Frappe chirurgicale à Paris
De retour à Paris quasiment 20 ans après son dernier passage, le groupe Carcass a remis le couvert le 18 novembre 2013 en première partie d'Amon Amarth. A cette occasion, Jeff Walker (chant/basse) et Bill Steer (guitare), membres fondateurs du groupe, ont donné une interview exclusive à La Grosse Radio pour évoquer leur tournée, l'album Surgical Steel et le processus créatif autour.
Bonjour Bill et Jeff, merci de nous accorder cette interview. Vous êtes au milieu de votre tournée avec Amon Amarth, comment cela se passe ?
Bill : Oui cela fait deux semaines, il nous reste encore quelques semaines. Cela se passe plutôt bien, on a fini la tournée au Royaume-Uni, qui s’est bien passée pour nous, pas mal de gens nous suivent dans la plupart des villes. Les premiers shows étaient plus difficiles, notamment en Allemagne, on y retourne demain d’ailleurs [rires], on s’attend à une réaction un peu moins enthousiaste.
Qu’est-ce que ça fait de revenir à Paris après tant d’années ?
Bill : J’en suis très heureux, c’est une belle ville et une salle très spéciale. Je ne m’attends à un public nouveau, nous sommes sur une tournée d’Amon Amarth, c’est leur public. Dans certains pays, leur audience est très partisane et ne s’intéresse pas du tout aux autres groupes. Mais cela ne s’est pas passé comme ça dans tous les pays, les dates au Royaume-Uni se sont bien passées, celles en Belgique et en Hollande aussi. Du coup, on verra comment cela se passera ce soir !
Qu’est-ce que ça fait d’ouvrir pour un groupe plus jeune ?
Bill : Oui, beaucoup de fans nous demandent ça. Pour faire court : ils sont bien plus gros que nous. Il se trouve qu’ils nous ont invités, ce qui est très sympathique de leur part. On en a parlé entre nous et la majorité du groupe a voté en faveur de la tournée, j’étais le plus réticent. Je pensais que ce ne serait pas le public adéquat pour nous. Mais vu qu’on en est encore au début, je ne peux pas vraiment dire, j’espère avoir tort ! [rires] De toute façon, cela ne peut pas nous faire beaucoup de mal.
Quels sont vos autres projets de tournée après celle-ci ?
Jeff : On va passer aux Etats-Unis, au Japon, partout sauf en Europe ! [rires] On va même aller en Australie et en Amérique du Sud. De toute façon on ira partout quand on fera notre tournée d’adieux, quand elle aura lieu.
Vous allez aussi faire des festivals cet été, notamment le Hellfest pour le troisième fois, qu’est-ce que ça fait d’y retourner ?
Bill : Ça fait plaisir. C’est un bon festival, j’aime bien le public et l’atmosphère.
Jeff : C’est surprenant que cela ait lieu en France, ce n’est pas un pays qui a une bonne réputation avec le metal. Je parlais avec le manager d’Amon Amarth et il était déçu de ne pas faire salle comble à l’Olympia. Pourtant, 2000 personnes, c’est vachement bien pour Paris ! Du coup, c’est bien de revenir au Hellfest, ça c’est vraiment bien passé à chaque fois, on a pris beaucoup de plaisir à jouer là-bas. Ce sera mon cinquième passage à ce festival, je suis aussi venu deux fois avec Brujeria. Ça grossit vraiment, ça devient comme le Download Festival.
Oui, c’est le deuxième plus gros festival metal après le Wacken.
Jeff : Oui, mais au moins ce n’est pas un festival allemand [rires]. Les groupes sont meilleurs au Hellfest.
Vous êtes de retour avec Surgical Steel, 18 ans après Swansong. Qu’est-ce que ça fait de revenir après autant de temps ?
Jeff : Cela ne m'a pas paru si long. Quand on arrive à notre âge, on ne fait plus trop attention à ça. Mais ça nous fait du bien, on est contents qu’il soit bien reçu. Si c’était de la merde et que les gens l’avaient détesté, nous serions bien tristes, mais ce n’est pas le cas. C’est pour ça qu’on fait de la musique, pour que les gens l’apprécient. Je pense que c’est une réussite.
Quand avez-vous décidé de faire un nouveau disque ?
