La péniche parisienne accueille ce soir deux groupes français pour une soirée un peu particulière, en version débranchée. Une longue file d’attente se presse sur le quai avant l’ouverture, tout à sa hâte de découvrir, ou de redécouvrir le metal atmosphérique et progressif de Klone et le post metal du jeune groupe Maudits, en version acoustique. De quoi réjouir les nostalgiques des shows MTV Unplugged de l’époque, qui retrouveront même quelques clins d’œil aux incontournables des années 90 au cours de la soirée.
Maudits
À 19h30, le combo Maudits prend place sur la petite scène de Petit Bain – ou plutôt, les deux-tiers de Maudits : Olivier Dubuc à la guitare et Erwan Lombard à la basse, ce soir sans leur camarade batteur Christophe Hiegel, pour un set électro-acoustique exclusif en format trio avec la présence de Raphael Verguin au violoncelle, ce dernier ayant déjà participé à l’enregistrement de l’EP de Maudits Angle Mort sorti chez Klonosphere en 2021. Erwan et Raphael sont assis, tandis qu’Olivier, au centre, est debout, et dès les premières notes, l’ambiance se fait lente et hypnotique et le jeu des trois musiciens, complémentaire, emporte le public. Sur la fantomatique "Ghost Track", Erwan joue de la basse à l’archet, rivalisant de notes délicates et mélancoliques avec le violoncelle avant l’arrivée des samples de batterie.
Les trois instruments envoient des boucles de cordes virevoltantes chargées d’effets qui tendent vers l’ambient. Sur "Précipice Part 1", issu du dernier opus du groupe sorti en mai dernier, Maudits s’évade du côté du trip hop, avec le beat à la Massive Attack sur lequel le duo guitare / violoncelle irradie. Les trois artistes vivent la musique, les yeux fermés, et le public communie avec le groupe, les yeux fermés également. Le post metal revisité ce soir est plein de subtilités, porté par des lignes de guitare entêtantes et marquantes et une réelle symbiose entre les trois musiciens qui échangent des sourires complices.
"Perdu d’avance" se fait lent et hypnotique, presque cinématique, et chacun des membres du trio rivalise de virtuosité sur des techniques étranges, comme lorsqu’Erwan tape sur les cordes de sa basse à six cordes, accentuant encore la réverbération. L’instrumental n’est interrompu que par de courtes prises de paroles d’Erwan ou Olivier entre les titres, pour remercier chaleureusement le public, saluer leur batteur qui a bossé sur les samples que l’on entend ce soir, ou présenter Mayline, la chanteuse à la voix cristalline invitée pour la très belle – et très triste - reprise de "Roads" de Portishead.
"Résilience 2021" introduit des notes psychédéliques et de sublimes mélodies au violoncelle, pour un effet totalement envoûtant et enveloppant. Le public est d’ailleurs très attentif et silencieux pendant les morceaux, mais applaudit bruyamment à la fin de chaque titre. "Lights End" débute par une partie émouvante sans sample de batterie avant l’arrivée du rythme obsédant. Les samples sont lancés par Olivier, à l’œuvre avec son impressionnant équipement de pédales à effets. Un retour à l’archet pour Erwan pour l’ultime titre du set, "Epäselvä", montée en puissance réarrangée où chacun signe des riffs et soli assez fous.
Puissant mais intime, sombre mais touchant à la fois, grave sans être lourd, le post metal instrumental de Maudits a plongé un temps le Petit Bain dans un état second, celui de la contemplation, de l’introspection et des émotions. Un trip bienvenu, en cette période tourmentée, dont le public se remet en réservant une ovation au sympathique trio qu’il faudra suivre avec attention.
Setlist Maudits :
Ghost Track
Angle Mort
Précipice Part I
Perdu d'avance
Résilience 2021
Lights End
Roads (Portishead)
Epäselvä
Klone
Cinq tabourets en demi-cercle face aux spectateurs, une configuration tout en sobriété et en intimité : un grand moment se prépare. Avec déjà plusieurs tournées unplugged et même un album live sorti en 2017, le groupe poitevin est rompu à l’exercice délicat de l’acoustique. Une église, des petites salles, ou un bateau comme ce soir, autant de décors parfaits pour ce moment privilégié de communion et de proximité avec le public. La déjà longue carrière de Klone l’a vu naviguer entre deux mondes, des paysages metal à des glissements vers le prog rock, sans jamais perdre son identité musicale.
