre Francis Cabrel, Xavier Rudd et Rodrigo Y Gabriela, on peut effectivement tenir ce type de discours, soulevant des doutes sur la capacité à captiver et maintenir le public motivé. Vérifions ce qu’il en est, tout en gardant un œil sur la situation politique.

Situation politique qui nous a d'ailleurs fourni une source de distraction bienvenue lorsque certains des sets de la veille se sont révélés un peu trop convenus à notre goût. Les derniers rebondissements en date sont succulents : un bourrage d'urne conduisant à une annulation et des députés qui préfèrent aller pioncer lors du vote pour ensuite chouiner de perdre leur "majorité". Changez rien, vous êtes des champions !

On a déjà expliqué en quoi la programmation de la scène Chapiteau peut constituer un point de doute. Il en va de même pour le concert de clôture sur la scène Village, ne sachant pas trop quoi attendre de la version de Nino Baliardo des Gipsy Kings. Sur le papier les chances sont élevées pour que l'on s'éclate - rien que le niveau technique dans ce style est plus que suffisant pour nous convaincre -, mais le doute s'installe quand on apprend que le leader et une partie de son groupe se sont déjà disputés lors des balances. Ça promet d'être rocambolesque ! Pour l'heure, le rendez-vous est donné au Village pour accueillir LeanWolf, troisième et dernier groupe du tremplin.

LeanWolf - Scène Village

Dempsey, présentateur régulier des groupes du tremplin, l’avait teasé dès jeudi : si les deux premiers groupes avaient quelques ressemblances, le dernier sort du lot. LeanWolf, de son vrai nom Quentin Aubignac, s’inscrit plus dans un registre blues teinté de soul que rock même si le musicien utilise une guitare électrique amplifiée. Si Paddang était assez près du fuzz et que les influences blues ne sont jamais très loin dans ce type de formation, l’ambiance est bien différente cette fois. LeanWolf manie sa guitare avec dextérité, habileté et finesse, son jeu est texturé. On comprend la filiation faite avec les pointures du blues électrique, Stevie Ray Vaughan et Gary Moore notamment.
On parlait de teintes soul, elles viennent par son chant. Teintée d’accents et d’intonations qui lui apportent profondeur et expressivité, la voix de LeanWolf accompagne les envolées des différentes compositions et leur donne du relief. Celui qui est pressenti pour être le renouveau du blues français a d’ailleurs convaincu en ouverture de Keziah Jones, un artiste dont les compositions ne sont pas en manque d’expressivité. Depuis ses débuts en 2021, le Montpelliérain a déjà joué auprès de références, sa place à Guitare en Scène a tout son sens. Malheureusement, le soleil est encore plus violent que sur les deux précédents jours et force LeanWolf a finir son set rapidement afin d’éviter le coup de chaud, sous les applaudissements du public compatissant. Cette fin abrégée ne l’empêche pas de remporter le prix du tremplin. Reverra-t-on LeanWolf à Guitare en Scène comme certains des précédents vainqueurs ? C’est possible.

=1

Mais avant d'aller plus loin dans les concerts de ce troisième jour, faisons un aparté. Parce qu'il y a eu un grand événement hier - vendredi 19 juillet - et parce que l'un des deux rédacteurs dépêchés sur le site de Guitare en Scène n'écrit pour La Grosse Radio qu'une fois l'an : il peut donc bien se permettre une prise d'otage. L'événement en question, qu'on a plus ou moins teasé sur le titre du premier jour, c'est la sortie du nouvel album de Deep Purple, =1 ! Un aparté pas si éloigné de l'ADN du festival puisque le groupe y a joué peu après l'arrivée de Simon McBride au poste de guitariste et qu'ils signent aujourd'hui leur première galette à ses côtés.
Pourquoi, en quelques mots, =1 pourrait devenir l'une de vos écoutes fétiches de cet été ? Déjà, parce que c'est Deep Purple. Vous ne pensiez pas que nous allions vous marteler de raisons objectives sur comment orienter votre ressenti, nous parlons de musique ! Plus sérieusement, à la question "Des musiciens aussi âgés ont-ils encore des mélodies à partager ?", la réponse se trouve dans ces 13 titres, toujours produits sous la houlette de Bob Ezrin - avec peut-être un peu plus de précipitation cette fois-ci. Quelques fillers pour un album remarquablement construit qui regorge de surprises. “A Bit On The Side”, “Old-Fangled Thing”, “Now You're Talkin'” ou l'exceptionnel morceau de clôture “Bleeding Obvious” sont autant de morceaux qui nous étonnent qu'ils continuent à construire une légende jamais tarie, qui continue d'oser la création. Quitte à y perdre des plumes ! Sur “Now You're Talkin'”, Ian Gillan tente le couplet hurlé, sans grande réussite mais avec une vive envie. Faux pas pardonné quand le tout est d'une solidité exemplaire.

