Motocultor 2024, J1 – Bières bretonnes, files d’attente et rock’n’roll

Jeudi 15 août 2024, Carhaix

Cette journée de retrouvailles avec le festival breton a tout d’une grande : un joyeux mélange des genres, avec des formations rock et metal, jeunes ou moins jeunes, un site agréable, et une météo marquée par quelques averses qui n’entament en rien la motivation des festivaliers, déjà très nombreux sur le site.

Parmi les nouveautés sur le site du Motocultor cette année, citons la nouvelle disposition des scènes, avec la Dave Mustage et la Supositor Stage côte à côte, l’inauguration d’une tribune VIP avec vue imprenable sur la Dave, et un nouvel emplacement pour l’espace restauration, désormais situé derrière ces deux grandes scènes extérieures, plutôt isolé (un peu trop d’ailleurs). Le site de Kerampuilh est toujours aussi agréable, avec un second camping et une autre entrée du côté du château, et tous les bars du festival proposent un choix varié de bières locales vraiment intéressantes. Toutes les conditions sont réunies pour un bon accueil des festivaliers, oui mais voilà … que serait le Motoc sans ses désormais traditionnels problèmes d’organisation ? Ce jeudi ne déroge pas à la règle, de la signalisation hasardeuse des accès aux parkings, aux files d’attente interminables pour la pose des bracelets, y compris du côté vip/presse où nous patientons une petite heure. Un peu dommage, compte-tenu du fait que cette année, aucun retard majeur n’est à déplorer du côté des concerts. Tout juste pourra-t-on s'attrister - mais difficile de blâmer le festival - de l'annulation en dernière minute des mythiques Magma, la faute à des problèmes de santé du leader. Espérons les revoir prochainement.

Nos concerts du jeudi 15 août :

Uada 

Supositor Stage, 16h20

Avec cinq petites minutes de retard - plutôt bienvenues pour tous les festivaliers encore bloqués dans les longues files d’attente pour la pose des bracelets - le quatuor encapuchonné Uada arrive pour inaugurer la Supositor Stage du Motocultor avec son black metal mélodique made in Portland, Oregon. Autour du guitariste / chanteur Jake Superchi, seul membre encore présent depuis les débuts du groupe il y a une dizaine d’années, le nouveau line-up semble parfaitement à son aise et très énergique, et ce malgré les capuches couvrant entièrement les visages. Le son est plutôt bien mixé et fait bien ressortir les lignes de guitares, le groove de la basse et les variations bien menées dans le chant du frontman.

 Uada présente aujourd’hui une setlist efficace et condensée composée de longs morceaux choisis de ses trois premiers albums, en laissant complètement de côté le plus récent, Crepuscule Natura, sorti en 2023. Des passages mélodiques laissent place à des outros martiales (“Djiin”), des riffs hypnotiques s’envolent avant le blast tempétueux (“Cult of a Dying Sun”). Un groove irrésistible marque certains titres comme le très bon “Black Autumn, White Spring”, au tempo redoutable et aux lignes de basse bondissantes, qui finit par mettre en action les premiers slams et pogos de la journée, au sein d’une fosse bien remplie. Une excellente entrée en matière !

Setlist Uada :

Snakes & Vultures
Djinn
Cult of a Dying Sun
Black Autumn, White Spring

Grandma’s Ashes 

Massey Ferguscène16h20

Les Françaises des Grandma's Ashes ouvrent la Massey Ferguscène, l’une des scènes couvertes du Motocultor. Il y a un peu de monde quand le trio entre en scène, sur une scène simplement revêtue d'un backdrop à ses couleurs. Il débute avec « Spring Harvest », issu du premier album complet This Too Shall Pass. Le morceau, aérien et entêtant, entre facilement en tête, mais le public connaît manifestement assez peu, puisque personne ne reprend les paroles. Il semble cependant très intéressé par le stoner de Grandma's Ashes, plutôt léger sur le premier morceau.

"Salut le Motocultor, on est super contentes d'être là !" s'exclame la bassiste et chanteuse Eva Hägen, qui le répétera plusieurs fois. Le groupe enchaîne ensuite avec « Daddy Issues », un titre beaucoup plus lourd et clairement plus orienté stoner. Comme sur disque, les Grandma's Ashes mêlent admirablement un son lourd, très stoner, avec un peu de fuzz et des envolées très atmosphériques. La voix de la chanteuse est extrêmement envoûtante, bien soutenue par les chœurs des deux autres musiciennes, Myriam El Moumni à la guitare et Edith Séguir à la batterie.

