À St-Julien, le festival Guitare en Scène a l'habitude de montrer chaque jour une facette différente. Après un premier jour très rock placé sous le soleil (et les marécages) du Sud, le vendredi s'est inscrit dans un registre plus american rock traditionnel, passionnant pour les amateurs de blues-rock/country-rock. Un second jour plus jeune que le premier, mais plus revival aussi. Pour la seule fois du week-end, ce troisième jour affiche complet. Au regard des groupes prévus, les mauvaises langues pourraient bien dire que la programmation s'adoucit de jour en jour. Entre Francis Cabrel, Xavier Rudd et Rodrigo Y Gabriela, on peut effectivement tenir ce type de discours, soulevant des doutes sur la capacité à captiver et maintenir le public motivé. Vérifions ce qu’il en est, tout en gardant un œil sur la situation politique.
Situation politique qui nous a d'ailleurs fourni une source de distraction bienvenue lorsque certains des sets de la veille se sont révélés un peu trop convenus à notre goût. Les derniers rebondissements en date sont succulents : un bourrage d'urne conduisant à une annulation et des députés qui préfèrent aller pioncer lors du vote pour ensuite chouiner de perdre leur "majorité". Changez rien, vous êtes des champions !
LeanWolf - Scène Village
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Xavier Rudd - Scène Couverte
La guitare est douce, la voix est suave. Il en fait tourner des têtes autour d'un feu de camp, c'est certain. Tantôt folk, tantôt rock, un tantinet soul avec le chill du reggae, Xavier Rudd nous évoque John Butler, Wille and the Bandits, Jack Johnson, Ben Harper en solo, sans réellement s'en détacher d'ailleurs. Les compositions ne peinent pas à emporter mais peinent à se retenir, la faute à un répertoire assez passe-partout. Il ne reste qu'à admirer la technique de ce multi-instrumentiste qui déploie ses multiples talents devant nous. On retient particulièrement cette batterie sur laquelle sont juchés deux didgeridoos permettant un passage où la rythmique embrasse les basses soufflées/inspirées. Comme le bonbon de fin d'après-midi qu'il est, le concert se savoure. Comme le bonbon musical qu'il est, il se réduit à mesure qu'on l'apprécie, et a disparu à la fin.
Rodrigo Y Gabriela - Scène Couverte
Francis Cabrel - Scène Couverte
Il y a vraiment beaucoup de monde pour accueillir le poète d'Astaffort. Forcément, c’est la star de la journée et probablement même du festival. Devant une foule compacte et qui s’étend loin, Francis commence le set seul sur scène sur “Presque Rien”, en acoustique guitare/voix. Dès ce premier titre la foule est en liesse, à partir de “Encre de Tes Yeux” c’en est même au point où on entend presque plus le public que Francis lui-même. “De très bons choristes”, dira Cabrel après "C'est Écrit". Si les deux premiers titres le voient jouer en configuration solo, ses acolytes de longue date - des décennies de pratique ensemble - arrivent progressivement pour former un groupe très cohérent. D'abord Freddy Koella à la guitare (aussi occasionnellement au violon), grand guitariste qui a joué auprès de beaucoup d’artistes assez méconnus - Bob Dylan, Eddy Mitchell, Dick Annegarn entre autres - et Alexandre Léauthaud à l’accordéon et au piano. Plus tard, ce sont le bassiste Nicolas Fiszman et le batteur Denis Benarrosh qui se joignent à l’ensemble. La montée en puissance du set est prête.
La carrière de Francis Cabrel s’étalant sur une longue période, il a eu à traverser la fameuse période maudite (pour les uns, les autres lui trouvant plein d’avantages) des années 80. Avec elle son lot d’effets, de réverbération et d’ajouts en tout genre qui rendent certains titres de cet époque plutôt datés lorsqu’on les écoute en studio. Comme la setlist s’étend du premier (Les Murs de Poussière) au dernier (À l’Aube Revenant) album, il y a dans le lot des titres qui se retrouvent bien retravaillés pour coller aux arrangements des albums actuels de Cabrel. On est loin du “Encore Et Encore” de Photos de Voyage.
