Arka’n Asrafokor enfonce le clou de son folk thrash avec Dzikkuh

Le groupe togolais nous avait impressionnés lors de son passage au Motocultor en 2023. Il revient avec un second album qui met encore mieux en valeur son metal hybride.

Arka'n Asrafokor a beau rester – pour l'instant – un groupe de niche, il gagne peu à peu une petite notoriété. Deux paramètres peuvent l'expliquer. D'abord, des prestations scéniques endiablées, qui convainquent même les profanes. Ensuite une musique à nulle autre pareille, qui hybride des éléments jusque-là peu entendus ensemble. L’hybridation est peut-être d’ailleurs l’une des seules solutions pour se démarquer dans un genre extrêmement fourni à l'heure actuelle.

Et en la matière, le quintette, créé en 2010, fait très fort. Ce nouvel album, Dzikkuh, reprend la formule du premier, Zã Keli, paru en 2019 : un thrash metal énervé, bien mis en avant par les guitares (Rocka Ahavi) et la basse (Francis Amevo), qui oscille selon les passages entre du thrash à l'ancienne et un son se rapprochant plus du groove, et des sonorités traditionnelles togolaises. Auxquelles s'ajoutent aussi des influences d’autres sous-genres de metal, parfois quelques réminiscences de death, parfois des sonorités plus mélodiques.

Factuellement, c'est donc du folk metal, même si la dominante thrash ne rend pas forcément cette appellation instinctive. Mais au fond, qu'importe l'étiquette du flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse ?

Et de l'ivresse, le groupe est capable d'en donner. Ou en tous cas, d’étourdir sévèrement. Les rythmiques souvent échevelées (notamment sur les premiers singles révélés) satisferaient beaucoup d’amateurs d’agressivité et de moshpits enragés. « Not Getting in Line » est un très bon exemple de cette agressivité pas très subtile mais assez jouissive – et le pré-refrain « I’m not getting in line » n’est pas sans rappeler, dans l’esprit, un certain « Fuck you I won’t do what you tell me »… On pourrait regretter que certaines parties de batterie (Richard Siko) virent au bourrinage sans subtilité, mais cela n’en rend pas moins les morceaux efficaces – et surtout, le groupe sait aussi faire preuve de plus de modulations.

Le chant (Rock et Enrico Ahavi) fait preuve d’une variété impressionnante, passant d’un son saturé, comme une sorte de growl un peu éraillé, à des parties en chant clair, en passant par des parties scandées voire rappées, et des parties de chant traditionnel togolais particulièrement mises en avant, que ce soit dans le chant lead ou les chœurs très présents (y compris très ponctuellement un chant féminin comme sur l’introduction de « Mamade »). Aspect traditionnel renforcé par diverses percussions (Mass Aholou) très bien valorisées, et de façon épisodique quelques motifs de guitare. Mais les passages plus saccadés évoquent aussi le metal fusion voire le neo-metal des années 2000.

Les parties thrash et traditionnelles dialoguent très bien ensemble au sein des morceaux. C’est particulièrement audible sur « Walk with us », mais en vérité, cela fonctionne sur tous les morceaux. Cependant, comme sur le premier album, Arka’n Asrafokor ne se contente pas d’une formule répétée à l’envi qui mélangerait de façon très efficace, tour à tour agressive et dansante, ces deux sonorités opposées.

Certains morceaux sortent un peu de ce chemin tracé, à commencer par « Mamade », qui commence de façon beaucoup plus douce et folk et nous plonge pleinement dans les traditions africaines avant de révéler son potentiel agressif. Le quintette s’amuse aussi à faire des références au sein même de son rappel, le refrain d’ « Asrafo » rappelant ainsi celui de « Walk with us », tout en réussissant à en faire autre chose, alors que les ingrédients restent sensiblement les mêmes.

L’intro de « Final Tournament » plonge également dans un univers très traditionnel africain avant de repartir sur une hybridation de thrash et de neo-metal et des parties vocales particulièrement saturées sur le pont. Enfin, le dernier morceau, « The Calling », prouve que le quintette africain ne se contente pas de dupliquer une excellente formule, mais qu’il cherche encore à innover. Ce long morceau de presque sept minutes coupe complètement avec ses racines thrash, s’aventure presque du côté d’un rock alternatif musclé, avec des couplets qui ont quelque chose de la ballade metal assez poignante.

En deux albums, Arka’n Asrafokor nous a plus que conquis – et la reconnaissance qu’il construit l’a même conduit à obtenir une petite place à l’exposition Diavolus In Musica de la Philarmonie de Paris. Cet album marque une pierre supplémentaire dans la construction de ce son si unique, tout en montrant que les Togolais ne veulent pas se faire enfermer dans une case mais cherchent toujours à repousser leurs limites. Ces guerriers (la signification de « Asrafo » dans leur langue natale), hérauts de la Terre Mère (un concept brûlant d’actualité au vu des urgences, notamment écologiques, actuelles), ont su en deux albums seulement développer une identité sonore incroyablement distinctive. Dzikkuh est très certainement l’album de l’été 2024, et l’impatience est grande à l’idée de l’entendre en live.

Dzikkuh d'Arka'n Asrafokor sort ce 19 juillet 2024 via Reigning Phoenix Music et Atomic Fire Records.
Tracklist : 

The Truth 4:41
Not Getting in Line 4:35
Walk With Us 4:02
Angry God Of Earth 3:36
Mamade 5:26
Asrafo 4:18
Final Tournament 4:24
Still Believe 4:01
Home 3:38
The Calling 6:53

Arka'n Asrafokor - Dzikkuh

Photos : Mehdi Benker / Mouad El Ykb

NOTE DE L'AUTEUR : 9 / 10



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