L'ensemble est très prenant, les sonorités un peu lourdes sans être pesantes, à la lisière du rock et du metal. Le son est souvent assez massif, mais certains titres sont plutôt enlevés. Quelques-uns offrent une atmosphère presque pop et dansante (comme « Sufferer ») ou laissent entrapercevoir une forte influence prog. Les musiciennes semblent impulser une ambiance un peu différente à certains de leurs morceaux, comme « Cassandra » qui sonne un peu plus groovy. Il faut dire qu’elles tournent intensément depuis plusieurs années et ont donc probablement eu envie de faire évoluer leur set. Les lumières, souvent dans les bleus et les violets, appuient le côté onirique et planant de la musique.

La guitariste et la bassiste se déplacent un peu sur la scène pour se retrouver devant le public ou jouer l'une face à l'autre. Eva Hägen se retrouvera même presqu'au sol, jambe tendue, penchée sur sa basse, tandis que la guitariste finira le concert sur l’un des flight cases placés dans le pit photo pour faire une sorte d'avant-scène.

 Sur les morceaux les plus lourds, les premiers rangs headbanguent. Le public semble découvrir mais apprécier, et applaudit énormément entre les morceaux. Après presque trois-quarts d’heure, le set se conclut sur « Aside », entre groove et agressivité, et les musiciennes se retirent sous les acclamations, après avoir retourné leurs instruments pour laisser apparaître le slogan « No abusers on stage ». Difficile de mieux conclure.

Setlist Grandma's Ashes : 

Spring Harvest
Daddy Issues
Borderlands
Sufferer
Cold Sun
Cold Touch
Cassandra
Aside

Moundrag 

Massey Ferguscène, 18h15

À l’instar de celui de l’édition 2023, ce premier jour du Motocultor cru 2024 est placé sous le signe du rock. Un an après Komodor, c’est cette fois Moundrag que l’on a le plaisir de retrouver sur la Massey Ferguscène. Les membres des deux formations sont amis et partenaires au sein du supergroupe de classic rock qui a bien fait parler de lui depuis la sortie de Green Fields Of Armorica en octobre dernier : Komodrag & The Mounodor. Goudzou est d’ailleurs à la technique sur ce concert des frangins Colin et Camille, respectivement Dr. Mad Drums et Organ Fury. Mais là où la formule des deux groupes susmentionnés verse allègrement dans le classic rock pur jus, parfois au point de singer un peu trop les références des 70’s, Moundrag s’inscrit dans un registre nettement plus psychédélique.

Accords d’orgue et lente montée en puissance à base de percussions sur gong, le duo nous envoie en transe dès l’introduction : “The Rider”. Malheureusement, la double pédale d’Havok sur la Supositor voisine se fait bien entendre sur cette intro qui se veut planante. Conséquence du déplacement de l’axe des scènes extérieures, dorénavant calées en opposition aux scènes couvertes, mais aussi et surtout du choix très discutable d’avoir tant rapproché les Supositor et Massey, alors qu’elles jouent sur le même créneau. Et on aura l’occasion de revenir sur ce désagrément. Heureusement lorsque les titres partent, Moundrag finit par couvrir le son de la Supo.

Sans guitares ni basse, le duo réussit sans mal à mettre une ambiance endiablée. Il faut dire que chacun assure un sans faute sur son instrument. L’orgue de Camille nous envoie vers des terres tantôt gospel, tantôt psyché/prog (Uriah Heep n’est souvent pas loin), tandis que Colin régale avec son jeu de baguettes précis et truffé de subtilités. Parties que le batteur se permet même de jouer debout pour plusieurs titres. Il y a de quoi rendre plus d’un musicien jaloux. Ajoutons à tout ça un paquet de solos ou encore la complicité évidente et transpirante du duo, et on a la recette d’un groupe à suivre, si ce n’est pas déjà le cas !

Ça tombe bien, au détour d’une setlist centrée sur les premiers EP (Moundrag) et album Hic Sunt Moundrages, Moundrag propose deux nouveaux titres issus du prochain album : l’impressionnant “Changes” avec sa rythmique imparable et “The Caveman”, superbe final où le public est invité à scander les “I don’t wanna die”. On n’a pas fini de suivre le duo.