Xavier Rudd - Scène Couverte

Ceci étant dit, revenons à nos pérégrinations savoyardes. Samuel et Belkacem, quand ils nous présentent le prochain artiste à venir exposer son talent sous le Chapiteau, nous donnent la fiche technique de l'artiste australien par excellence. Guitariste, surfeur, militant écologiste et beau gosse. Le rock australien, quand il n'est pas Midnight Oil - autre souvenir mémorable à Guitare en Scène -, propose deux voies à sélectionner : la première proposition énoncée ou la copie plus (Rose Tattoo) ou moins (Airbourne) réussie d'AC/DC. Xavier Rudd, quand il débarque seul sur scène, fait retenir quelques respirations. C'est vrai qu'il est bel homme le bougre, armé d'un sourire qui, si jamais il ne nous convainc pas musicalement, a de quoi vendre de nombreux dentifrices.

La guitare est douce, la voix est suave. Il en fait tourner des têtes autour d'un feu de camp, c'est certain. Tantôt folk, tantôt rock, un tantinet soul avec le chill du reggae, Xavier Rudd nous évoque John Butler, Wille and the Bandits, Jack Johnson, Ben Harper en solo, sans réellement s'en détacher d'ailleurs. Les compositions ne peinent pas à emporter mais peinent à se retenir, la faute à un répertoire assez passe-partout. Il ne reste qu'à admirer la technique de ce multi-instrumentiste qui déploie ses multiples talents devant nous. On retient particulièrement cette batterie sur laquelle sont juchés deux didgeridoos permettant un passage où la rythmique embrasse les basses soufflées/inspirées. Comme le bonbon de fin d'après-midi qu'il est, le concert se savoure. Comme le bonbon musical qu'il est, il se réduit à mesure qu'on l'apprécie, et a disparu à la fin.

Rodrigo Y Gabriela - Scène Couverte

Rodrigo y Gabriela nous emportent vers des couleurs immédiatement moins calmes. Pourtant en duo sur scène, ils semblent accompagnés d'un groupe plus nombreux. Les quelques bandes utilisées aident mais surtout la façon qu'a Gabriela de fesser sa guitare électro-acoustique pour marquer les temps. Flamenco, folk, empreints d'un doigté qui lorgne vers la guitare manouche : le duo amorce à sa façon le dernier concert de la soirée, Gipsy Baliardo. Pour l'heure, on se délecte des rythmes de Gabriela, des solos de Rodrigo, deux musiciens habités qui nous font vibrer au gré du folklore mexicain. Ce serait oublier que lorsque nous ne sommes pas dans le jazz - nous parlerons de Marcus Miller demain - les sets purement instrumentaux peuvent avoir tendance à lasser. On se souvient de Joe Satriani en 2018, qui une fois l’effet “wahou” opéré a laissé de côté les non-techniciens. Rodrigo y Gabriela ont de surcroît des tournures répétitives qui vont avec leur genre et leur jeu de scène minimaliste ne joue pas forcément en leur faveur. On ne boude cependant pas notre plaisir, miroir du leur. Le set aurait été forcément plus apprécié sur la scène Village.

Francis Cabrel - Scène Couverte

Il y a vraiment beaucoup de monde pour accueillir le poète d'Astaffort. Forcément, c’est la star de la journée et probablement même du festival. Devant une foule compacte et qui s’étend loin, Francis commence le set seul sur scène sur “Presque Rien”, en acoustique guitare/voix. Dès ce premier titre la foule est en liesse, à partir de “Encre de Tes Yeux” c’en est même au point où on entend presque plus le public que Francis lui-même. “De très bons choristes”, dira Cabrel après "C'est Écrit". Si les deux premiers titres le voient jouer en configuration solo, ses acolytes de longue date - des décennies de pratique ensemble - arrivent progressivement pour former un groupe très cohérent. D'abord Freddy Koella à la guitare (aussi occasionnellement au violon), grand guitariste qui a joué auprès de beaucoup d’artistes assez méconnus - Bob Dylan, Eddy Mitchell, Dick Annegarn entre autres - et Alexandre Léauthaud à l’accordéon et au piano. Plus tard, ce sont le bassiste Nicolas Fiszman et le batteur Denis Benarrosh qui se joignent à l’ensemble. La montée en puissance du set est prête.

La carrière de Francis Cabrel s’étalant sur une longue période, il a eu à traverser la fameuse période maudite (pour les uns, les autres lui trouvant plein d’avantages) des années 80. Avec elle son lot d’effets, de réverbération et d’ajouts en tout genre qui rendent certains titres de cet époque plutôt datés lorsqu’on les écoute en studio. Comme la setlist s’étend du premier (Les Murs de Poussière) au dernier (À l’Aube Revenant) album, il y a dans le lot des titres qui se retrouvent bien retravaillés pour coller aux arrangements des albums actuels de Cabrel. On est loin du “Encore Et Encore” de Photos de Voyage.