Pour ce soir, évidemment, le combo a privilégié les morceaux issus des albums les plus progressifs de sa discographie. Le Grand Voyage, pépite atmosphérique sortie en 2019, ouvre le set avec deux titres plutôt contemplatifs et pleins d’émotions, boucles délicates de guitare et mélodies servies à merveille par le timbre unique de Yann Ligner. Sur les lignes de guitares tantôt subtiles tantôt puissantes de Guillaume Bernard et Aldrick Guadagnino, l’entrée se fait en beauté avec "Sealed", en place tout de suite, et "Keystone" tout en intensité, servis par une mise en son parfaite et un jeu de lumières discret mais très agréable, sans plonger les musiciens dans le noir ni les noyer dans la fumée. La sobriété est de mise sur la scénographie, la complicité entre les musiciens évidente, la virtuosité du jeu impressionne.
Klone présente une trilogie de titres issus de l’excellent Here Comes the Sun (2015), avec d’abord "Gone Up In Flames" et ses sonorités rappelant The Police, très rock progressif, et très dansant, avec une belle progression. Romain Bercé arbore un sourire communicatif derrière sa batterie qui elle aussi est en configuration acoustique, un peu bricolée avec un t-shirt fixé sur la caisse claire histoire de tenter d’étouffer la puissance de ses frappes … De l’acoustique, oui, du mou, non.
L’ambiance se fait mélancolique et sombre sur "Grim Dance" avant une grosse montée en intensité qui va commencer à faire headbanguer le public, qui tape dans les mains. La conclusion de ce morceau est marquée par le glissement vers le chant saturé d’un Yann en parfaite maîtrise. "The Drifter" tape bien également, au point que Romain perd une des mousses de protection de baguettes en plein morceau.
Place au récent "Bystander", seul rescapé du dernier opus en date, Meanwhile, dont la puissance est sans doute moins adaptée à la configuration unplugged. Cette version acoustique se révèle redoutable, et sonne vraiment très lourd. Les guitares se durcissent, la basse acoustique de Enzo Alfano et la batterie imposent leur puissance, et au chant les envolées claires de Yann se muent en énorme rugissement.
Quelques semaines à peine avant la sortie de son nouvel opus, The Unseen, le groupe choisit d’en présenter deux extraits dans leur version acoustique. Ces deux morceaux, à la signature Klone indéniable, trouvent parfaitement leur place dans la setlist du soir, que ce soit le superbe crescendo de "Interlaced" ou l’entêtant "The Unseen", marqué par une fin énervée et rythmée où les « Hey » des choristes Aldrick et Enzo encouragent le public à s’agiter un peu. Le cogneur Romain n’épargne pas son matériel, envoyant balader plusieurs fois dans les airs des éclats de bois de ses balais jazz.
L’opération séduction atteint son paroxysme au moment de la superbe reprise de "Black Hole Sun" de Soundgarden, moment de grâce porté par des arrangements superbes et l’interprétation inspirée et poignante de Yann, impérial encore une fois sur le fil entre émotion et puissance. De quoi faire vibrer le public de ce Petit Bain, sollicité par le vocaliste pour chanter le refrain, et visiblement conquis par le final exceptionnel.
L’intensité ne redescend pas pour la fin du set, les boucles de guitare hypnotiques et la montée en puissance de "Nebulous" entraînent les spectateurs vers le clou du spectacle, l’incontournable "Yonder", morceau-fleuve et titre phare des lives du groupe depuis 2019. Le crescendo, excellent sur disque, surpuissant en électrique, se retrouve transcendé par cette version acoustique mettant en avant toutes ses subtilités, des petites touches hispanisantes à la guitare aux petits décrochages rythmiques, en passant par le refrain accrocheur conclu par les montées en puissance des musiciens et un glissement vers les grondements menaçants signés du vocaliste qui n’en finit pas d’impressionner ce soir.
Les musiciens finissent par se lever pour les dernières mesures, se livrant sans retenue face à son public qui le lui rend bien, par une longue ovation bien méritée pour le groupe qui signe, ce soir encore, une prestation renversante et magistrale ; mais pouvait-il en être autrement pour la formation largement reconnue pour la qualité de ses concerts ? Que dire de plus, sinon que le format unplugged sied particulièrement à Klone, qui a pu sublimer ses compositions dans l’écrin intimiste d’un Petit Bain plein à craquer, et faire chavirer les cœurs des spectateurs aguerris comme des nouveaux venus dans son univers.
Setlist Klone :
Sealed
Keystone
Gone Up in Flames
Grim Dance
The Drifter
Bystander
Interlaced
The Unseen
Black Hole Sun (reprise de Soundgarden)
Nebulous
Yonder
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