Leon Rousseau nous parle de son album Fat Bastard


Derrière le disque Fat Bastard, il y a un seul homme aux manettes. De quoi intriguer. Performer aux prouesses technologiques ou Géo Trouvetou de la console ? Nous avons rencontré Leon Rousseau, pour éclaircir le mystère que suscite cet ovni pop.

Un entretien mené dans son antre. C’est une sorte de caverne musicale d’Ali Baba aux allures de dernier salon où l’on cause, sauf que là ce sont les instruments, la bidouillerie sonore et une portion d’histoire du rock’n’roll qui nous parlent. On comprend que tout ce qui est disposé ici a une histoire… et que le musicien va aussi nous la raconter…

Leon, Fat Bastard, c’est ton 3e album, et tu as encore fait le choix de t’auto-produire, pourquoi ?

C’est un choix sans en être un. Si on me donne les moyens : l’argent et un groupe, je vais au studio Davout pendant 2 mois et je réalise une très grosse production… là je fonce ! Mais ça n’est pas le cas. Les labels indépendants n’attendent plus de recevoir les maquettes pour ensuite produire les disques. Ils attendent de recevoir les disques et ça peut parfois marcher si ça leur plaît. Alors, soit on ne fait rien et on retourne à l’usine, soit on se dit pourquoi ne pas faire son album quand même et on y va ! Alors le choix de  l’autoproduction pour l’instant c’est ça ou rien.

Combien de temps a pris la réalisation de l’album ?

C’est hyper dur à dire. Je n’y ai pas travaillé en continu, puisque je mène en parallèle mon travail d'ingé son. C’était une heure par ci, une heure par là. En pointillé, j’ai bien dû mettre 2 ans. Je suis très peu prolifique sur l’écriture des chansons, mais sur les arrangements je peux aller très vite et être assez créatif. Lorsque tu fais un disque tout seul, qu’il n’y a personne qui t’attends, que tu n’as pas de label derrière, les options sont énormes, tu passes beaucoup de temps à réfléchir… par exemple la chanson "2 of You" , celle où il y a juste le piano et la voix, ça doit être la 7 ou 8e version que j’ai enregistrée.

En homme-orchestre, tu joues de tous les instruments sur tes morceaux … j’ai lu que tu étais autodidacte, c’est vrai ?

Oui... de la scie aussi ! (il se drigie vers l’instrument et un archet qu'il saisis et me fais une démonstration). C’est ma femme qui me l’a offert à Noël. On l’entend sur "Eugene"… En fait, j’ai pris des cours de piano quand j’étais petit, mais j’étais vraiment mauvais. Je joue pas mal de la guitare mais il n’y a aucun instrument dont je joue vraiment bien. La batterie j’aime ça, mais je suis une brêle ! Il y a pas mal de contrebasse dans le disque, j’en joue super mal mais ça suffit. Si tu veux faire de la contrebasse à l’archet c’est super difficile, si tu veux faire du jazz, c’est super difficile, si tu veux faire du rockabilly en faisant la rythmique, en slappant comme le mec des Stray Cats, c’est impossible, j’ai essayé pendant des heures.  Le piano je ne suis pas très bon, mais ma musique c’est pas du Tchaïkovsky ni du Chopin. C’est la guitare éléctrique qui a été le déclencheur. Oui j’ai trouvé que c‘était quelque chose pour moi. j’ai appris à jouer comme ça, j’étais gamin.

C’était quoi comme guitare ?

Une Young Chang. J’étais un peu naïf. » j’avais 13-14 ans.  Je suis allé à Pigalle. Je voulais une Les Paul Custom blanche. Je dis "Bonjour, c’est combien la Les Paul blanche, je suis gaucher. 18.000 francs..." un truc comme ça "C’est quoi la moins chère que vous avez, en gaucher.  J'ai ça...". Il me sort une fausse Strat en gaucher, une coréenne : "2500 francs... et en droitier : 1250 francs… File-la moi en droitier !"