"J'aurais voulu te ressembler", un des titres du dernier album À l’Aube Revenant, est une chanson que Francis joue pour son père, mort trop jeune à tout juste 56 ans. Il s’est sacrifié en partant travailler tous les jours pour que ses enfants puissent avoir une belle vie, et Francis s’estime très chanceux. À l’heure où on parle de partage et de réduction du temps de travail pour mieux profiter de la vie pendant que les pyromanes ne rêvent que de ne jamais nous voir à la retraite, ce genre de texte rappelle que travailler (trop) tue. On a tendance à l’oublier devant la poésie des textes et le nombre élevé de chansons d’amour mais à l'image de sa discographie, le set propose également des titres engagés : "Assis Sur Le Rebord Du Monde", "Des Hommes Pareils" (sur lequel Freddy assure un poignant solo de violon) ou encore l'immense "La Corrida", qui termine le set après dix-huit titres. Des textes humanistes, qui louent l’égalité entre les peuples, au moment où nous apprenons que les athlètes féminines portant le hijab sont exclues des compétitions. Vite, que nos représentants honteux révisent leur Cabrel !
La troupe s'éclipse, Francis revient pour le rappel. Initialement seul, il commence à entonner "Petite Marie", rapidement accompagné par Alexandre pour un duo accordéon/voix touchant. Le public chante à l’unisson, on en arrive au stade où même les (nombreux) gens assis dans l’herbe devant l’écran de la scène Village entendent plus les choristes de la fosse et des gradins que Francis lui-même. Pour terminer ce concert, deux derniers titres fort à propos : le mélodique et lancinant "Samedi Soir Sur La Terre" et "La Dame de Haute-Savoie". Comme on pouvait s’y attendre, ce dernier trouve un bel écho dans le public, qui devrait trouver avec Gipsy Baliardo une motivation suffisante pour rester encore et encore.
Gipsy Baliardo - Scène Village
Cette culture gitane que peu connaissent mais que beaucoup jugent a pourtant traversé l'imaginaire collectif par la musique que le groupe met en avant ce soir. Nino Baliardo n'est autre que l'un des cofondateurs des mythiques Gipsy Kings, ce qui peut d'ailleurs créer quelques inquiétudes. Chico et les Gypsies d'un côté, Nino Baliardo de l'autre, ou encore le groupe originel encore porté par Tonino Baliardo et Nicolas Reyes, c'est à s'y perdre, notamment quand chacun revendique la paternité des morceaux. L'attitude du chanteur prête aussi à confusion. Le regard qui peut paraître tant concentré que perdu interroge sur la future interprétation des célèbres titres, à l'instar d'une démarche qui semble absente lorsqu'il n'a rien à chanter. Les doutes sont rapidement dissipés. Quand résonne le refrain de Bamboleo en ouverture - ils la rejouent vers la fin du set -, peu importe qui est qui : Nino a la voix que l'on connaît et cela nous suffit, la magie opère.
À l'instar de Nile Rodgers & Chic le lendemain, la position pour Gipsy Baliardo de dernière prestation de la journée lui donne le rôle parfait : il ne s'agit plus d'observer ce qui se passe sur scène mais de transformer le parterre du festival en dance-floor. Entre ceux qui se rapprochent et les autres qui s'espacent pour pouvoir entamer leur pas, la fête bat son plein. Il ne faudrait cependant pas ignorer ce qui se passe sur les planches : avec leur chassé précis et leurs techniques issues des formations de jazz manouche, c'est le mur de six cordes qui donne le la pendant qu'un cinquième guitariste, d'un instrument tout de blanc nacré, donne la réponse à la voix de Nino en jouant des courtes lignes mélodiques qui agrémentent les morceaux. Jobi Joba arrive et le karaoké festif reprend ; avec ces tubes intemporels, difficile de ne pas conquérir son audience. Finalement, si nous hésitions à l'affirmer de nouveau au vu des horizons variés que la journée a proposé, le constat revient : les meilleurs concerts de Guitare en Scène sont toujours ceux de la scène Village.
Photos : Luc Naville/Caroline Moureaux/Alexandre Coesnon
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Textes : LeanWolf + Francis Cabrel : Félix Darricau
Intro + aparté =1 + Xavier Rudd + Rodrigo Y Gabriela + Gipsy Baliardo : Thierry de Pinsun