Bathory – Under the Sign of the Black Mark (1987)

The return of more Darkness and Evil... than ever !!

Comment ne pas ressentir tout à la fois l'honneur qui m'est donné aujourd'hui de rédiger une chronique « hommage » tant au talent et à la mémoire de Quorthon - l'homme derrière l'entité Bathory - qu'à cette oeuvre considérée comme un des albums fondateurs du 'black metal', et ne pas éprouver en même temps comme une pointe de trac face à une telle responsabilité, quand on sait à quel point la discographie de la formation suédoise et cet opus en particulier sont encore chéris et respectés par des millions de fans à travers le monde, soit 27 ans après sa parution et déjà 10 ans jour pour jour depuis la disparition de son géniteur ? Allez, on souffle 2 minutes et on se lance...
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Qu'est-ce qui peut faire d'un album comme celui-ci un monument aujourd'hui encore ? Quand Quorthon s'attèle à son enregistrement en 1986 (l'homme a cette fois renouvelé tout son line-up pour l'occasion), il peut déjà compter sur une 'fan base' des plus honorables pour une jeune formation. Cette consécration précoce, il la doit à ses deux premiers essais, le mythique album éponyme de 1984 (avec sa belle tête de bouc en couverture !) suivi un an plus tard de The Return ( ... of the Darkness and Evil, si l'on veut citer son nom complet et complètement incorrect grammaticalement parlant !). Deux disques dont l'aspect sauvage, tout autant emprunté à Motörhead qu'à la scène speed/thrash naissante (Slayer et Sodom en tête), n'avait d'égal que le parfum de soufre qui s'en imprégnait déjà, dans une lignée auparavant défraîchie par des Venom, Mercyful Fate ou encore la descendance Hellhammer/Celtic Frost. Pas étonnant de fait que les amateurs en attendent encore plus ! Ils ne sont pas les seuls : à l'époque, Quorthon lui-même est en fin de compte un peu déçu de The Return..., tant au niveau du son qu'il juge un peu flasque et 'brumeux' que par la conduite du disque proprement dite, qui reflète bien selon ses dires l'atmosphère pataude, pesante et amorphe de « gueule de bois collective » ayant rythmé les sessions d'enregistrement. Le musicien souhaite revenir à la radicalité du premier album, moins 'heavy' donc mais gardant le côté sombre du précédent, avec cette fois des tempos plus rapides que jamais et un son nettement plus tranchant.
 

Quorthon 1987 © Tony Mottram
Quorthon, 1987 © Tony Mottram
 

Dès les premières attaques sur ce fort bien nommé "Massacre", on peut dire que l'homme y est parvenu. C'est bien simple, Mayhem n'a même pas encore sorti son Deathcrush que Bathory vient déjà de poser ce qui serait la colonne vertébrale de toute la scène black métal norvégienne pour la décennie à venir, bien vite imitée (à sa manière) par la Suède, fière et reconnaissante du vilain petit canard (ou mouton noir, si on veut rester dans le thème...) qu'elle a porté en son sein ! En effet, dès ce premier titre sans concession (et qui, pour briser un peu le mythe, tire son inspiration de la bataille de 'Little Big Horn' en 1876, soit la déroute écrasante de l'armée Américaine du général Custer face à Sitting Bull et ses guerriers Indiens !), il n'est pas difficile de deviner ou de percevoir (comme plus loin, sur un "Equimanthorn" aux couplets tout aussi décapants - et à l'intro repompée sur 'Les Dents de la Mer', soit dit en passant...) ce qui aiguillera la démarche d'un Gorgoroth, d'un Marduk ou d'un Immortal quelques années plus tard (un certain Abbath Doom Occulta empruntera d'ailleurs  à Quorthon - dans un registre un peu plus grave et plus 'raclé' - sa diction et son placement de voix bien caractéristique). Bathory a réellement fait évoluer et affirmé sa signature vocale en comparaison avec le précédent disque, où les voix se faisaient plus lointaines, fantomatiques (amis de la reverb', bonjour!...) et "boueuses"... Approche que creuserait d'ailleurs en son temps un Darkthrone, pour ne citer qu'eux.

