A la lecture des déclarations tonitruantes de quelque gloire passée à l'égo surdimensionné, mais aussi de tensions récurrentes entre musiciens et média, il apparaît de plus en plus évident que pour un (petit) nombre de groupes ou d'artistes, les chroniqueurs (et principalement ceux qui officient sur le web) sont devenues des proies faciles, des cibles à abattre pour peu que les articles ne prennent pas exactement la tournure souhaitée.
Mais qui peut bien avoir l'outrecuidance de "juger" la création d'autrui ? Dans quel but ? Avec quelle légitimité ? Qui est apte à le faire ?
A force de ressasser ce genre de questions, il fallait bien un jour que je prenne la plume, non pour régler des comptes avec les "puissants" qui font jouer leurs relations pour faire taire les voix discordantes (ceux-là ne méritent que mépris et indifférence) mais plutôt pour poser les choses à plat, ouvrir le débat et tenter de dissiper certains malentendus.
Et pour commencer sur des bases saines, autant passer un bon coup de balai devant sa porte. Oui certains chroniqueurs semblent se complaire dans la critique systématique, le cassage en règle, engoncés qu'ils sont dans le confort et l'impunité que leur confère l'anonymat. Oui, devant leur écran et leur clavier, certains extériorisent parfois des rancœurs liées à leur vie personnelle, des frustrations de musicien à la carrière pas forcément épanouie, d'autres étalent leurs inimitiés avec quelques noms du milieu. Oui la maîtrise de la langue française est parfois douteuse et le propos un peu creux et gratuit.
Seulement, des centaines d'heures passées à lire des articles, à discuter avec des collègues (que ce soit en concert, lors de journée promo ou via des réseaux sociaux) ou simplement à réfléchir sur la place du chroniqueur dans le paysage musical, m'incitent fortement à penser que tout cela ne concerne qu'une infime minorité.
Pour le reste, la grande majorité de ceux qui écrivent sur le web le font par passion. Passion de la musique d'abord, le désir de soutenir des groupes ou des associations (ceux qui font vivre la musique au quotidien partout en France et dans le monde), de faire partager des coups de cœur (et quelquefois des coups de gueule)
Passion de l'écriture, souvent, du média en tant que tel aussi car c'est une aventure exaltante que de faire se développer un site le plus souvent créé par une ou deux personnes sur un coup de tête.
Inutile de passer cette autre motivation qu'est l'obtention d'accréditation gratuite pour des concerts ou bien la réception de cd promo (enfin, de plus en plus souvent de liens MP3 pour télécharger avec la conscience tranquille). Ceci est parfois un moteur, mais souvent l'unique récompense d'heures de labeur pas forcément visibles mais Ô combien indispensables.
Mais qui est-il ce "bas du front" qui, tapi dans l'ombre de son minable logis s'extasie sur une daube ou descend une merveille (et parfois le contraire, on n'est jamais à l'abri d'une subite attaque de bon goût) ?
Plombier, maçon, commercial, chômeur, instit' ou informaticien c'est souvent un mec (ou une fille) normal qui donne (énormément) de son temps libre pour écouter, analyser, ressentir la musique et retranscrire cela dans des articles qu'il prendra ensuite soin de mettre en ligne. Ce temps, cette énergie et, j'ose le croire, cette intégrité pour fournir un travail de qualité mérite le respect.
Que le chroniqueur soit également à ses heures perdues un musicien amateur en fait-il de facto un raté, un aigri comme se complaisent à le rabâcher certains musiciens ? Je ne crois pas ! D'abord, parce qu'il est tout à fait possible de faire de la musique sans avoir pour but ultime de devenir professionnel. Musicien, c'est un métier à part entière, qui comme les autres possède ses bons et ses mauvais côtés qu'il faut savoir accepter. Tel n'est pas le souhait de tout le monde et il faudrait être d'une rare prétention pour penser qu'on fait partie d'un minuscule cercle, d'une élite que l'humanité regarde en se prosternant et en étant rongé par la jalousie !