C’ est pas Hendrix qui jouait sur une guitare de droitier ?

Oui, mais je ne connaissais pas Hendrix à l‘époque. Je me suis dit OK je vais la retourner et je vais apprendre à jouer en droitier. J’ai commencé comme ça et puis ensuite j’ai découvert Hendrix et j’ai réalisé : "je suis stupide, je vais retourner les cordes" (rires) !  Au final, je suis très content, j’ai une petite affection pour les vieilles guitares. (Il se lève de nouveau pour empoigner des guitares cinquantenaires aux noms et de séries légendaires, qu'il me détaillera). La Les Paul je l’ai achetée il y a 2 ans.  Elle fait les solos de "Ford Taurus", elle fait pas mal de trucs parce que c’est une putain de guitare. C’est ma 25e et c’est celle que je voulais en 1er... après ça j’arrête (rires) !

On reconnait des influences dans Fat Bastard : Les Beatles, les Clash, Tom Waits, et d’autres…  est-ce que tu es d’accord ?

Oui bien sûr !

Est-ce que ça t’agace qu’on te le rappelle ?

Pas du tout. Ce qui m’agace c’est que c’est devenu quelque chose de pas bien d’avoir des influences. Moi j’ai découvert plein de groupes parce que dans les interviews, dans les magazines ( il n’y avait pas internet à l’époque !), tout le monde citait ses influences et disait "j’ai voulu faire ça"  et du coup tu creusais, tu allais voir. J’ai l’impression que ça c’est un peu perdu et que on est censé réinventer la musique à chaque fois. Moi, je n'ai pas du tout envie de réinventer la musique, j’ai juste envie d’apporter mon petit grain de sable à l’édifice et de faire un disque qui fait du bien à celui qui l’écoute, avec des chansons, quoi ! La transmission, je crois beaucoup à cela.
 

J’ai nommé trois de tes influences. Est-ce qu’il y en a d’autres ?

Les Beatles c’est plus qu’une influence, c’est mon alphabet. Quand j’étais petit on m’a offert un Walkman. On m’a filé trois cassettes avec : Thriller de M. Jackson, le volume Un du Double Bleu des Beatles (parce qu’en cassette il était vendu en volumes séparés), et un best of d’Abba. Je jure sur la tête de mes enfants que je ne l’ai jamais écouté ! J’avais six ou sept ans. En revanche, les deux autres, je les ai usés jusqu’à la corde, je n’écoutais que ça ! Pour moi la pop music c’était les Beatles !

Ceux qui t'ont influencé, est-ce qu'ils tournent encore sur ta platine ?

Oui , de temps en temps, j’ai des crises de Neil Young, de Beatles et de Dylan

Ca intervient à des moments particuliers ?

J’ai eu une crise de Who il y’a pas longtemps, parce que j’ai lu la bio de Townshend.

Tu as aimé ?

Oui je l’ai trouvé super franc… J’ai bien aimé aussi la bio de Keith Richard, mais on sent que des fois, il se donne un peu le bon rôle !...

Pour revenir à l’album. Tu as 36 ans, par le choix des instruments et des amplis, tu utilises des procédés qui appartiennent à des générations qui te précèdent. Tu expliques ça comment ?

Et bien c’est ça que j’écoute. Je ne suis pas très branché électro, on ne va pas se mentir y a rien qui me fait triper qui soit vraiment électronique. Moi j’aime bien les instruments acoustiques, je trouve ça agréable à jouer, agréable à faire, agréable à écouter et je ne vais pas me forcer à aller dans le sens de ce que je pense qui marcherait. La seule qualité importante dans la musique c’est d’être sincère. Bien sûr, ça ne suffit pas  ! Tu as des trucs très sincères et qui sont très mauvais. Mais si t’es déjà plus sincère parce que tu te demandes comment ça va marcher t’es cuit ! Moi je fais ce que j’aime. Je fais un disque que j’ai envie de pouvoir écouter derrière.

Tu fais donc aussi la prise de son et le mixage...