Retrouvant ainsi la vigueur de ses débuts, des tueries qui font mouche il y en aura à foison sur ce Under the Sign of the Black Mark (album qui au passage aurait dû s'appeler "Nocturnal Obeisance", titre qui fut finalement choisi - avec une belle faute de frappe ! - pour l'intro énigmatique ouvrant les hostilités)... Cette profusion n'ayant d'ailleurs rien d'étonnant étant donné qu'après le succès des deux premiers opus, Quorthon lui-même avouait écrire sans arrêt et pouvoir pondre ce genre de petites douceurs - qu'il considérait plus comme des titres de 'remplissage' qu'autre chose - en cinq minutes montre en main, à l'instar ici de ce "Of Doom" de clôture (dédié aux fans, loin de la misanthropie et de la froideur distante inhérentes au genre !) et autres "Chariots of Fire" (une chanson sur la Guerre Froide et le nucléaire - thème d'ailleurs déjà abordé par "Total Destruction" sur l'album précédent - , rien à voir donc avec Vangelis ou le film dont il s'inspire, encore moins avec l'occulte cette fois...).

Ces morceaux se caractérisent par une fureur électrique jamais atteinte auparavant par Bathory. Il faut dire que pour atteindre l'intensité voulue, le musicien a emmené avec lui au Heavenshore Studio (le même où fut enregistré le premier album) des tonnes et des tonnes d'amplis 'Marshall' de puissance poussés dans leurs derniers retranchements... Le studio, des plus exigus (rien à voir avec celui où fut enregistré The Return...), n'en demandait évidemment pas tant, et les potards de la table de mixage passent régulièrement dans le rouge ! Plus tard, quand le propiétaire du studio et les voisins (!) demandèrent à Quorthon de « jouer moins fort », ce dernier devrait se résoudre à jouer sur un petit 'Rockman' de "blueseux", au grain fort peu adapté pour le métal extrême... Au final, satisfait des possibilités de compression que l'ampli offrait (ainsi que des sonorités 'punk' et 'garage' obtenus, que le musicien chérissait particulièrement), il finirait par réenregistrer dessus la majeure partie des riffs, ainsi que les 'overdubs' ! Le pur souffle des amplis 'Marshall' se ressentant surtout, quant à lui ... dans les micros de la batterie qui les repiquent bien accidentellement, en raison du fort volume général ! Ce qui contraindra le groupe et l'ingé-son à réenregistrer les parties du batteur en essayant tant bien que mal de les isoler différemment, ou bien à les retravailler en passant par des moyens plus 'synthétiques'. Le résultat, après ces laborieux tâtonnements, forgerait pour l'éternité ce son chaotique que tant d'autres formations après eux tenteraient en vain d'imiter...

Quant à cette frappe de brute à laquelle on associe inévitablement l'album, il est intéressant de savoir qu'elle n'était pas le fait d'un monstre de puissance ou de technique type Barker, Hellhammer, Roddy et autres Pete Sandoval, mais d'un musicien plus branché par le punk et le hard-rock traditionnel à la Kiss, se destinant en outre à un cursus dans la musique classique ! Le tout juste majeur Paul Lundberg, puisque c'est lui dont il s'agit, initierait donc grandement Quorthon aux grandes symphonies (influence qui prendrait de plus en plus de place dans sa musique) ainsi qu'à la musique de Manowar découverte par hasard tout récemment... Un peu dubitatif quant au fait de devoir jouer à des tempos aussi effrenés (surtout pour l'époque !), Lundberg se ferait finalement un malin plaisir d'enregistrer ses parties en plusieurs 'sections' séparées puis recollées, rajoutant parfois l'overdub d'un seul élément par-ci par-là pour pouvoir en venir à bout. Quant au bassiste, Christer Sandström, plus âgé d'un an à peine et recruté un peu in extremis (!) faute de postulant approprié habitant sur place, il serait bien vite congédié avant la fin des enregistrements (laissant à Quorthon la tâche de mettre en boîte le reste...) en raisons d'influences trop 'glam' et 'hard US' qu'il aurait voulu pouvoir apporter à ses parties dans Bathory ! Ce qui ne pouvait guère faire bon ménage...

 

 

Une puissance de frappe digne des Tambours de l'Apocalypse, un son baveux et saturé à souhait, et une patte "extrême" plus affirmée que jamais, il ne manquait plus à ce disque que ses 'hymnes'...

