Nergal, leader de Behemoth

"Nous explorons des territoires dans lesquels nous n’avions jamais été"
 

Artiste reconnu dans le milieu du death metal, Nergal, guitariste et chanteur du groupe polonais Behemoth, a accordé une interview à la Grosse Radio. Il y évoque l'ensemble du processus créatif de The Satanist, nouvel album du groupe, les débuts difficiles du groupe, ce qui s'est passé après qu'il ait guéri du cancer qui l'a frappé en 2010 et les autres activités de Behemoth.

The Satanist vient 5 ans après Evangelion. Comment le places-tu par rapport ce disque ?

Je pense qu’il est différent et qu’il a sa propre identité, sa propre atmosphère. Quand tu l’écoutes, ça sonne comme Behemoth, évidemment, tous nos albums ont ça en commun. Mais je le place  avec Evangelion, Demigod et Satanica, qui sont mes albums favoris de Behemoth.

Behemoth Nergal

Pourquoi avoir donné un titre français à la 3e chanson, Messe Noire ?

C’est venu de manière assez accidentelle, je dois dire. Je n’avais pas de titre pour celle-ci, juste les paroles, la chanson était finie. Pour certaines, le titre vient en premier, pour d’autres, comme celle-ci, il vient en dernier, c’est différent à chaque fois. Je me souviens, au moment où je cherchais le titre, un ami designer graphique m’a envoyé ce calendrier cultuel français du 18e siècle. Il contenait  beaucoup d’éléments incantatoires, des éléments de numérologie, des dessins et des trucs assez fous. Et ce titre, "messe noire" est ressorti. Je sais qu’il a déjà utilisé, Acheron l’a fait par exemple. Mais j’ai senti qu’il fallait l’utiliser. Le français est une belle langue. Je ne le parle pas, mais j’apprécie sa mélodie, c’est une langue très poétique. Avec votre Histoire et les mystères que votre culture contient, cela y ajoute de la valeur. Du coup, ce titre ajoute un aspect magique à cette chanson. De toute évidence, cela ne sonnerait pas du tout pareil en Portugais ! Bien sûr, je n’ai rien contre le Portugal !

Merci ! Comment as-tu choisi le titre de l’album, The Satanist ?

Je me souviens, je revenais en avion du Tuska festival (Finlande) en avion et j’étais assis à côté d’un homme d’affaires. Il a sorti un magazine intitulé "The Economist". A ce moment-là, j’avais trouvé le titre de cet album ! C’est arrivé de manière très accidentelle. Je suis très content de l’avoir trouvé. On a reçu de nombreuses critiques pour avoir nommé un album de manière aussi clichée. Mais je n’ai pas trouvé d’autre groupe qui a nommé ainsi son album. Si je ne l’avais pas fait, aucun autre groupe n’aurait donné ce titre à son album. C’est tellement cliché que personne n’y a pensé, un peu paradoxal, n’est-ce pas ? [rires] C’est un titre vraiment fort, qui est connecté avec un des archétypes les plus forts de la culture occidentale, Satan, qui, je pense, est un personnage incompris et mal interprété. Dans la Bible, on en fait un démon, un personnage négatif, alors qu’il représente des valeurs qui correspondent à celles de beaucoup d’êtres humains ambitieux et amoureux de la liberté. Du coup, je le perçois sous une perspective très différente. Je suis peut-être contre l’opinion générale, mais pour moi, ça sonne juste, c’est un concept rebelle, libre, poétique et ça correspond parfaitement à la musique.

Est-ce que cela correspond à la chanson-titre ?

Je ne sais pas, il faut que tu l’écoutes, que tu lises les paroles et que tu te fasses ta propre opinion dessus. Dans la musique et les paroles de Behemoth, il y a beaucoup de métaphores, et de choses à côté, ce n’est jamais terre à terre. Nos paroles sont multidimensionnelles, il faut lire entre les lignes pour capter leur sens. Je ne veux surtout pas que Behemoth donne des réponses aux gens. Le but de notre existence est de poser des questions. Nous ne faisons que donner des outils, et c’est à chacun de les utiliser comme bon lui semble. Je ne donne pas de réponse, même si on me le demande. Je me pose sans cesse des questions et à mesure que j’apprends, je me rends compte que je suis un ignorant. “The more you know, the more you know you don't know and the more you know that you don't know.” C’est l’une des plus belles choses de la vie ! [rires].

