De nos jours, quel intérêt peut-on trouver dans l’écoute des nouvelles sorties power ? Embourbé dans ses clichés affligeants, dans ses schémas préconçus, le style peine sincèrement à se renouveler et seule la nostalgie des chefs d’œuvre d’antan pousse quelques irréductibles à s’informer sur ce qui se fait actuellement au royaume des guerriers, elfes et dragons. Entre des groupes qui essayent tant bien que mal de faire avancer le genre en l’agrémentant de quelques nouveautés, empruntées à une autre branche de l’arbre métallique, et d’autres qui revendiquent un traditionalisme obtus, il est difficile de dénicher les rares œuvres intéressantes qui émergent chaque année.
Néanmoins, les teutons de Sinbreed disposent d’un atout précieux pour aguicher le regard des curieux : la présence de Marcus Siepen et Frederik Ehmke, respectivement guitariste et batteur de Blind Guardian. Rien de tel que d’être associé à l’un des derniers noms forçant encore le respect dans ce style moribond pour attirer l’attention. Après un premier album fort convaincant, les germains comptent bien enfoncer le clou avec Shadows.
Ici point d’intro symphonique cheap, Ehmke montre en quelques secondes que son recrutement chez Blind Guardian ne doit rien au hasard avant que notre paire de guitariste nous assène un riff percutant et savoureux : "Bleed" ouvre l’album de la meilleure manière qui soit. On retrouve l’habituelle rigueur du power allemand mais avec en plus ce savoir-faire mélodique qui rend un morceau mémorable. La production est soignée, la rythmique appelle le headbang et surtout, les lignes vocales sont en béton. Herbie Langhan et son timbre si particulier nous évoquant aussi bien Mark Tornillo (Accept) que Russel Allen (Symphony X) , constitue l’atout principal de la formation. "Bleed" annonce la couleur avec ses couplets vigoureux, son pré-refrain plein de hargne avant de ravir l’auditeur avec un refrain fédérateur qui laisse s’exprimer tout le talent de Herbie. Ainsi même lorsque les compo se montrent plus bancales comme sur un "Far Too Long" lorgnant vers le speed teuton anecdotique, le vocaliste parvient à sublimer l’ensemble avec un refrain qui fait mouche
L’album ne s’autorise aucun temps mort et il faudra attendre les deux derniers morceaux pour voir le tempo se ralentir. Un parti pris risqué mais qui s’avère payant quand on voit la qualité du pesant "Shadows" au riff thrashy ou de l’enivrant "Leaving The Road" qui se rapproche des morceaux les plus percutants de Blind Guardian (notamment ceux d'Imaginations From The Other Side). Mais malgré cette énergie débordante et cette double pédale omniprésente, le groupe maintient cette nuance mélodique qui empêche toute lassitude. Même lorsque l’atmosphère est plus pesante comme sur "Black Death", le groupe sait tempérer ses ardeurs avec un refrain subtil, suivi d’un passage plus groovy avec une rythmique saccadée (à 1 :43) permettant de ménager l’auditeur avant de reprendre l’embardée speed metal.
Les compositions ne sont pas d’une originalité saisissantes et se rapprochent de la branche musclée du power allemand avec un côté thrash qui n’est pas sans rappeler l’excellent Easton Hope d’Orden Ogan (avant le plus décevant To The End) mais Sinbreed sait offrir une accroche particulière qui empêche les morceaux d’être redondant et de sombrer dans l’anecdotique. Si l’on excepte le "Broken Wings" final, la structure de ces dix titres est basique, peu alambiquée ou particulièrement inventive. Sinbreed ne mise que sur une chose : l’efficacité. On peut d’ailleurs regretter que le très léger "London Moon" ne dispose pas d’un refrain aussi abouti que sur les autres morceaux tant son riff accrocheur laissait entrevoir un hit heavy fort sympathique.
Pour conclure en beauté, les teutons nous offre donc une plage épique, "Broken Wings" qui montre que le groupe est capable d’aller plus loin dans son écriture avec son intro acoustique apaisante, son pré-refrain très solennel, assez beau même si on sent que notre vocaliste joue ici sur un terrain qu’il maitrise moins, puis ce refrain portée par une lead lancinante qui nous fait immédiatement songer au jeux d’André Olbrich, avec en fond des chœurs angéliques sans être pompeux : un final de toute beauté. Même si cela est plus secondaire, il est intéressant de souligner la qualité du solo, notamment avec un motif très catchy à partir de 3.54.
Est-ce que que Shadows est l’album qui va remettre le power dans le droit chemin ? Non clairement pas, cet album n’invente rien et ne bouleversera pas ce petit monde du speed mélodique. Et pourtant Sinbreed signe l’une des sorties les plus solides de ce début d’année en écrivant des chansons soignées et efficaces. On n’en demandait pas plus.
7.5/10