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En ralentissant un peu ses tempos pour varier un peu les plaisirs, Bathory allait en offrir un tout premier à sa carrière, avec le premier morceau directement dédiée à la figure qui lui avait inspiré son patronyme, la sulfureuse Élisabeth Báthory !... Ce sera "Woman of Dark Desires", avec ce premier refrain 'chantant' - et non plus seulement braillé sans aucune modulation - d'une longue série (cf le "Eeee-quiii-maaan-thooorrnnn!!!" dont je vous entretenais plus haut, les choeurs morbides de "13 Candles" - histoire d'une Vierge qui enfante le fils de Satan - et surtout en attendant "Blood, Fire, Death" l'année suivante...). Avec également pour la première fois l'intervention d'un discret synthé et d'un clavecin renforçant la dimension 'gothique' du thème et les atmosphères, sans jamais tomber dans de la pantalonnade théâtrale à outrance, à l'instar de bon nombre de ses futurs disciples n'ayant pas la même notion de 'bon goût' ... Enfin, il n'est pas inutile de repréciser non plus que Quorthon n'a jamais voulu - au contraire de Mayhem - signifier via le nom de son groupe une quelconque influence de Venom (cf leur morceau baptisé du nom de la Comtesse...), combo qui contrairement aux apparences était parmi les plus éloignés des aspirations du musicien, bien que cela fut contredit par certains de ses anciens musiciens, et ce même si lui aussi reconnaîtra plus tard avoir exploité la fibre "satanique" à des fins délibérement ludiques et provocatrices ainsi qu'en guise d'argument commercial, 'coming-out' aux allures de sacrilège inimaginable aux yeux des puristes que ferait également le trio infernal de Newcastle... Toujours est-il que sur son propre morceau en hommage à la sanglante Erzsébet, c'est à d'autres Anglais que Bathory rendait indirectement hommage, les vétérans de la NWOBHM Saxon, auxquels Quorthon emprunta donc la structure de base du morceau "Machine Gun" pour "Woman of Dark Desires" (même si les similitudes sont loins d'être franchement flagrantes !), dans une lecture autrement plus 'extrême' il va sans dire...


Autre grand 'classique' parmi les classiques : "Call from the Grave" . Au-delà de ces longs cris plaintifs et écorchés - parmi les premiers du genre - , de ce mid-tempo cadencé tout autant macabre que martial, comme celui d'un "13 Candles" un poil ralenti (tous deux allaient certainement inspirer un Varg Vikernes pour son "Lost Wisdom", ainsi que quantité de vrais groupes de black NS après lui - pour les incultes qui catalogueraient encore Burzum dans cette catégorie...), au-delà encore de ce thème de « l'enterré vivant » brillamment mis en musique, il y a surtout ce poignant solo, bancal de prime abord (Quorthon n'était pas un premier de Conservatoire, c'est aussi pour ça qu'on l'aime !) mais somptueux au final, revisitant la "Marche Funèbre" de Chopin dans une apothéose harmonique à trois guitares ! Le restant de l'album se ponctuant souvent de ces plus ordinaires soli déchaînés sur la fameuse « gamme Bathory » que Quorthon maîtrisera de mieux en mieux (on se rappelle notamment la 'lead' magique de l'éponyme "Twilight of the Gods" sur l'album du même nom...) mais qui en ces heures primitives évoquent toujours un peu le caractère sauvage de ceux d'un Kirk Hammett sur le Kill 'em All de Metallica, avec beaucoup moins de virtuosité il va sans dire, mais tout autant de conviction dans l'exécution !
 

"Enter the Eternal Fire" est le dernier morceau de bravoure qu'il convient d'évoquer, d'une durée de près de 7 minutes alors inédite pour Bathory, et qui préfigurait de la tournure plus "épique", voire 'Nordique' (quand bien même les paroles donnent dans l'occultisme pur jus !), qui donnerait plus tard naissance au style 'Viking Metal' et à toute la scène qui allait éclore par la suite (demandez donc à Thyrfing ou Falkenbach !), à partir des albums Hammerheart (dont notre rédac'chef Ju de Melon vous conte ici tous les détails...) et Twilight of the Gods. Plus encore, Quorthon lui-même avouera que c'est grâce aux bons échos et à l'affection toute particulière des critiques et des fans concernant ce titre mid-tempo qu'il se sentira inspiré pour écrire des morceaux de la même trempe 'visuelle' et musicale dès l'album suivant - le cultissime Blood, Fire, Death - avec "A Fine Day to Die" (qui inspirerait durablement un Emperor bien avant qu'ils ne la repennent sur un 'tribute'...) et le morceau-titre de l'album qui en serait aussi le point culminant.
Avec sa fausse entame à la "Child in Time" de Purple, cette pièce qui effectivement nous fait littéralement «entrer dans les flammes éternelles» se veut une longue évocation de la rencontre d'un homme avec le Cornu, au cours de son chemin initiatique de la Vie vers la Mort, délivrant ainsi le véritable premier titre 'fleuve' et conceptuel de l'histoire du Black Metal, trois ans après le "At War with Satan" de Venom... Et la grande force de ce Under the Sign of the Black Mark fut peut-être justement de donner de la structure à toute la puissance évocatrice, visuelle autant que sonore, du genre "black metal" émergent, ainsi que cet aura irremplaçable dont les deux premiers opus n'étaient qu'un bien 'mauvais' présage.

