La Grosse Radio s'est entretenue avec Louis Godart, guitariste chez les Nantais de A Prison Called Earth pour nous présenter leur dernier EP The Ivory Miracle, sorti très récemment et chroniqué en ces pages.
Nous nous sommes intéressé au concept développé par le groupe depuis la sortie de son premier album en 2010, à la façon de composer du groupe et à leur perception de la musique, pour un entretien très intéressant.
Salut Louis, sois le bienvenu sur La Grosse Radio. Tout d’abord, peux-tu présenter rapidement le groupe pour nos lecteurs qui ne vous connaissent pas ?
Nous sommes A Prison Called Earth, un groupe de metal progressif ambiant fondé en 2009 à Nantes sur les cendres de Zarathoustra, un groupe instrumental (qui lui a été créé en 2004). Nous avons sorti une première démo en 2010 intitulé Rise of the Octopus et un EP en septembre dernier, The Ivory Miracle.
Les retombées positives reçues suite à la parution de Rise of the Octopus vous ont-elles mis la pression pour l’écriture de Ivory Miracle ?
Pas vraiment, même si on a évoqué le sujet en rigolant. On était surtout contents de voir qu'avec Rise nous proposions une musique susceptible d'intéresser les gens. On a donc continuer à composer sans se poser de questions, à écrire notre musique comme nous l'entendions.
15 minutes de musique, même pour un EP, n’est-ce pas un peu court ? Pourquoi avoir choisi de sortir ces compos sous ce format plutôt que d’attendre d’avoir plus de matière pour faire un vrai deuxième album ?
Cet EP a un objectif plutôt promotionnel. Il nous permet de générer une actualité et de montrer que nous ne sommes pas inactifs depuis trois ans. Il marque également une nouvelle étape dont nous sommes assez fiers : notre musique nous paraît plus riche, plus contrastée, plus nuancée et plus poussée de tous points de vue (arrangements, écriture, mélodies, techniquement instrumentale, etc.).
Pourquoi avoir choisi de découper les différents « chapitres » de ce grand morceau qu’est The Ivory Miracle en plusieurs plages ?
Pour les mêmes raisons qui nous poussées à le faire sur Rise of the Octopus : exprimer un découpage dans la narration et la progression de l'histoire. En sus, les plages correspondent à des ambiances différentes au sein d'un même morceau...ce qui permet de distinguer les différentes phases musicales et à un auditeur averti de s'y retrouver.
Comment composez vous ? Tous ensemble en jammant ou bien chacun apporte-t-il des ébauches d’idées ?
Réponse B ! Nous composons à 95% derrière un ordinateur. Nous sommes plus à l'aise avec le le recul que nous permet l'outil informatique. Les idées peuvent venir de n'importe qui : une ligne de chant susurrée, un rythme de guitare ou de batterie, parfois une simple idée d'intention musicale...L'ordinateur nous permet de mettre les idées en pratique immédiatement et de voir si elles nous mènent à quelque chose que l'on appréhende correctement. Nous apprenons ensuite individuellement nos parties et les restituons en répétition.
Vous citez fréquemment Opeth ou Arcturus comme principales influences. Y a-t-il des groupes ou artistes que vous écoutez et qui vous semblent honteux d’aimer?
On ne réfléchit pas la musique en ces termes-là. Tout ce qu'on écoute nous construit en tant que musiciens, mélomanes, auditeurs. S'il y a quelque chose en art qu'on a honte d'aimer, ce n'est pas de notre responsabilité, mais de celle de l'inconscient collectif qui décide qu'il s'agit d'une oeuvre qu'on a le droit d'apprécier ou non, sur des critères plus ou moins discutables. Après, il y a les questions de goûts, mais ce n'est pas l'objet de ta question.
Je trouve que le qualificatif « progressif » s’adapte particulièrement à votre musique. Est-ce que ce terme vous dérange ou bien est-ce une fierté d’être rattaché à cette étiquette?
Ce n'est pas une priorité pour nous de faire une musique "progressive" : on écrit la musique que l'on entend, et il s'avère qu'elle se matérialise sous la forme de morceaux longs, avec des parties différentes, des tiroirs et développements plus ou moins inattendus. Dans le groupe, on a tendance à considérer qu'à partir du moment où, en musique, on a une intention (qu'il s'agisse de se classer quelque part ou de faire quelque chose "qui fait comme"), toute tentative tendant vers celle-ci est vouée à l'échec stylistique ou à la maladresse par manque d'honnêteté ou d'authenticité. Il est important de créer des choses que l'on aime et pense sincèrement, pas des choses qu'on aimerait faire.
Vous avez une esthétique particulièrement léchée, notamment pour votre artwork ou vos photos promos. En quoi l’esthétique joue un rôle pour vous ? Y-a-t-il des films entre autres qui vous influencent ? Je trouve votre musique très cinématographique.
On essaye d'avoir une approche aussi satisfaisante pour le visuel que pour la musique. On ne s'imagine pas créer une musique poussée au niveau concept, histoire et univers et faire des photos en noir et blanc en tee-shirts Morbid Angel devant notre garage...idem pour la pochette : on a trouvé un mec très talentueux en la personne de Guillaume Jamet (son travail est visible à l'adresse suivante : www.guillaume-jamet.com) dont l'imaginarium se superpose parfaitement au nôtre. Et évidemment comme nous racontons une histoire, il faut que la musique soit raccord. Donc on valide totalement l'idée "cinématographique" de notre musique.