Oui. Et le mastering. Et ç'a peut-être été une erreur (rires). Peut-être qu’à un moment il faut lâcher. Oui le mastering, c’est pointu, c’est compliqué, c’est dur. Et c’est très important dans le ressenti. Tu vois, le dernier Daft Punk que bizarrement j’aime bien. C’est extrêmement subtil dans le mixage. Pas les chansons, il n’y en a pas. Mais le son est démentiel ! C’est masterisé avec plus de retenue, c’est assez peu compressé pour un disque moderne. On fait des choses de plus en plus compressées pour que ce soit le plus fort possible. C’est complètement con parce que les gens ils ont un bouton de volume sur leur chaîne, ils mettent au volume qu’ils veulent. Le mastering, souvent, tue l’épaisseur. Dans les trucs récents : Jack White (ex White Stripes) a décidé de masteriser moins fort en disant qu’il faut que  ça vive. Je pense que cela va avoir une suite et qu’on va redescendre dans les niveaux de mastering.

Le choix de graver sur du vinyle c’est un parti-pris artistique esthétique ?

C’est du snobisme ! C’est plaisant et sympa d’avoir un vinyle dans les mains. Il y a de ça ! aussi tu sais qu’on ne va pas en vendre des masses donc si ça doit nous rester sur les bras, autant que ça soit en vinyle c’est quand même plus classe ! Le CD c’est quand même pas la panacée en terme de numérique. Tu notes que si tu achètes le vinyle tu as une carte qui te permet d’avoir les versions MP3, c’est bien, une version Itunes, c’est mieux, et la version Master Studio qui là pour le coup enfonce le CD.

Est-ce que l’osmose d’un groupe, la scène, les concerts ça te manque ?

Il y a plusieurs choses : oui ça me manque. Mais ça ne demande pas du tout le même talent de faire un disque et de faire du live. C' est deux métiers différents. Faire tourner un groupe c’est du boulot et c’est du temps, ça exige de faire des choix radicaux, pour s’y consacrer pleinement. Par exemple, avec les Springbox (1993 à 2003) mon 1er groupe, on a appris à jouer ensemble. Mais la création collective, ça aussi c’est difficile. Parce que c’est des potes, que tu n’as pas envie de te fâcher, de passer pour un nazi et de donner des ordres. On  était deux à écrire des chansons, On était les Lennon et Mc Cartney du pauvre ! Il y avait une intérraction plutôt plaisante mais je pense qu’on ne travaillait pas assez. Donc, il faut que ces conditions soient réunies parce qu’on ne peut pas faire les choses n’importe comment.

Tu as une vraie qualité de songwriter. Est-ce que tu as une méthode de travail : partir des textes et tu écris une musique ou une musique qui t’inspire des textes ?

Je pense que tu ne peux pas décider d’écrire une chanson. Tu ne te dis pas "je me mets à une table, je prends une guitare et aujourd’hui je vais écrire une chanson". Tu peux essayer de te mettre dans des dispositions intellectuelles et émotionnelles où tu peux les recevoir plus facilement. Je n’ai pas vraiment l’impression que mes chansons viennent de moi, mais plutôt que c’est quelque chose que j’attrape dans l’air. Quand tout va bien. Et ça a été le cas sur à peu près toutes les chansons de Fat Bastard, le texte et la musique arrivent en même temps. En tout cas pour le 1er couplet et le refrain. Musique et texte sont difficiles à dissocier. Parce que les mots c’est la mélodie.
En général il n'y a pas 3 couplets qui arrivent d’un coup, à Dylan peut-être mais pas à moi ! Tu notes, tu écris, tu enregistres vite ait sur le Nagra puis tu reviens plus tard sur la chanson. Je n’ai pas une idée fulgurante de texte. C’est assez proche de l’écriture automatique. Il faut que le processus soit le moins conscient possible.
 

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Tu peux me citer des auteurs de chansons que tu aimes ?