Behemoth Nergal

Tu avais déclaré que The Satanist était l’un des albums  les plus aventureux de Behemoth. Pourquoi ?

Avec cet album, nous explorons des territoires dans lesquels nous n’avions jamais été. Les structures sont bien plus proches des chansons de rock, il y a plus de groove et moins de shreds et de blasts, parce que ce sont des choses que nous avons déjà faites. Du coup, nous avons décidés d’être plus musicaux, plus magiques, plus artistiques, dans tous les sens de ces termes. Je pense qu’on a réussi à nous définir de la manière qu’on a voulu.

Pourquoi avoir choisi "Blow your Trumpets, Gabriel" comme single ?

Déjà, parce que c’est une chanson d’ouverture. Nous avions toujours choisi la troisième ou quatrième chanson du disque par le passé et nous avons voulu changer cette fois-ci. Il y a neuf chansons, mais chacune pourrait être choisie en tant que single, car elles sont toutes différentes, avec une atmosphère et un groove qui ne sont jamais les mêmes. Du coup, j’ai choisi la première, mais cela aurait pu être la dernière ou celle du milieu, cela n’a pas d’importance. L’album est fait pour être écouté en entier, il forme une unité. Tu peux prendre des chansons à part, mais tu ne peux pas dire qu’une est représentative de l’ensemble.  "Blow your Trumpets, Gabriel" est une chanson puissante, elle combine différentes atmosphères, elle a un début très unique. J’avais d’ailleurs pensé à la choisir comme single au moment-même où on répétait les chansons avant de les enregistrer. Le clip est différent de ce qu’on a fait avant, assez dérangeant, très artistique, sans rock n’roll ou image du groupe en train de jouer, c’est sinistre.

Comment as-tu perçu la réaction du public quand tu l’as jouée avant qu’elle soit diffusée ?

La réaction était bonne. Les paroles n’étaient pas encore publiées et je pouvais voir certains fans essayer de suivre mes lèvres et de chanter avec moi. C’est très touchant de les voir essayer de chanter alors qu’ils ne connaissent pas les paroles. C’est une preuve qu’ils aiment le groupe, et les retours sont excellents, les gens accrochent tout de suite, du moins à la première moitié, parce qu’après, c’est un apocalypse sonore, avec des chœurs et tout, c’est difficile à suivre.

Comment te sens-tu avant les prochains concerts que tu vas donner ?

Je suis impatient de commencer cette tournée ! J’ai hâte de rafraichir la setlist, de jouer de nouvelles chansons, des chansons qu’on n’a jamais jouées. Parce qu’avant ça, on n’a pas changé les chansons depuis la tournée Phoenix Rising et on en a marre, on veut changer tout ça. En plus, on va mettre en place une nouvelle mise en scène, on va faire quelque chose de spectaculaire, avec nos lumières et des effets pyrotechniques.

Penses-tu que ta leucémie et l’épreuve que ça t’a fait subir a influencé ton écriture ?

Je suis sûr que oui. Je ne peux pas dire précisément où, mais cela influence l’atmosphère du disque. D’un côté, il y a un aspect sinistre tout le long. Un ami m’a dit que c’est l’album le plus catchy qu’on ait jamais fait, mais qu’on sent qu’il y a quelque chose qui se terre derrière tout ça, prêt à attaquer. Peut-être que c’est ça, l’influence du cancer ! [rires] D’un autre côté, je me sens plus vivant en ce moment que je ne l’ai jamais été. Je pense que ce disque est aussi plein de vie et très positif.

Cela doit être pour ça que, sur scène, tu dis "It’s great to feel alive".

C’est une phrase très forte et directe. C’est ainsi et c’est pour ça que je l’ai choisie pour présenter la chanson "Conquer All", qui parle de combat et de surmonter les obstacles, malgré les fortes pressions.