 

Setlist Moundrag:
The Rider
My woman
Changes
The Hangman
The Demon Race
The Caveman

Emma Ruth Rundle 

Bruce Dickinscène, 19h05

En guise de musique d’attente, le chant des oiseaux; au centre de la scène, un micro et trois guitares entourées d’amplis imposants. On sent déjà que les agents de sécurité vont être au chômage technique le temps d’une heure. Dans un halo bleuté, l’artiste californienne s’avance et entame sans tarder son premier morceau, “Living With the Black Dog”, faisant des merveilles avec sa guitare acoustique, plongeant la tente dans une atmosphère feutrée et intimiste. Son chant clair s’élève, tantôt chuchoté, tantôt puissant, teinté parfois de yodel parfaitement maîtrisé, et doté d’une force émotionnelle impressionnante, sur des morceaux issus en majorité de l’album Some Heavy Ocean sorti en 2014. Sobre et charismatique à la fois, la musicienne folk semble gênée par quelques problèmes de retour sur son instrument, et finit par demander directement au public s’il entend bien la guitare.

Cordes et chant s’entremêlent sur le très beau “Citadel”, le seul titre du récent Engine of Hell (2021) joué ce soir. Sur des morceaux ambiants délicats (“Darkhorse”) ou plus rythmés (l’incroyable crescendo de “Shadows of My Name”), Emma Ruth Rundle force l’admiration. Après un changement de guitare pour les deux derniers titres tirés de l’opus de 2016 Marked for Death, l’artiste remercie et sort de scène sous les applaudissements nourris du public du chapiteau, séduit par ce moment suspendu tout en musicalité et en délicatesse.

Setlist Emma Ruth Rundle :

Living With the Black Dog
Your Card the Sun
Run Forever
Arms I Know So Well
Citadel
Shadows of My Name
Darkhorse
Marked for Death
Real Big Sky

Alan Stivell 

Dave Mustage, 19h05

Le « barde breton » était déjà venu en 2019 au Motocultor dans le cadre de la soirée celtique du festival. Depuis, le festival a pris l’habitude de faire venir des formations folk, souvent celtiques, pour mieux revendiquer son ancrage territorial. Le chanteur et harpiste n’a plus sorti d’album depuis six ans, et sa précédente tournée datait d’il y a près de trois ans.

Il pluviote alors qu’Alan entre sur scène avec cinq musiciens et salue la foule en breton. Il attaque « Délivrance », morceau scandé / parlé revendiquant à la fois l’identité et l’autonomie bretonnes, et l’ouverture sur le monde et la solidarité entre les peuples – une articulation essentielle dans le discours du chanteur. Malgré le sujet sérieux, difficile de ne pas sourire en entendant « Nous ferons tomber la pluie sur le monde meurtri », alors que ladite pluie redouble sur Carhaix. La pluie est peut-être simplement une constante du paysage géographique et culturel breton, mais peut-être les bardes ont-ils des pouvoirs incantatoires insoupçonnés…

Le plaisir de retrouver Alan Stivell est cependant gâché en première moitié de set par un son pas loin de mériter le qualificatif d’affreux. Il y a trop de basse, le kick de la batterie est trop fort, l’ensemble semble brouillon. Le son ne sera d’ailleurs globalement pas le point fort du festival cette année, et c’est d’autant plus délicat sur la grande scène de faire cohabiter harmonieusement des instruments rock (les habituels guitare – basse – batterie) et des instruments traditionnels (selon les morceaux, violons, bombarde, diverses flûtes, cornemuses, mandoline, l’incontournable harpe de Stivell…). Le début semble légèrement manquer de punch, mais il s’agit peut-être aussi du contraste entre un folk rock très mélodieux et divers groupes de metal plus déchainés les uns que les autres.

Ni la pluie ni le mauvais son n’empêchent une affluence relativement importante. Et si le public est très calme durant les premiers morceaux, il redouble d’acclamations entre ceux-ci. Alan Stivell va plutôt puiser dans ses vieux titres pour ce set, y compris des reprises de chansons traditionnelles – ses propres compositions recèlent d’ailleurs souvent des évocations d’airs traditionnels.

 S’enchainent « Cease Fire » en breton dans le texte, le classique « Brian Boru », joli mais un peu plus mou qu’à l’accoutumée, et « Port Ui Mhuirgheasa », sur lequel le chant est inaudible, contrairement à un « à poil » lancé du public (franchement, dire ça à un homme de 80 ans…). Si un seul grand drapeau breton est visible en début de concert, fort heureusement, il sera rejoint par quelques congénères au fil du show.

