L'entité du jour est bicéphale, la première tête lorgnant vers les contrées montagneuses de la Norvège et l'autre vers les territoires … remplis de montagnes de la Suisse. Mais ce qui a surtout intéressé votre serviteur, c'est que notre jeune et jolie formation s'annonce comme étant dans la veine de The 3rd and the Mortal, The Gathering ou encore Ulver. Il n'en faut pas plus pour susciter un intérêt certain et une envie de découvrir, non seulement, qui se cache derrière un tel projet et aussi ce que vaut la musique proposée par les deux compères.
Lethe est le fruit du partenariat entre Anna Murphy, désormais célèbre dans la sphère du metal pour ses travaux avec Eluveitie, et ce bien que sa place en tant que chanteuse reste plutôt restreinte, la jeune femme se contentant souvent du second rôle au niveau de la répartition vocale. Elle démontre plutôt ses talents dans sa carrière solo. Elle s'associe avec Tor-Helge Skei, du groupe fraîchement reformé Manes. Voilà une collaboration sacrément intéressante, qui, si elle est menée à bien, peut offrir un son de grande qualité ! When Dreams Become Nightmares va donc tenter de convaincre son auditoire et de forger une crédibilité artistique à notre duo.
Là où les deux collaborateurs ne mentent certainement pas, c'est quant aux influences citées ci-dessus. On retrouve effectivement les touches électroniques et expérimentales qui caractérisent si bien les norvégiens d'Ulver, ainsi que l'aura pleine de mélancolie dégagée par les deux musiciens qui n'est pas sans évoquer celle que The 3rd and the Mortal parvenait si bien à transmettre. Quant à The Gathering, cette inspiration se retrouve à la fois dans l'approche électronique (« Oblivion » semble directement tirée de leur galette si culte qu'est How to Measure a Planet?) , mais également dans l'interprétation de la charmante Anna, qui n'est pas sans rappeler Anneke à de nombreux moments (et notamment sur « Come Look at the Darkness With Me » ou « You »). Bien sûr, les timbres plutôt différents l'un de l'autre permettent d'octroyer à la suissesse une personnalité différente de l'icône néerlandaise et ainsi de se démarquer de celle qui semble être une sorte de modèle quant à sa façon de chanter. On ne se fait donc aucun souci sur cette question là : Lethe n'est pas un simple copier-coller de ces grands noms chers à bon nombre d'amateurs de metal. Certes, on ne peut nier l'impact que ces formations de grand talent ont eu sur le duo, mais celui-ci n'applique pas bêtement cette formule bien connue et déjà rabâchée. Un effort tout à fait louable de leur part !
Lethe it be!
Jouer entre divers genres et repousser les barrières stylistiques n'est jamais un exercice aisé, mais qu'importe les conventions bien définies, le combo décide de n'en faire qu'à sa tête. Le résultat final termine donc dans un mélange assez bien dosé de rock, d'electro, de trip-hop et de metal. On sent toutefois que les deux artistes ne souhaitent pas se fixer de frontière musicale et expérimentent au gré de leurs envies. Cela peut aboutir à un résultat d'excellente qualité (« Love Pass Filter », « You »), mais parfois l'aboutissant se révèle parfois quelque peu décevant (« Ad Librum », piste sans grand intérêt). Il sera également possible de leur reprocher de jouer la sécurité et de ne pas pousser l'expérimentation à son apogée, mais pour une première carte de visite, c'est un choix parfaitement compréhensible et logique. Et, après tout, il y a dans When Dreams Become Nightmares une multitude de très bons arguments qui jouent en la faveur de Lethe.
Leur principal atout réside surtout dans la qualité de la composition. Chaque pièce possède son petit charme, son intérêt tout particulier, et les ambiances qui émanent du flacon sont enivrantes. On prendra pour preuve « In Motion », ouverture du disque, qui met déjà en condition pour préparer à la suite du voyage. Véritable synthèse des talents du duo, affirmer que cette piste est représentative de la suite des événements est à la fois véridique, et erroné. Le morceau pose certaines bases, mais ne possède pas la même approche ni les mêmes ficelles qu'« Oblivion » ou « Transparent ». Jouant ainsi sur une réelle diversité musicale, Lethe est capable du meilleur dans des registres très variés. Tantôt plus rock / metal (« Haunted »), tantôt privilégiant le trip-hop (« Oblivion »), les facettes sont multiples mais arrivent à se raccrocher les unes aux autres. Parmi les morceaux mémorables, on retiendra ainsi aisément l'opener mais aussi l'accrocheuse « Haunted », la touchante « You » ou encore la plus longue « No Reason », atteignant presque les dix minutes, mais restant captivante sur toute sa durée.
Évidemment, la livraison ne serait pas si jouissive si les performances vocales n'étaient pas au rendez-vous. De ce côté là, pas de déception. Tor-Helge est bien moins présent que son acolyte, mais ses interventions sont très bien senties et sa voix ne manque pas de profondeur. Anna est donc la star sur ce plan, et l'impression qu'elle nous laisse ici est très positive. On regrettera cependant quelques passages un peu criards, qui ont tendance à crisper un tantinet. Ce point négatif ne vient heureusement pas entacher le bilan, tant la belle semble impliquée dans l’œuvre et met du cœur à l'ouvrage. Sa palette est riche, très surprenante, et celle-ci s'approprie les lignes de chant d'une bien belle façon. Avec de telles armes à sa disposition, elle s'impose ainsi comme une figure de proue plus que crédible.
When Dreams Become Nightmares est un album perfectible mais qui remplit très bien le contrat. Grâce à des titres très travaillés, des inspirations digérées et une formule très savoureuse, Lethe laisse une belle trace dans les sorties efficaces de l'année 2014 et donne plus qu'envie d'entendre à nouveau le fruit de la collaboration entre ces deux artistes. A suivre avec attention, car ce n'est que le début des aventures de nos deux compagnons.