En 1995 naquit Antichrisis, formation allemande pratiquant à cette époque une musique assez éloignée du rock gothique/folk qu'elle nous propose aujourd'hui. Et il fallut à l'époque attendre 2 ans pour voir la première livraison du groupe d'outre-Rhin apparaître, un opus du nom de « Cantara Anachoreta », sur Ars Metalli. En 2010, les choses ont bougées chez nos teutons et une réédition de l'album est désormais disponible via le label Tunguska Records . Cette réédition, c'est un peu le bon goût des émotions retrouvées …
Tout commence par une introduction à la Pink Floyd dans l'ambiance (petit clin d'œil au morceau « High Hopes »), donnant déjà la couleur de ce brûlot : une atmosphère triste, une rythmique lente, voguant dans les rivages du doom, des grunts froid mêlés à un chant semi-opératique, le tout avec une noirceur profonde, c'est ce qui vous attend. L'impression se confirme au vu du second morceau, « The Endless Dance », où tout s'enchaine à merveille : l'ambiance médiévale succède à un break atmosphérique, lui-même précédé d'un doom sombre aux guitares lentes et pesantes. Le maître d'œuvre Sid connaît son sujet et son talent de composition permet à ce qu'une piste si riche soit agencée d'une manière à faire parcourir l'auditeur progressivement dans son monde, l'entraînant d'une destination à une autre tout en restant cohérent. Les mélanges entre grunts, chant clair féminin, cris, chant clair masculin et vocaux lyriques se succèdent, s'enlacent, se donne la réplique, donnant toute sa puissance à l'art d'Antichrisis.
D'ailleurs, la relative complexité et la durée de cet album ne joueront pas toujours en sa faveur, quelques légères longueurs se feront ressentir par endroits, amputant de sa beauté à la galette. Longueurs que l'on retrouvera dès « Requiem Ex Sidhe », qui aurait pu devenir un incontournable si quelques passages moins intéressants avaient été retranchés. Bien sûr, ça reste bon, mais moins. Il en va de même avec « Descending Messiah » qui sombre malheureusement pendant une partie du morceau dans quelque chose de plus plat, assez fade et qui ne procure pas le plaisir le plus immense et l'intensité la plus folle. D'un doom gothique, les allemands montrent qu'ils sont capables de varier de styles, par le très teinté black « Baleias », où le grunt froid et poignant à la fois prédomine et guide l'auditeur, à des morceaux aux accents bien plus pop, menés par une belle guitare acoustique sur les couplets. « Goodbye to Jane », morceau où le chant féminin s'exprime de façon bien moins lyrique est attachant, et évite avec perfection le piège de la sauce popisante mièvre en usant des guitares sur le refrain et via divers breaks. Et par l'emploi du mot pop, ne pensez pas une seconde à ce genre de musique mainstream qu'une Britney Spears et son fade « Everytime » aurait pu produire. On parle de morceaux profonds, pas de soupe, s'il-vous plait. Vous aurez donc compris que l'ensemble regorge de détails, de variations, d'une diversité remarquable (malgré quelques similitudes) et d'une émotion puissante, malgré des longueurs assez présentes. Ce qui fait toute la puissance d'Antichrisis, c'est de se forger une personnalité musicale très forte, à avoir leur propre son. Une touche d'originalité du meilleur goût.
Côté production, le son est clair et nettement suffisant pour rendre l'ensemble cohérent, sans placer les guitares au second plan, avec une basse audible, seule la batterie est parfois un peu compressée, dommage. Le remix a cependant donné à l'album quelques couleurs modernes supplémentaires, bien vues et ne faisant aucunement d'ombre à la magie de l'époque. Réédition agrémentée d'un titre supplémentaire, « Beautiful Wolves », que l'on découvre avec plaisir même s'il n'apporte rien de spécial à l'ensemble.
Les vocaux, eux, se partagent entre les grunts et la voix claire de Sid, et les différents types de vocalismes de Willowcat, la chanteuse. L'alternance entre les deux est assez régulière, souvent du plus bel effet, comme sur « Her Orphaned Throne » où chaque voix guide le tempo et la musique, régulant entre ombre et lumière, jouant sur cet effet. Les grunts sont très intenses, pouvant exprimer rage et puissance tandis que le chant féminin attendrira et apportera une touche d'espoir dans une atmosphère triste. Seulement, les fausses notes régulières de Willowcat dans les tons lyriques peuvent se révéler crispants et bloquent le passage de l'émotion. Elle pourtant si touchante dans des tessitures plus pop, sans se forcer, telle sa prestation magistrale sur « Goodbye to Jane ».
Imparfait mais tellement beau, la recette prend immédiatement et ce « Cantara Anachoreta » fait office d'un opus sensiblement touchant. L'achat de cette réédition, comprenant donc une bonus track, est donc fortement recommandé pour vous permettre de vous délecter des émotions que procure cette première œuvre d'un combo malheureusement trop méconnu et qui, je l'espère, arrivera à percer au grand jour, tant sa personnalité et sa sincérité sont fortes. A noter que dorénavant, le groupe accueil une nouvelle chanteuse dans ses rangs, Ayuma, qui espérons-le, apportera le meilleur pour Antichrisis.
Note finale : 8/10
Site officiel d'Antichrisis (avec possibilité de téléchargements gratuits)