Après deux morceaux tirés de la fin de la Symphonie Celtique : Tír na nÓg, il explique que si « à Carhaix on parle breton, le breton est sur le point de disparaître. Voilà pourquoi j’ai écrit ce rock en breton il y a déjà plusieurs décennies ». Sur le bien connu « Brezhoneg’ Raok », effectivement très rock, et qui marque le tournant d’une seconde moitié de set plus animée, deux guitares électriques dialoguent énergiquement avec la harpe.

Et c'est à ce moment-là que quelques festivaliers choisissent pour lancer un circle pit… à la mode bretonne. A savoir, en se tenant par la main et en enchaînant les pas de danse traditionnelle. La tendance s’amplifiera d’ailleurs jusqu’à la fin du concert.

« Pop Plinn » fait l’objet d’une revisite, la distorsion des guitares étant accentuée par rapport à l’originale, et les claviers conférant une nouvelle ambiance presque gothique au morceau, avec beaucoup de texture, l’ensemble donnant un son beaucoup plus lourd – à tel point que la mélodie en devient parfois difficile à discerner. L’ensemble des instruments se rejoint sur la fin pour une sorte de joyeux chaos organisé. Sur cette fin de concert, les guitaristes s’en donnent à cœur joie, offrant des sonorités très rock et qui se rapprochent même du metal – l’un d’eux a sorti sa Flying V pour l’occasion. La « Suite sudarmoricaine » a aussi droit à ce traitement très massif, de même qu’un autre morceau traditionnel, « Son ar chistr » ici énervé. 

« On vous en fait un ou deux petits derniers si vous voulez. Et vous avez le droit de chanter avec nous ! » lance Alan Stivell en commençant plusieurs fois puis interrompant aussi sec les premiers arpèges de « Tri Martolod ». Qui, là aussi, est nettement plus énervé que d’habitude. La ronde de danse s’agrandit, le public du Motocultor s’enthousiasme encore plus, plusieurs files de danseurs fusionnent. Et, alors que le morceau accélère, certaines files de danseurs éclatent en pogo. L’union des supposés contraires est toujours aussi enthousiasmante à voir, tout autant qu’improbable.

Le set se conclut sur « Bro Gozh ma Zadoù », hymne de la Bretagne, considéré comme le chant national breton depuis le début du XXe siècle. Quelques spectateurs lèvent d’ailleurs le poing à son écoute. Le chant, poignant, se finit a capella. Ni la pluie ni les problèmes de son n’auront empêché l’âme bretonne de se propager.

Setlist Alan Stivell : 

Impro Harpe Disto
Delivrance
Cease Fire
Brian Boru
Port Ui Mhuirgheasa
Gouel Hollvedel 2 Sonas
Gouel Hollvedel 4 Disoc'h
Brezhoneg' Raok
Pop plinn
Suite sudarmoricaine
Son ar chistr
Tri martolod
Bro Gozh ma Zadoù

Bob Vylan 

Massey Ferguscène, 20h10

À mesure que l’après-midi avance, la programmation de la Massey devient de plus en plus énervée. Là où les Grandma’s Ashes et Moundrag ont un côté rock accessible, le final de la journée s’annonce explosif avec Kvelertak. Il reste du chemin à parcourir, et c’est avec Bob Vylan que le Motocultor nous propose de dynamiser l’ambiance. Sur scène est écrit “Bob Vylan is killing Punk Rock”. Vraiment ? Une telle affirmation peut sembler présomptueuse, mais ce serait mal connaître le duo explosif ! Une part du public n’est clairement pas prête pour le set hip-hop/punk sans guitares du duo.

Comme pour se préparer à un gros match, c’est à une méditation guidée et des étirements en musique que nous sommes conviés pour entamer avant de rentrer dans le lard. Littéralement. Pendant “Guided Meditation and Light Stretching”, Bobby (le vocaliste, appelons-le Bob) s’échauffe tranquillement sur des airs relaxants, échauffant ses muscles bien dessinés avant la déferlante à venir. Bobby (le batteur cette fois) l’accompagne en retrait et le public se prête au jeu. Quand arrivent les premiers titres, “Bait The Bear” et “Northern Line” c’est déjà survitaminé et explosif. Bob est un électron libre sur scène, dansant, bougeant et sautant partout. Il a déjà fait tomber le haut de survêtement, le t-shirt suit pour “Dream Big”, tandis qu’une grosse zone de pogo se déclare dans la fosse. Les étirements et échauffements prennent tout leur sens. Vers la fin du set, Bob termine même dans la foule, assis sur les épaules d’un festivalier.