Qu’est-ce que ça t’a fait de rencontrer ton donneur ?

C’était touchant. Ça fait bizarre. C’est comme avoir un nouveau frère de sang. J’en ai déjà un, qui a huit ans de plus que moi, et maintenant, j’en ai un autre. C’est étrange. Tu le vois, et tu te rends compte qu’une partie de toi est aussi une partie de lui. Je ne sais pas si j’arrive à bien m’en rendre compte et à bien comprendre ça. Je pense que je me suis retrouvé en train de pleurer un petit peu, c’était une expérience très forte. C’est un jeune homme de 25 ans, un mineur. Je pense que je le verrai bientôt.

Est-ce pour cela que tu as mis ton sang dans l’artwork de l’album ?

Le sang est, de toute évidence, un symbole de vie. Je donne tellement pour le groupe, je suis en quelque sorte esclave de ma vision artistique, je voulais faire un sacrifice plus fort en incluant une partie de moi dans l’artwork. Cela a un sens très symbolique. Cela créé un lien plus fort que jamais entre Behemoth et moi.

Behemoth The Satanist

Parle-nous de ton rôle de SS dans le film Ambassada. Certains ont perçu ta photo en uniforme comme une provocation.

Il y a des gens qui trouvent de la provocation dans tout ce que je fais ou dis. Il s’agit d’une comédie sur les nazis. Il y a  des gens qui me critiquent parce qu’ils ont des motivations politiques. Les gens qui me connaissent savent que je n’ai aucune connexion politique, il serait stupide de penser que je serais lié à des idées nazies ! [rires] J’y joue Joachim von Ribbentrop, le ministère des affaires étrangères allemand de l’époque. C’est un film cool. Il y a une chanson légendaire qu’on joue dedans qui s’appelle "le rêve de Varsovie" (Sen o Warszawie), par un artiste légendaire en Pologne.Cela a créé une controverse de voir Hitler et Ribbentrop chanter cette chanson, ça répand la confusion, c’est mon travail.

Parle-nous de la collaboration avec Game Over Cycles pour le modèle de moto à l’effigie du groupe.

Ils nous ont contacté et nous ont annoncé qu’ils feraient une moto inspirée du groupe. Je pense que ce n’est jamais arrivé avant, j’aime bien être le premier. Cette moto tue, elle est spectaculaire, elle roule bien, je l’ai essayée. Ce n’est pas une moto de ville, c’est une œuvre d’art épique et monumentale, qui correspond à notre musique. Nous comptons la vendre aux enchères en Pologne, pour une vente qui collecte de l’argent pour soigner les enfants malades. C’est un gros évènement en Pologne. Si on la vend à un bon prix, beaucoup d’enfants pourraient être soignés, avec des machines qui soignent le cœur et d’autres équipements. Chaque année, cette organisation collecte de plus en plus d’argent. Nous avons pensé que c’est excellent de la part d’un groupe sataniste de collecter de l’argent pour les enfants malade, ça marche très bien pour moi ! [rires]

Parle-nous de ton livre autobiographique.

C’est avant tout un livre d’interviews, donc il y a des éléments autobiographiques, avec des éléments de mon enfance. Mais je n’ai que 36 ans, du coup je vais attendre encore 30 ans avant de sortir une véritable autobiographie Je travaille actuellement sur une traduction en anglais, donc j’espère que cela sortira fin 2014.

Behemoth Nergal

Parle-nous de la vie d’artiste en Pologne à l’époque communiste.

J’avais 12 ans quand le communisme est tombé, du coup, quand Behemoth s’est formé, la Pologne était déjà un pays démocratique. Nous étions pauvres, je me souviens, nous avons fait notre premier enregistrement avec une guitare que mon père m’avait fabriquée. Cela donne idée de la situation économique dans laquelle on était. Mais à force de persévérance, on peut maintenant en vivre et tourner dans le monde entier. J’en suis très heureux et je remercie chaque personne et chaque fan qui nous a permis d’avoir ce niveau. Je vis la meilleure vie possible. Merci à tous les fans pour le soutien, j’espère vous voir nombreux au Bataclan le 11 février.
 



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