Quand le musicien excédé par une mauvaise critique s'emporte et lâche l'argument massue (aussitôt repris par des hordes de fans transis prenant pour vérité absolue toute parole de l'idole) "Vas-y fais-en autant" il montre juste ses propres limites, prouvant qu'il n'a RIEN compris à ce qu'est l'art et l'exercice d'un métier publique. Car en disant cela, n'exprime-t-il pas implicitement qu'il ne s'adresse qu'à ses paires (la fameuse "musique pour musiciens" qu'on appelle aussi branlette intellectuelle). Diffuser une œuvre publiquement, c'est la soumettre au jugement (au sens "appréciation") de tout ceux qu'elle va atteindre. Et sauf à étaler publiquement une idéologie totalitaire, chacun à bien le droit de penser ce qu'il veut…
Tous les avis sont exprimables dès lors qu'ils sont argumentés et contextualisés. Si le chroniqueur attaque bille en tête en clamant sa passion pour le death metal, le voir descendre du glam n'étonnera pas et cet avis vaudra pour ce qu'il est, celui d'un gars a priori pas fan et qui n'a pas changé d'opinion. Respectable et compréhensible puisque la grille de lecture a été clairement identifiée. Idem si le chroniqueur étale des comparaisons, des références bien choisies, on sentira dans son propos une vraie analyse qui montrera un effort de jugement qui lui permettront d'argumenter valablement sur les raisons qui le poussent à aimer ou pas un album.
Là où le bât blesse, c'est lorsque le journaliste se lance dans une analyse technique qui le dépasse (je ne me vois pas, par exemple, regretter l'usage quasiment inexistant sur un opus du mode phrygien). Seulement a contrario, il n'est nul besoin d'avoir de quelconques connaissances techniques pour exprimer un ressenti sur une œuvre, et heureusement !
Un exemple récent a enflammé le web sous le fallacieux prétexte qu'un disque sur lequel joue des musiciens techniquement irréprochables ne pouvait souffrir la moindre critique, surtout émanant de personnes totalement dépourvues de diplôme de conservatoire ! GROTESQUE !
Et limite stupide ! Admettre cet argument, c'est affirmer que seuls les techniciens peuvent juger (autant dire qu'un garçon comme Steve Vai n'aura plus jamais d'articles sur le web). Mais surtout, c'est aussi dire que tous ceux qui écrivent du bien clament n'importe quoi, puisqu'ils ne sont pas aptes non plus à apprécier la performance. On ne peut pas exiger de hautes compétences techniques pour la critique et prendre les compliments d'ignares pour paroles divines. Un peu de cohérence que diable !
Plus généralement, un musicien qui tente de faire la promo de son travail se doit d'admettre a priori qu'il ne plaira pas à tout le monde (ce qui est valable pour le public l'est aussi pour les webzines et la presse). Une chronique négative (si elle est tournée de manière respectueuse) ne veut pas dire "Vous êtes des moins que rien, allez-vous jeter dans la Marne". Elle dit juste "Je n'ai pas aimé ce disque pour telles et telles raisons" ! Rien de plus, rien de moins !
Bien sûr, cela fait mal car les artistes mettent beaucoup d'eux-mêmes dans leurs compos. Mais que vaudrait une couronne de louanges si tous les cd y avaient droit ? Et ceux qui partent en guerre contre les vils chroniqueurs pensent-ils vraiment qu'il est agréable de descendre une galette (ok parfois, ça fait du bien quand certains abusent) ? Pour écrire, il faut avoir écouté plusieurs fois (et moins on aime, plus l'inspiration est difficile à trouver) et cela devient vite une corvée désagréable lorsque la musique ne plait pas.
Une chronique négative n'a jamais ruiné à elle seule la carrière d'une formation, pas plus qu'un article dithyrambique ne suffit pour faire d'un album, l'œuvre du siècle ! Un peu de pondération et de mesure ne peuvent pas faire du mal. Prendre un peu de recul, relativiser la portée des mots de chacun seraient peut-être un bon point de départ.
Photo n°3 : © 2013 Nidhal Marzouk / Yog Photography
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