"J'aurais voulu te ressembler", un des titres du dernier album À l’Aube Revenant, est une chanson que Francis joue pour son père, mort trop jeune à tout juste 56 ans. Il s’est sacrifié en partant travailler tous les jours pour que ses enfants puissent avoir une belle vie, et Francis s’estime très chanceux. À l’heure où on parle de partage et de réduction du temps de travail pour mieux profiter de la vie pendant que les pyromanes ne rêvent que de ne jamais nous voir à la retraite, ce genre de texte rappelle que travailler (trop) tue. On a tendance à l’oublier devant la poésie des textes et le nombre élevé de chansons d’amour mais à l'image de sa discographie, le set propose également des titres engagés : "Assis Sur Le Rebord Du Monde", "Des Hommes Pareils" (sur lequel Freddy assure un poignant solo de violon) ou encore l'immense "La Corrida", qui termine le set après dix-huit titres. Des textes humanistes, qui louent l’égalité entre les peuples, au moment où nous apprenons que les athlètes féminines portant le hijab sont exclues des compétitions. Vite, que nos représentants honteux révisent leur Cabrel !

La troupe s'éclipse, Francis revient pour le rappel. Initialement seul, il commence à entonner "Petite Marie", rapidement accompagné par Alexandre pour un duo accordéon/voix touchant. Le public chante à l’unisson, on en arrive au stade où même les (nombreux) gens assis dans l’herbe devant l’écran de la scène Village entendent plus les choristes de la fosse et des gradins que Francis lui-même. Pour terminer ce concert, deux derniers titres fort à propos : le mélodique et lancinant "Samedi Soir Sur La Terre" et "La Dame de Haute-Savoie". Comme on pouvait s’y attendre, ce dernier trouve un bel écho dans le public, qui devrait trouver avec Gipsy Baliardo une motivation suffisante pour rester encore et encore.

Gipsy Baliardo - Scène Village

Pour cette édition où des formations ne sont pas uniquement représentantes de leurs provenances mais témoins d'une certaine histoire, cette troisième journée ne cesse de jouer avec les folklores. Après l'Australie côtière de Xavier Rudd, le flamenco mexicain de Rodrigo y Gabriela et l'accent méridional de Francis Cabrel qui expose les maux des petites gens, place à Nino Baliardo et la musique gitane. Avec lui, c'est toute une culture qui souffle sa singularité sur Guitare en Scène : là où la scène Village s'est vue foulée par des duos pour ses derniers concerts (The Inspector Cluzo, Ko Ko Mo), ce ne sont pas moins de huit musiciens qui se tiennent devant l'audience. Parmi eux, cinq guitaristes ! Le festival a rarement aussi bien porté son nom.

Cette culture gitane que peu connaissent mais que beaucoup jugent a pourtant traversé l'imaginaire collectif par la musique que le groupe met en avant ce soir. Nino Baliardo n'est autre que l'un des cofondateurs des mythiques Gipsy Kings, ce qui peut d'ailleurs créer quelques inquiétudes. Chico et les Gypsies d'un côté, Nino Baliardo de l'autre, ou encore le groupe originel encore porté par Tonino Baliardo et Nicolas Reyes, c'est à s'y perdre, notamment quand chacun revendique la paternité des morceaux. L'attitude du chanteur prête aussi à confusion. Le regard qui peut paraître tant concentré que perdu interroge sur la future interprétation des célèbres titres, à l'instar d'une démarche qui semble absente lorsqu'il n'a rien à chanter. Les doutes sont rapidement dissipés. Quand résonne le refrain de Bamboleo en ouverture - ils la rejouent vers la fin du set -, peu importe qui est qui : Nino a la voix que l'on connaît et cela nous suffit, la magie opère.

À l'instar de Nile Rodgers & Chic le lendemain, la position pour Gipsy Baliardo de dernière prestation de la journée lui donne le rôle parfait : il ne s'agit plus d'observer ce qui se passe sur scène mais de transformer le parterre du festival en dance-floor. Entre ceux qui se rapprochent et les autres qui s'espacent pour pouvoir entamer leur pas, la fête bat son plein. Il ne faudrait cependant pas ignorer ce qui se passe sur les planches : avec leur chassé précis et leurs techniques issues des formations de jazz manouche, c'est le mur de six cordes qui donne le la pendant qu'un cinquième guitariste, d'un instrument tout de blanc nacré, donne la réponse à la voix de Nino en jouant des courtes lignes mélodiques qui agrémentent les morceaux. Jobi Joba arrive et le karaoké festif reprend ; avec ces tubes intemporels, difficile de ne pas conquérir son audience. Finalement, si nous hésitions à l'affirmer de nouveau au vu des horizons variés que la journée a proposé, le constat revient : les meilleurs concerts de Guitare en Scène sont toujours ceux de la scène Village.

Photos : Luc Naville/Caroline Moureaux/Alexandre Coesnon
Toute reproduction interdite sans l'autorisation du photographe

Textes : LeanWolf + Francis Cabrel : Félix Darricau

Intro + aparté =1 + Xavier Rudd + Rodrigo Y Gabriela + Gipsy Baliardo : Thierry de Pinsun



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