Jeff : Fin 2010, Bill m’a contacté et m’a suggéré de commencer à écrire. On a mis deux ans à le faire.
Est-ce que les tournées de reformation en 2008 et 2010 vous ont motivés à écrire cet album ?
Bill : Oui et non. Je pensais vraiment que ça devait se faire. Quand on a reformé le groupe pour faire des concerts, je m’étais dit que ce serait bien d’être créatif et d’écrire à nouveau. Mais c’était impossible à cause de deux membres qui ne pouvaient pas parce que leur priorité était Arch Enemy [Michael Amott – guitare et Daniel Erlandsson – batterie]. C’était impossible à ce moment-là.
Jeff : On a aussi vu qu’il y avait du travail qui n’avait pas été terminé. Certaines idées présentes dans Surgical Steel avaient été écrites il y a des années. Il y avait donc de la musique qu’on n’avait jamais exposée au grand jour. Certains éléments sont frais et nouveaux, d’autres sont vieux. Je pense que c’est important, on n’est pas revenus après avoir écouté Killswitch Engage ou Trivium en essayant de les copier, nous avons toujours notre propre griffe. C’est pour cela qu’il sonne comme un album classique de Carcass. Comme on dit en Angleterre : "Something borrowed, something blue" [extrait d’un dicton anglais désignant ce que doit porter une femme le jour de son mariage pour que cela lui porte Bonheur]. Il y a pas mal de vieux riffs dedans, mais nous avons incorporé des idées qu’on n’avait jamais utilisées auparavant.
De nouvelles influences quand même ?
Jeff : Il y a des éléments à la batterie qu’on n’aurait jamais pensé mettre auparavant. On a blagué avec Daniel Wilding [batterie] en disant que certaines parties ressemblaient un peu à Lars Ulrich [Metallica] dans St. Anger [rires]. Nous n’avons pas trop écouté de death metal moderne pour nous laisser influencer, mais ce sont plus de nouveaux standards musicaux qu’on a inclus, plutôt que des idées d’autres groupes. J’ai lu que pas mal de gens se sont plaints que cet album n’avançait pas assez, mais, vu qu’on a influencé pas mal de groupes, ce qu’on joue s’est assez standardisé. Du coup, cet album aurait peut-être semblé plus aventureux s’il était sorti il y a 17 ans. Mais l’eau a coulé sous les ponts depuis.
A propos des nouvelles idées, on retrouve notamment des parties acoustiques dans "Mount of Execution".
Jeff : On avait déjà un peu de parties acoustiques dans Necroticism – Descanting the Unsalubrious, certes pas très étendues. Cela ne me semble pas être si énorme.
Bill : A la base, c’était une partie écrite à la guitare électrique, mais on a trouvé que ce serait bien de la transposer vers l’acoustique au début de la chanson. Elle évolue au fur et à mesure que la chanson avance. Je pense que cette chanson est la plus criante en termes de nouveautés dans Carcass, on n’a jamais fait une chanson aussi longue et de cette humeur, donc elle a pas mal d’éléments nouveaux.
A propos de la prestation vocale, il semble y avoir plus d’émotion. As-tu changé quelque chose pour enregistrer ton chant ?
Jeff : J’ai eu plus de temps pour l’enregistrer. J’ai pris une semaine, alors qu’avant j’avais un ou deux jours. Je pense que c’est ma meilleure performance, ma voix est plus puissante qu’il y a quelques années, j’en suis très content. J’ai bien mis plus de cœur à l’ouvrage, si ça se traduit par de l’émotion, c’est une bonne chose, parce que c’est ce qui régit la musique.
Parlant de chant, on retrouve Ken Owen [ex-batteur] sur certains chœurs. Qu’est-ce que ça fait de le retrouver dans le groupe ?
Jeff : C’est bien, on a fait en sorte d’incorporer le plus d’ingrédients possibles pour faire en sorte que cet album soit légitime. Avec un autre batteur que Ken, on donne des munitions aux cyniques et aux détracteurs pour nous dénigrer. Donc l’emploi de Ken est un moyen de faire en sorte que cet album soit du pur Carcass. Regarde Black Sabbath, ils ont perdu pas mal de crédibilité avec le fait que Bill Ward [batteur] ne soit pas dessus. On prend aussi un risque parce que Ken ne joue pas de batterie, mais son esprit est là et il est tout de même présent sur l’ensemble du disque, même s’il ne joue pas, notamment au niveau de son influence passée. La batterie a une touche de Ken, et une partie des paroles aussi.