Pleins… Nick Drake par exemple…

Tu écris très aisément en anglais ?

Je n'ai jamais écrit une seule chanson en français. Ca tient au rock’n’roll. L’anglais ça chante quand tu le parles, le français, ce qui compte c’est les mots. En plus le français c’est très difficile de le sous-mixer, tu perds la compréhension tout de suite et les gens détestent ça. Quand tu écoutes Exile on Main Street, Jagger il est scandaleusement bas, ou Lou Reed dans Transformer. Ca c’est un genre d’énergie que tu as du mal à faire en français parce qu’en français t’es obligé de mettre les voix devant.

Tu aimes bien les ambiances, je pense particulièrement aux titres Ford Taurus et MonoMurderSong... 

Je suis influencé par la musique mais aussi par les bouquins que je lis et les films que je vois. "MonoMurderSong" c’est une chanson fantôme. Elle termine l’album. Ce qui est important dans un disque c’est la play-list et non pas d’écouter en mode random Ça te permets, quand tu écoutes en boucle, d’avoir un disque avec un début et une fin. Pour "MonoMurder", il y une astuce. Si tu l’écoutes en stéréo tu as un bruit de train très fort, le bruit de la pluie ; si tu la mets en mono tout ça disparaît et il ne reste plus que la chanson ! Mais ça tu ne peux pas le graver sur un vinyle. Donc elle n’est pas sur le vinyle. C’est un truc de pervers en fait ! "Ford Taurus", c’est un truc que j’avais écrit pour un court-métrage qui n’a pas super bien marché. J’ai étoffé. La trompette est jouée par Olivier Laisney, un jazzeux. C’est le seul instrument  dont je n’ai pas joué.

Tu as signé sur un label irlandais : Ruby Music, pourquoi ?

J’étais vraiment content de ce disque. J’ai envoyé pas mal de démos et de CD aux labels en France. Je n’ai même pas eu une réponse négative… zéro réponse. Si ! le patron de Fargo, quelqu’un que je respecte énormément, m’a dit "Votre music ne me plaît pas" » Ca n’est évidemment pas la réponse que j’attendais, d’autant que j’aime beaucoup Fargo, mais au moins je le remercie de m’avoir donné son avis ! Alors j’ai essayé la Belgique puis l’Irlande. Ruby Music a été intéressé en une semaine. C’est un label indépendant. Et puis il y a eu un peu de presse en Irlande.

Le fait de chanter en anglais a facilité les choses ?

Peut-être. Ce qui m’a fait hyper plaisir, c’est que sur les deux premiers albums on m’a dit : "Tu chantes en anglais parce que tu n’as rien à dire". Là dans les critiques irlandaises il y a plutôt des bonnes choses sur les textes. Or il y a du texte, et ce sont des trucs assez intimes que j’aurais du mal à chanter en français. Dans Fat Bastard, il n’y a pas une chanson qui ne parle de rien, les chansons parlent de gens qui existent, de situations qui existent.

Pour terminer, je te propose d’exprimer deux souhaits :
si tu devais faire une scène avec un musicien ou un groupe demain, ça serait qui ?

… (silence)…  J’aime beaucoup Ray LaMontagne. Le problème avec lui c’est qu’il a une voix tellement incroyable que même s'il te chante le bottin… tu pleures ! J’aimerais beaucoup faire un duo avec ce gars-là.

Le 2e souhait : si tu devais écrire une chanson pour un chanteur, une chanteuse, qui tu choisirais ?

pour Mick Jagger, pour Les Stones, un truc qui envoie !

Merci Leon.

On peut acheter le LP sur le site de Leon Rousseau ici

TRACK-LIST

  1. 35
  2. The kid
  3. Brother
  4. Eugene
  5. Sunday
  6. The Greatest
  7. Fat Bastard
  8. This bed
  9. 2 of you
  10. George Clooney
  11. Ford Taurus
  12. MonoMurderSong

Portrait de Leon Rousseau (médaillon) :  ©Jérémie Bouillon

 



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