Quel est le concept développé derrière The Ivory Miracle et est-ce la continuité de Rise of The Octopus ? Le morceau était-il déjà écrit en 2010 et est-ce que vous le publiez maintenant car il n’y avait plus de place sur le premier album ?
Le concept développé dans The Ivory Miracle est dans la continuité de celui de Rise. On suit les pérégrinations d'un personnage secondaire dans Rise qui devient ici le protagoniste principal. On a commencé à l'écrire il y a un an.
Je ne te cache pas que j’ai un peu de mal avec les parties chantées, non pas à cause des mélodies ou de la voix de Florent, mais plutôt de l’accent (détail qui ne m’avait pas frappé il y a trois ans). Est-ce un fardeau de chanter en anglais, ou bien était-ce un choix naturel pour vous ?
Choix naturel. Pour nous, la sonorité de l'anglais colle plus à ce que l'on veut entendre dans notre musique. Ça ne t'aura pas échappé : nous sommes français, et l'accent n'est pas forcément notre fort ; mais il n'empêche que nous nous efforçons de soigner nos paroles et de ne pas tomber dans les écueils de certains groupes de metal chantant en anglais (dont ce n'est pas la langue maternelle) : textes minimalistes et clichés, avec parfois trop peu de contenu, fautes de grammaire, de conjugaison, etc. Mais nous en avons conscience et faisons tout pour progresser sur ce point.
Vous développez un concept s’approchant du courant steampunk. Est-ce le fait de résider dans la ville de Jules Verne ?
Nope. On est juste des fans de SF/fantastique et il se trouve que ça se recoupe avec notre démarche artistique.
Louis, je sais que tu es actif avec ton second groupe Aeris, qui vient d’ailleurs de sortir un album. N’est-ce pas difficile de concilier les deux groupes pour toi ? Comment fais-tu la part de ce que tu composes entre les deux groupes ?
Si seulement je n'avais que deux groupes...mais il se trouve que j'en ai quatre, que je fais mes études au Conservatoire de Nantes (qui me demandent beaucoup de travail également dans des domaines variés), et que je donne en outre pas mal de cours de musique. Pour répondre à ta première question, je me permettrais d'attirer l'attention des lecteurs sur le caractère étrangement exclusif du rapport qu'entretiennent les musiciens du milieu metal avec leurs groupes. Je schématise, mais j'ai le sentiment que globalement, dans le metal, avoir un groupe, c'est normal ; en avoir deux, c'est un peu se prostituer, ou en tous cas faire des infidélités à son "groupe d'origine". Dans le milieu du jazz et de la musique improvisée, jouer constamment avec des musiciens différents, c'est très courant ! C'est même mieux, car plus on côtoie des gens, des musiques et des esthétiques différentes, plus on s'enrichit personnellement et plus on développe son imaginaire, sa culture, ses capacités. Je trouve ça toujours très étonnant d'entendre des gens, jouant ou non dans des groupes, émettre des jugements sur la capacité d'un musicien à s'investir dans une formation juste sur la base du "il joue dans machin", alors même que son groupe d'origine et le groupe dans lequel il convoite une place font péniblement 10 concerts par an. C'est demander à quelqu'un un engagement parfois sans commune mesure avec l'activité réelle du groupe. Encore pour des groupes dont les engagements sont conséquents (type tournées, albums, studio, promo, etc.) et dont la superposition peut générer de réels conflits d'emplois du temps je peux le concevoir (exemple récent, la polémique entre All Shall Perish et Suicide Silence), mais parfois ces questions se posent juste pour le principe, ce qui est totalement absurde. Donc ! Pour te répondre, les dates de concerts n'étant pas légion ni chez APCE ni chez Aeris, non, concilier les deux groupes n'est pas compliqué. Je n'ai pas le même rôle dans les deux, les principes de fonctionnement sont très différents et je n'ai pas de part des choses à faire dans ce que je compose puisque dans le cas d'Aeris je n'écris pas, je suis uniquement interprète.
Votre musique dévoile toute sa richesse au fur et à mesure des écoutes, et est, à mon avis, particulièrement adaptée au format CD. Comment arrivez vous à retranscrire toutes ces ambiances sur scène ?
La magie du sample ! Nos synthés, bruitages, narrations sont enregistrés dans un séquenceur sur ordinateur. En concert, nous faisons sortir les sons dans la sono et nous jouons en synchronisation avec ceux-ci.
Bon et maintenant, à quand la suite ?
Nous travaillons sur un projet d'album pour 2014, qui contiendrait The Ivory Miracle et deux ou trois autres morceaux ; ainsi qu'un nouveau set. Nous venons d'accueillir un nouveau guitariste en la personne de Chris, qui est passionné par le live ; nous espérons ne pas le décevoir de ce point de vue.
Un dernier mot pour nos lecteurs ?
Rejoignez-nous et arpentons ensemble les détours d'un monde aux atours victoriens, déchiré entre sublime et désolation ! Blague à part, The Ivory Miracle est en vente sur notre bandcamp (http://apce.bandcamp.com) pour la modique somme de 5€ (ou plus pour les plus motivés). Votre soutien est grandement apprécié ! Rise of the Octopus est lui aussi toujours disponible.
Merci bien et bonne continuation pour la suite de vos projets !
Merci à toi pour l'intérêt porté à notre univers.
Photographies promotionnelles DR avec l'aimable autorisation du groupe