Vous a-t-il aussi aidé à composer ?
Jeff : Non, ce n’était pas possible logistiquement parlant. On aimerait bien que Ken écrive quelques riffs pour Carcass, mais ses intérêts sont ailleurs maintenant, il écrit de la dance. On aurait bien voulu lui donner une guitare acoustique, mais il est plus intéressé par ce qui est électronique. Dans l’idéal, on aurait pu transposer sa musique en parties guitare, mais c’est impossible, il n’y a pas de base rock n’roll.
Bill : De plus, quand nous avons commencé à écrire, Daniel Wilding, Jeff et moi-même trouvé la direction musicale très rapidement et cela a très bien fonctionné. Il y avait toujours de l’activité, l’un d’entre nous qui amenait une idée et tout le groupe s’impliquait dans les arrangements.
Jeff : D’autant que pour chaque album, le compositeur principal a changé. Cet album est le premier qui a été composé à 95% par Bill. Dans Swansong, il y a beaucoup de riffs écrits par Carlo Pedagas [ex-guitariste] et moi-même, avant cela c’était surtout Michael Amott et Bill. Dans Surgical Steel, c’est surtout Bill, j’ai écrit une chanson et Dan n’a pas écrit de riff, alors qu’avant, tout le monde en écrivait. C’est une bonne chose, c’est pour ça que nos albums sonnent différemment, parce que l’équilibre de pouvoir entre ceux qui composent change constamment. Sur Symphonies of Sickness, on retrouve beaucoup de Ken, même sur Necroticism - Discanting The Unsalubrious.
Du coup, qu’en est-il des nouveaux membres, Daniel Wilding et Ben Ash [guitare], ont-ils contribué à l’album ?
Jeff : Daniel y a participé, mais pas Ben n’était pas encore dans le groupe à ce moment-là, on l’a intégré pour les concerts.
Comment les avez-vous rencontrés ?
Jeff : Daniel était déjà un peu connu, il a joué dans Aborted, Heaven Shall Burn et quelques groupes de death metal anglais [Trigger the Bloodshed, The Soulless]. Il joue de la batterie depuis qu’il a 14 ans, du coup il a pas mal d’expérience pour son âge (24 ans). On l’a remarqué quand on a tourné avec Aborted aux Etats-Unis, ensuite on a réalisé qu’il était anglais et pas belge, c’était un bon plus [rires], sachant qu’il était jeune et qu’il avait déjà de l’expérience.
Comment est l’ambiance doit être bonne dans le groupe ?
Bill : Oui, nous sommes tous basés dans le même pays, du coup on peut se réunir plus facilement pour répéter, ce qui fait que le groupe est bien plus soudé qu’avant. C’est une bonne équipe.
Jeff : Quand tu arrives à notre âge, tu fais plus attention à la personne que tu as en face de toi. Dan a 24 ans, mais je ne sens pas vraiment de différence d’âge. On a plus de maturité dans nos relations. Quand tu es jeune, il t’arrive de dire n’importe-quoi sans te soucier de savoir si tu fais du mal à la personne en face de toi ou pas.
Pas d’écart générationnel du coup ?
Jeff : Seulement avec Ben, mais il n’a que 10 ans de moins [rires], c’est un peu un enfant des fois. Je pense que c’est bien d’avoir des membres plus jeunes dans le groupe, il y a plus d’énergie. Ce line-up est plus fort que celui de la reformation, il y a plus d’animation et cela ressemble plus à un groupe qu’à…
Bill : Qu’à quatre personnes qui viennent d’endroits complètement différents avant de monter sur scène, c’était vraiment comme ça.
Jeff : Le groupe répète plus, du coup tout est plus réel.
Comptez-vous sortir un album après Surgical Steel ?
Jeff : J’espère que oui, tant qu’on a une direction musicale à prendre. On ne veut pas sortir un album juste pour en sortir un. Il y a 80% de chances pour qu’on s’y remette, mais il y a aussi 20% d’incertitudes. Si on ne propose rien de nouveau, à quoi ça sert ?