En bon showman punk, Bob explique qu’un concert de Bob Vylan c'est autant de prises de parole que de chansons. Que ce soit pour réclamer une safe space dans la foule (plus un sursaut de considération pour les autres et de partage de l’espace) ou pour dénoncer les connards d’extrême droite, particulièrement virulents au Royaume-Uni au moment du festival, Bob défend ses causes. La teneur des textes du groupe est sans surprise de cet acabit, on peut citer la référence à George Floyd (“Northern Line”) et plus généralement le combat contre les racistes et autres xénophobes de tout poils (“We Live Here”, “I Heard You Want Your Country Back”), les mâles alpha (“He’s A Man”). On en a besoin dans les temps présents. Le final sur l’enchaînement “Pretty Songs”/”The Delicate Nature” et “Wicked & Bad” achève de retourner la tente. Le contraste avec le concert suivant s’annonce violent !

Setlist Bob Vylan:
Guided Meditation and Light Stretching
Bait The Bear
Northern Line
Ring The Alarm
We Live Here
Dream Big
He's a Man
CSGB
Hunger Games
I Heard You Want Your Country Back
Pretty Songs
The Delicate Nature
Wicked & Bad

Ange 

Bruce Dickinscène, 21h05

Après le set explosif de Bob Vylan sous la tente voisine, le contraste risque d'être violent avec le groupe français de rock progressif formé à la fin des années soixante. Après plus de cinquante ans de carrière, Christian Décamps en est encore le chanteur et leader naturel. Enfin, si c'était encore tout à fait vrai sur ce même festival il y a cinq ans, le concert de ce premier soir du Motocultor est bien différent et ressemble plus au passage de flambeau entre lui et son fils. Avec son lot d’émotions associées.

Ange attaque avec “Les Larmes du Dalaï-Lama”. La section instrumentale est sans surprise complètement au point, toute l’attention est portée sur Tristan Décamps et son père, partageant le chant. Le premier assure les premiers couplets et laisse à Christian les “refrains” et le final après “Hitler, Napoléon, même combat”. Mais dès le titre suivant (“Les Yeux d’un Fou”), Christian est absent. Il a quitté la scène et laisse Tristan seul au chant, habité par les textes comme l'a toujours été son père. Christian revient pour annoncer “Quitter la meute”, extrait du prochain album prévu pour la fin d’année mais il repart aussitôt. Il laisse le reste de la bande jouer le morceau et Tristan assumer le rôle de leader. Le résultat est excellent, mais n’occulte pas le serrement que l’on sent poindre au cœur. C’est évident : après presque 55 ans, on assiste à la fin de carrière de Christian. Triste.

La démonstration de la qualité du concert d’Ange sans Christian est largement réussie : Tristan est habité par ses paroles et le but est sans doute qu’il devienne la nouvelle voix du groupe. Lorsque les titres le permettent, il vient même prendre le pied de micro au centre de la scène. “Réveille-toi” est ainsi particulièrement poignant, Tristan portant un mannequin dans les bras en hurlant les paroles. La relève est assurée. Pour autant, les moments les plus intenses restent ceux du retour de Christian : un “Quasimodo” émouvant, et bien sûr l’immense “Capitaine Cœur de Miel”. L'intensité de son chant sur "le couteau... dans la plaie dans la plaie dans la plaie..." est particulièrement poignante. Christian se ménage en étant rarement sur scène, mais c’est pour mieux assurer le spectacle. Il conserve aussi son sens du théâtre, troquant son costume noir au haut chapeau du début du set pour un béret et une cane sur cette fin de concert, terminé par un “Hymne à la vie” plein de sens. Merci pour tout monsieur Décamps, et bravo à Tristan et au reste du groupe de continuer aussi bien.

Setlist Ange:
Les Larmes du Dalaï-Lama

Les Yeux d'un Fou
Quitter La Meute
Quasimodo
Réveille-toi
Capitaine Cœur De Miel
Hymne à la vie

Venom, Inc. 

Supositor Stage, 22h15

Difficile de descendre tout de suite après le concert d’Ange pour filer sur la Supositor voir Venom Inc. Les deux sets semblent en plus se chevaucher tant la double pédale résonne déjà fort alors que les dernières notes d’Ange viennent de s’éteindre. On confirme rapidement que le groupe a bien démarré son set cinq minutes en avance. Tant pis, on n’arrive sur le concert que pour “Come To Me”. Reformé à partir du line up de Venom des albums Prime Evil et Temples Of Ice (deux des meilleurs albums du groupe, même si on est loin des iconiques Welcome To Hell et Black Metal), Venom Inc. est un parfait candidat pour défendre l'héritage du combo britannique légendaire, loin de la formation que Cronos emmène avec lui dans son itération actuelle du groupe. Sauf que depuis mai de cette année Mantas est absent de Venom Inc. et remplacé par Curran Murphy. Le guitariste historique et cofondateur de Venom, part primordiale dans l’identité et le son du groupe, a subi une crise cardiaque et est en convalescence. Comme Abaddon est également parti depuis un moment, remplacé aux fûts par JNX, il ne reste que Demolition Man (basse/chant) du line-up historique. Dommage

