Ce n'est une nouvelle pour personne, musicalement, on se fait quand même un peu chier. L'impression que tout a été plus ou moins déjà été dit ou fait, que tous les mélanges, même les plus improbables, ont déjà été tentés. Et même si on a encore de (très) belles sorties ici et là, il n'y a plus le même enthousiasme, plus la même folie qui pouvait s'emparer des foules quand des courants stylistiques encore récents écrivaient les plus belles pages de leur histoire. Alors forcément, on attend toujours beaucoup des projets qui semblent un tant soit peu décalés, qui préfèrent essayer, quitte à être rejetés si ça ne plaît pas. Mais est-il encore possible d'être étonné après s'être tapé tous les types de fusion possibles et imaginables ? Ca arrive encore un peu. Comme avec les Scarecrow, qui ont décidé de faire du blues / hip-hop. Au point où on en est, pourquoi pas ? Et puis si ça se trouve c'est bien ?
Une basse/batterie, un chanteur/guitariste et un MC/DJ, voilà pour le line-up. Une alliance contre-nature ? Du tout, si on se fie à l'historique des deux courants, qui sont issus d'une volonté des défavorisés de se réapproprier un moyen d'expression, une voix propre. Reste qu'on n'a pas souvent entendu ça. Sur ce deuxième enregistrement, Scarecrow tente de mettre sur disque son énergie scénique. Les mecs tournent comme des bourrins, à ce niveau-là pas de soucis. Mais convertir l'énergie d'une prestation en un bon enregistrement est une toute autre paire de manches et bon nombre de formations s'y sont cassé les dents.
De prime abord, Scarecrow semble prendre les choses par le bon bout en balançant le single "All now" d'entrée de jeu, soit un de ses meilleurs titres. Le groupe, qui s'inspire du blues très roots de la nouvelle orléans bien plus que de B.B. King, Buddy Guy et consorts, montre sa science des arrangements en réussissant à tenir l'auditeur en haleine sur un seul riff joué en boucle, mais entrecoupé d'une multitude d'interventions qui parviennent à faire vivre le morceau. Et l'intervention d'un passage rappé passe comme une lettre à la poste ! Assurément, la plus belle réussite de l'album.
Le groupe ne s'y trompe pas : il est plus convaincant en restant sur sa base blues sur laquelle le hip-hop vient se poser délicatement. Les morceaux à l'instrumentation foncièrement hip-hop sont plus rares, mais pas désagréables pour autant ("bmf"). Mais c'est en toute bonne logique quand les musiciens parviennent à un bon équilibre entre ces deux tendances que leur musique s'avère être la plus intéressante. A ce titre, "My lowd", qui alterne parfaitement les deux, fait figure de parfait contrepoint à "All now".
Il est en revanche un peu dommage, surtout quand Scarecrow montre d'aussi bonnes dispositions, que le groupe se limite à des parties instrumentales aussi épurées. Pourquoi ne pas profiter davantage des possibilités de la guitare ou même des samples ? Du coup, pas mal de morceaux lents s'avèrent un peu rébarbatifs, malgré un bon flow hip-hop, et les quelques montées en puissance n'ont pas toutà fait l'impact escompté. Ben oui, si les paroles sont primordiales en rap, beaucoup oublient un peu vite l'importance des instrus derrière. Et à ce niveau, Scarecrow se repose un peu trop souvent sur des riffs minimalistes, d'où une deuxième partie d'album un peu soporifique.
Ce qui est vraiment dommage, c'est qu'on sent un vrai feeling derrière. Clairement, les mecs cherchent à vivre leur truc au maximum. Le vrai problème sur ce Devil and Crossroads, c'est que le groupe s'est construit lors de ses concerts, durant lesquels ses compositions prennent certainement une autre tournure. Mais être un bon groupe de scène ne signifie pas qu'on réussisse à transposer cette énergie sur album. C'est exactement le cas ici. Avant de parvenir à convaincre sur disque, Scarecrow va devoir se retrousser les manches et trouver un moyen d'emballer ses compositions au lieu de se reposer un peu trop régulièrement sur des riffs et des arrangements trop simplistes pour véritablement passionner. C'est un écueil sur lequel beaucoup de groupes ont échoué. Mais la sympathie naturelle qu'on éprouve pour le projet et les quelques belles réussites qui parsèment l'album nous laissent espérer que ce ne sera pas le cas ici.
N.B. : Le groupe sera àl'affiche de nombreux festivals ici et là (ils seront même au Sziget !), et vous pourrez constater par vous-mêmes que leur musique est bien plus prenante en live. Pour jeter un oeil à leur agenda concerts, c'est par ici