Plus profond que la folie...
Die Apokalyptischein Reiter a toujours été un groupe à part et difficilement classable dans la scène metal européenne. Non contents de surprendre à chacune de leur sortie par des compositions entre folie et hymnes improbables, le quintet allemand a décidé de rabattre ses cartes en prenant à contre-pied toute la foule de metalleux attendant ce nouvel album avec impatience. Car non, ce Tief (accompagné de son Tiefer acoustique dont nous ne parlerons point ici - voir en bas de chronique) n'a rien de banal et va même au-delà du supposé univers connu des improbables Reiter. Au-delà de toute réalité metallistique et par delà les conventions, ce nouvel opus prévu ce 30 mai 2014 chez Nuclear Blast en laissera plus d'un sur le carreau et attira la curiosité de beaucoup d'autres...
Il faut d'abord savoir que Tief signifie "profond" dans la langue de Goeth, et si ce n'est pas au niveau d'une production plus organique qu'il faudra spécialement chercher une certaine profondeur, on sent que le travail sur chaque morceau a été poussé à son paroxysme, donnant à chaque morceau plusieurs couches d'écoutes et ce même si certains d'entre eux paraissent plus direct. Les arrangements y sont légion, bien disséminés tout au long de l'opus, le travail au piano et claviers de Dr. Pest y est par exemple souvent sublimes. Avant de se poser la question d'une certaine cohérence pas toujours évidente, on peut souligner ce travail du déjanté aux doigts de fée sur la magnifique ballade "Ein Vöglein" au piano exquis ou sur diverses ambiances magistrales entre "En leichtes" ou encore "Wo es Dich gibt" qu'on en regretterait presque qu'une mise en avant supplémentaire ne soit pas parfois envisagée. Car il est vrai que cela est compliqué lorsqu'on décide d'habiller sa musique d'influences aussi diverses que variées allant de la pop au rock en passant par le post, la fusion ou l'indus.
Plongez dans l'univers de Die Apokalyptischen Reiter...
Ce crossover de genre est bel et bien un tournant pour Reiter, ce Tief n'a plus grand chose en commun avec les précédentes sorties même si le disque paru en 2011 laisser paraître quelques tentatives intéressantes comme ce mythique "Dr. Pest" (la chanson, pas l'homme). Bien sûr, DAR nous avait déjà habitué à certains délires, allant même une fois jusqu'au reggae, mais cela sentait plus la parenthèse ironique qu'une volonté de surprendre. Ici, cela semble s'inscrire comme une nouvelle marque de fabrique, et il n'y a guère plus que le chant de Fuchs toujours aussi caractéristique et quelques claviers pour dire que la musique écoutée sur cet album est bel et bien du Die Apokalyptischen Reiter.
Sans concession, l'approche metal se plus d'une fois mise en retrait pour une touche plus calme qui met en avant un côté plus fusion. La basse de Volk-Man est plus bavarde que jamais, ce qui confère un intérêt supplémentaire à des titres très rythmés comme le très bien pensé "Die Wahrheit", l'ethnique "Die Welt ist tief" que System of a Down ne renierait pas ou ce groovy "Was" lui aussi proche de la bande à Serj Tankian ou rappelant en son intro le très convaincant nouvel album de Prong. Avouez-le, jamais vous n'auriez pu imaginer ces groupes cités un jour dans une chronique de Reiter, et pourtant... Et comme si la fusion ne suffisait pas, rajoutons également au-delà des frontières une ambiance souvent pop/post-rock des plus énigmatiques, le quasi interlude piano "Ein Vöglein" en tête (où Fuchs est touchant comme jamais, s'essayant presque à un chant épique sombre qui aurait mérité un développement plus long et plus poussé du morceau), "Es wird Nacht" qui la suit avec une tonalité quasi jazz sur sa basse et sa batterie ou le très déstabilisant "2 Teufel" entre U2 et Kvelertak. Et que dire de la conclusion très rock voire pop "So fern" ? Une petite énigme, pour un morceau certes sympa mais qui confère au disque une conclusion que l'on croirait presque hâtive.
Heureusement, DAR conserve quelques touches metal, mais celles-ci sont TRES loin de ce que nous avions pu connaître auparavant. Dès l'entame et son single "Freiheit, Gleichheit, Brüderlichkeit", nous sommes bousculés dans nos principes notamment via cet effet dubstep qui lance les débats de façon impitoyable. On croirait entendre du Rammstein moderne jusqu'à ce refrain très enlevé tout en restant sobre, probablement le meilleur de l'album avec justement le morceau qui suit. "Wir", ou une ambiance indus encore plus poussée, très germanique avec son chorus à la Crematory (claviers fantomatiques à l'appui) réhaussé d'une superbe voix dark death qui fait son effet... peut-être le meilleur titre de l'opus avec l'interlude émotionnel déjà évoqué. Il y a d'ailleurs au final plus de bons morceaux que de titres qui nous laissent sur notre faim, ce qui malgré le changement de style et quelques incompréhensions est plutôt rassurant tant le changement de cap s'avère radical et complexe à assimiler.
Voici le style d'album qui va totalement diviser les avis. Entre ceux qui voudront le sabrer ne reconnaissant plus du tout le groupe qu'ils ont tant aimé et ceux qui salueront une prise de risque très osée en soulignant le grand travail réalisé par le groupe, il y aura une vraie bataille. Situons-nous donc honnêtement plus ou moins entre les deux, car en toute objectivité Die Apokalytischen Reiter entame plutôt bien ce qui semble être une mue complète (à confirmer à l'avenir, mais il semblerait que le combo aurait envie de pousser encore plus loin l'expérience, jugeant cet album encore trop... metal, c'est dire !), il reste encore quelques petits points à régler avant de les voir comme des poissons dans l'eau dans cette nouvelle approche musical mais le talent des musiciens ainsi que d'écriture ne fait aucun doute sur ce Tief. Nous regretteront peut-être un changement trop brutal qui laisse certains morceaux quelque peu incompris malgré l'enchainement des écoutes, un détail qui sera très certainement réglé à l'avenir par un combo des plus talentueux. Quant au style plutôt folk death bien barré qui jalonnait leurs précédentes sorties... en faire le deuil sera compliqué, espérons qu'il en subsistera quelques émanations sur scène.
Note : 6.5/10
PS : L'album sortira avec un second CD intitulé Tiefer et comprenant des reprises acoustiques de quelques tubes bien connus du groupe. Nous n'avons malheureusement pas pu disposer de cette seconde partie qui sera pourtant proposée dans chaque sortie et donc pas pu (pour l'instant) vous en proposer la chronique.