Francisco De Goya - The Great He-Goat - Witches Sabbath
Francisco De Goya, Le Sabbat des sorcières, 1798 

 

Ces histoires de Grand Cornu ne seraient d'ailleurs pas sans influence sur le succès de l'album, car outre les thèmes explorés dans les paroles et en musique, elles donneraient indirectement naissance à l'une des pochettes parmi les plus mémorables de sa génération ... à ne pas être une peinture, mais bel et bien une photo retravaillée ! Initialement marqué par un tableau de Goya, Quorthon voulait utiliser sur la pochette de l'album une figure similaire de Bouc surplombant une assemblée de figures de la gent féminine. Pour ce type de mise en scène, il fallait forcément un modèle qui en imposait et un décor digne de ce nom, pour ne pas sombrer dans un "kitschissime" au rabais digne du mini-'Stonehenge' de Spinal Tap... Usant de ses relations, notre homme dénicha les deux : le premier en la personne du body-builder Suédois Leif Ehrnborg, et rien de moins pour le second que l'arrière-scène de l'Acte II du 'Carmen' de Bizet par l'Opéra Royal de Suède ! Seulement, comme il n'eut pas été envisageable - tant d'un point de vue pratique que financier surtout - de louer et de déplacer tout le décor, il fut convenu que Ehrnborg monterait seul en scène pendant les quelques minutes avant le lever de rideau du second Acte, paré d'un masque de Bouc et brandissant un os de boeuf encore incrustée de chair putréfiée (que Quorthon utilisa sur plusieurs sessions-photos...), et donc que le cliché devrait alors être pris en vitesse durant ce court intervalle ! Quant aux filles dénudées initialement prévues pour entourer le Diable (engagées et déjà sur les lieux, ce qui eut au moins le mérite pour certains de se rincer l'oeil !), il fallut faute de place et en dernière minute se contenter de quelques perruques dépassant de-ci, de-là, lesquelles n'apparaissent même pas sur la pochette finale... Le reste appartient désormais à la Légende.

Qu'il s'agisse de mettre en scène son imagerie de la manière la plus tapageuse qui soit, ou bien à l'inverse de rester dans le secret de son anonymat (pas de photos de groupe, ni de concerts - même si le batteur des Danois d'Artillery ou encore Witchhunter de Sodom furent un temps approchés en vue de tournées!) *, histoire de contribuer encore davantage à toute la 'mystique' qui l'entourait, Bathory était décidément plus que jamais à l'avant-garde de la scène extrême !

* Il se dit d'ailleurs que le Wacken Open Air aurait proposé à Quorthon, dans ses dernières années, une somme inimaginable pour que Bathory se produise au fameux festival, proposition que ce dernier aurait cordialement déclinée... 
 

Quorthon © Tony Mottram, 1987
Quorthon, crachant le feu © Tony Mottram, 1987

 

Ainsi s'achève ce petit tour d'horizon, sûrement encore bien incomplet tant il y aurait de choses à dire sur cet album, autant d'ailleurs que de choses insaisissables qui relèvent du domaine de l'indicible. Il faut surtout comprendre que par cette pièce-maîtresse de sa discographie, Bathory ne se contentait pas de repousser les limites de la sauvagerie bestiale (l'influentielle scène UG sud-américaine - Sarcofago et son I.N.R.I. en tête - s'en chargerait avant lui, véritable source d'inspiration pour les jeunes pousses Norvégiennes !). Quorthon allait surtout exploiter au mieux le potentiel visuel et conceptuel qu'offrait cette musique en pleine éclosion, la portant enfin à maturité et ouvrant par là-même la brêche dans laquelle toute la scène extrême allait s'engrouffer à sa suite ! C'est à cette dimension plus faussement théâtrale, dramatique et 'spectaculaire' (mais jamais au sens péjoratif du terme) qu'il nous faut rendre aujourd'hui hommage, car c'est bien à la pointe de la plume machiavélique de ces petites histoires mises en musique que Bathory allait écrire et entrer dans l'Histoire.

Merci pour tout, Monsieur Quorthon...

(à suivre)

LeBoucherSlave

Crédits photo : Tony Mottram © 
Sources : www.bathory.nu , ainsi que diverses interviews de Quorthon


 


 



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