Venom Inc. a sorti deux albums et nous en propose quelques titres: “Come To Me”, “Inferno” et “There’s Only Black” tiré du dernier opus sorti deux ans plus tôt. Néanmoins, la large majorité des morceaux joués proviennent du répertoire de Venom, essentiellement de la période classique. “Parasite” est le seul représentant de la période Demolition Man. On aurait aimé au moins un morceau de Temples Of Ice, mais tant pis. Même sans Mantas, les brûlots speed/proto-black de la période historique ne manquent pas de générer moult mouvements de foule dans la fosse compacte, toujours pas découragée après une journée sous la grisaille et la bruine. Lorsque “Black Metal” retentit, la fosse exulte, jusqu’aux indémodables “Countess Bathory” et “Welcome To Hell”, joué en rappel. Le contrat est rempli.

Setlist partielle Venom Inc.:
Come To Me
In Nomine Satanas
Parasite
Inferno
In League With Satan
Live Like An Angel (Die Like A Devil)
There’s Only Black
Black Metal
Sons Of Satan
Countess Bathory

Rappel:
Welcome To Hell

 

Crippled Black Phoenix 

Bruce Dickinscène, 23h15

Crippled Black Phoenix est un groupe rare, mystérieux et difficilement définissable. L’annonce de sa présence au Motoc avait donc de quoi réjouir. Le combo anglais, malgré ses vingt ans d’existence, n’était venu à notre connaissance qu’avec son onzième album, le magnifique Ellengæst, en 2020. Il a depuis récidivé avec Banefyre en 2022. Le groupe est, selon les sources et les périodes, qualifié de dark rock, de rock progressif, de post rock ou de rock expérimental.

L’ambiance sur scène dégage quelque chose de très cinématographique avant même que le concert ne commence. Alors que les six musiciens entrent en scène, des fumées colorées dessinent des ombres vaporeuses et fantasmagoriques devant les yeux du public. Une silhouette encapuchonnée, presque onirique, s’approche du devant de la scène.

Le guitariste et fondateur du groupe, Justin Greaves, entame le chant de « Troublemaker », avant d’être rejoint par une voix féminine qui s’élève de sous la capuche. Le morceau, rock mais pas agressif, accélère au fur et à mesure. Le suivant, « Wyches and Basterdz », est assez lourd et lent, dominé par la voix féminine terriblement envoûtante de Belinda Kordic. 

Le groupe déploie un rock à la fois massif et onirique. Les compositions offrent une certaine diversité, passant d’une grande lourdeur à des morceaux plus enlevés, de sonorités industrielles à d’autres très planantes. La construction progressive du groupe est audible, avec des changements d’atmosphères au sein même des morceaux. Le côté expérimental est aussi perceptible, avec quelques sonorités étranges, des ajouts d’autres genres, comme du jazz.

L’ensemble reste pourtant très homogène, comme provenant d’un même univers d’une lumineuse obscurité. Les textures des claviers  (Helen Stanley) font beaucoup pour apporter à la fois cette diversité et cette unité. La batterie (Jordi Farré) est quant à elle parfois très marquée, renforçant l’effet indus de certains titres. Si les guitares (Greaves et Andy Taylor) sont notables surtout dans leur construction d’ambiances, des soli pointent ici et là le bout de leur nez. D’autres fois, leurs vrombissements intensifient celui de la basse (Matt Crawford), accentuant une dimension expérimentale.

Surtout, le duo de vocalistes impressionne. Prenant le lead à tour de rôle, leurs voix se complètent, et nous plongent dans un univers à la fois sombre et féérique. Pourtant, il parait que Belinda Kordic est malade – on la voit prendre des pilules durant le set. Mais si l’on n’avait pas été prévenus, cela aurait été insoupçonnable, tant la chanteuse – qui dévoile un magnifique tee-shirt « Mother of Cats » - est impressionnante, faisant preuve d’une amplitude vocale considérable. Elle semble par moments possédée par la musique, exécutant des gestes étranges, ou poussant des notes si hautes qu’elles se transforment presque en cris. 

Justin Greaves parle parfois un peu entre les morceaux, remerciant le public, ou présentant la reprise du chanteur de folk américain Vic Chestnutt, « Everything I Say ». Les magnifiques lumières et les effets de fumée sont, comme sur le début du set, partie intégrante du spectacle, renforçant la sensation d’assister à un spectacle à part, hors du temps. Le public semble captivé, quelques personnes reprennent parfois les paroles, un headbang solennel s’instaure dans les premiers rangs.

Après un sublime et entêtant “Lost”, issu de l’avant-dernier album, le concert se clôt sur un titre tout aussi protéiforme, de la douceur à la lourdeur en passant par une sorte de rock alternatif, pour se finir sur un rythme lancinant soutenu par des gimmicks de piano. Ce n’est pas un simple concert qu’a vécu l’auditoire mais bien une véritable expérience.

The Neko Light Orchestra

Dave Mustage, 23h15

Quelques réglages de son sur scène entraînent un léger retard pour le début du set (le quart d’heure toulousain, d’après le pianiste Nico), mais il faut dire que la formation du soir est assez hors norme, entre orchestre rock avec une guitare et un basse électrique et une batterie, et collectif plus classique avec claviers, percussions, flûte, violoncelle et violons, ainsi qu’une vocaliste. Le groupe toulousain, donc, propose ce soir aux festivaliers un échantillon d’1h10 de son set Echos de la Terre du Milieu & de Westeros, une réinterprétation des musiques de la trilogie cinématographique du Seigneur des Anneaux signées Howard Shore, et de la série Game of Thrones. Le concert s’ouvre sur un tableau dédié au monde magique des hobbits, sur lequel des passages rock alternent avec le chant ensorcelant de la vocaliste accompagnée des violonistes et de la violoncelliste au chant.

Les lumières se font rouges et l’ambiance plus sombre pour l’évocation du Mordor, sur des arrangements énergiques frôlant le metal. Le collectif se lance ensuite dans sa version de “I See Fire”, titre de Ed Sheeran figurant au générique de fin du film Le Hobbit : La Désolation de Smaug (2013). Le tableau suivant, mettant en scène les tavernes, décor incontournable de nombreuses œuvres de fantasy, est l’occasion pour le public de participer en tapant des mains pour encourager les chants traditionnels, danses légères et même le concours de descente de bière qui oppose le guitariste et la chanteuse (victorieuse, et de loin!).

Une petite battle de batterie et de percussions indique le glissement vers Westeros et l’univers de Game of Thrones, avec l’inévitable générique, entonné par l’ensemble du public. Des moments puissants s’enchaînent avec le crescendo de “Targaryen” et l’ambiance inquiétante de “Valar Morgulis”, avant un medley plutôt martial consacré aux guerriers de Lord of the Rings. L’ultime morceau est une création originale signée d’Eley la violoncelliste, inspirée de l’univers de World of Warcraft et chantée en langue elfique, pour un dernier hommage à Tolkien. L’orchestre rock mélodique a su faire voyager le public au gré des cultures de l’imaginaire, et nombreux sont les curieux qui se pressent à la signing session nocturne proposée par le collectif après son show magique.

Setlist Neko Light Orchestra :

Comté, Communauté, Evenstar
Dark Mordor Medley
I See Fire (Ed Sheeran cover)
Tavernes
Game of Thrones Opening
Targaryen
Valar Morgulis
Ultime Bataille
Ash Karath

Kvelertak

Massey Ferguscène, 00h30

Ceci est ma tragique histoire. Instrument innocent des vicissitudes humaines, je me suis retrouvé sacrifié sur l’autel d’une cause bien plus grande que moi. J'aidais alors à mon humble niveau à propager la musique auprès de fans et de novices, apportant cette joie et cette sensation de plénitude que seule la musique live confère.  

A l’origine, j’étais un simple pied de micro, comme il en existe des milliers de par le monde. J'aurais pu être le pied de micro d'une chorale. D’un chanteur de ballades. D’un groupe de musique Renaissance. Mais le sort avait de bien plus funestes desseins pour moi.

Ainsi me retrouvai-je, en ce cruel soir du 15 août 2024, à l’avant de la Massey Ferguscène du Motocultor. C'était le dernier concert de la journée, mais la fatigue ne semblait pas se faire sentir pour le public relativement nombreux qui était resté, me faisant face. L'ambiance était festive. Une douce bande enregistrée à base de violon retentit. Et le cauchemar commença.

Un guitariste surgit. Un autre. Un bassiste. Tous arpentant la scène. Un son enragé, extrêmement agressif quoique d'une certaine manière festif. Une chanson nommée « Krøterveg Te Helvete », à ce que j'avais pu comprendre, représentative d’un courant nommé black’n’roll.

Surgit alors celui que j’avais pour mission de servir ce soir-là. Mon tortionnaire. Ivar Nikolaisen. Il s'approcha de moi. Se mit à crier. Je ne fus plus jamais le même après cette nuit.

Alors qu'attaquait un refrain mélodieux sous le déluge de guitares, il se mit à me traîner à sa suite sur toute la scène, tel un enragé. Le public acclamait, inconscient de mes souffrances.

Le frontman s'égosillait. Son énergie aurait pu m’impressionner si elle ne m'avait été si néfaste. Il me trainait, s’appuyait sur moi pour headbanguer, m’agitait en tous sens, me brandissait à bout de bras, me faisait presque voltiger, me dressait parfois vers le public acquis à sa cause. Plus d’une fois il manqua de me jeter à terre. Je l'entendais dans le micro juché à mon extrémité s'exprimer en anglais avec un fort accent norvégien et enjoindre le public à semer la pagaille, ou raconter d’invraisemblables histoires au sujet d'un supposé alcoolisme français. Son chant extrêmement saturé avait pourtant quelque chose d’entrainant, et ses quelques passages en voix claire étaient tout aussi réussis.

J'assistai, terrifié, aux premiers slams qui s'élançaient et atterrissaient dans le pit photo alors même que les photographes s’y trouvaient encore, créant une certaine zizanie. L'équipe de sécurité n'aurait, elle non plus, pas un instant de répit durant ce concert.

Au bout de quelques morceaux, la douleur se fit si forte que je crus être mort. La musique était intense, débordante d'énergie, saturée au possible. Pourtant, du fond de mes souffrances indicibles, je ne pouvais m'empêcher d'entendre la variété et la subtilité cachées sous le maelstrom sonore. Les guitaristes notamment faisaient montre d'une certaine virtuosité, emmenant dans leur jeu un certain éclectisme, apportant des touches de différents genres, parfois jusqu'au blues. Black’n’roll, stadium hardcore, les oxymores ne manquaient pas pour cette musique furieuse.

Le public adorait, j’étais au supplice. Mon bourreau s’agitait en tous sens, avec ou sans moi, se retrouvait à terre, puis à genoux, se relevait, semblait tomber, me saisissait de nouveau. Le dernier album, Endling, fut bien représenté, tout comme l’excellent Splid, de 2020, et les passages épiques et mémorables se succédaient.

La délivrance approchait. Mon bourreau demanda un circle pit, le public s’exécuta, Nikolaisen hurla, se jeta dans le public tout en continuant de chanter le monumental “Bråtebrann”. Je le vis brandir un grand drapeau, m’offrant quelques instants de répit. Le concert s’acheva après une heure de pure joie pour le public, de pure souffrance pour moi. Seule consolation, à voir les sourires ravis du public exténué, mon sacrifice n’aurait pas été vain.

Setlist Kvelertak :

Krøterveg Te Helvete
Mjød
Ved bredden av Nihil
Crack of Doom
Likvoke
Endling
Motsols
Bråtebrann
Kvelertak
Evig Vandrar
Rogaland
Bråtebrann

Et aussi ... 

Parmi les autres concerts entrevus par la rédaction, Dewolff semblait ouvrir dignement le festival, avec des sonorités psychédéliques, voire un peu blues ou sudiste. 

Crownshift a donné des regrets de ne pas avoir assisté au concert en entier. Le quatuor finlandais, composé de musiciens ou ex-musiciens de groupes de renom (Nightwish, Children Of Bodom, Wintersun), délivrait un metal moderne très accrocheur, pas dénué d’une certaine hargne, entre metal mélodique et influences prog / death. Un groupe à suivre. 

Citons enfin le combo américain Lionheart qui a sérieusement réveillé le Motocultor du côté de la Supositor Stage avec son metal hardcore explosif made in California. Quand les rejetons de la West Coast viennent mettre le feu en centre-Bretagne …

Textes : 
- Aude : Grandma's Ashes, Alan Stivell, Crippled Black Phoenix, Kvelertak
- Félix : Moundrag, Bob Vylan, Ange, Venom Inc.
- Julie : Uada, Emma Ruth Rundle, The Neko Light Orchestra

 

Photos : Lil'Goth Live Picture. Toute reproduction interdite sans l'autorisation de la photographe.



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