Aaaah l'Allemagne... sa bière, son patrimoine culinaire, sa langue poétique, et bien sûr, ses bouchons sur la route. Mais point de jérémiades aujourd'hui. Pour vous, La Grosse Radio est prête à parcourir les quatre coins du monde!... Ou à faire 1h30 de route, plutôt. Mais ce n'est déjà pas mal, soyez heureux! C'est donc au 7er Club de Mannheim que joue Obscure Sphinx. Formation polonaise injustement méconnue officiant dans un registre post-metal / sludge, celle-ci est auteure d'un disque nommé Void Mother, sorti l'an passé, et qui aurait très certainement terminé dans mon top 10 de l'année 2013 si je n'avais pas eu le malheur de découvrir ce disque le 1er Janvier 2014... ouais c'est pas de chance.
Regret : l'affluence. Si celle-ci se limitait à une trentaine de personnes à 20h30 (heure à laquelle le concert devait commencer), on ne peut pas dire que la salle se garnira davantage au fur et à mesure que le temps passe. Une poignée de connaisseurs, donc, arborant t-shirts de sludge tels Kylesa ou Amenra. On ne peut tout de même s'empêcher d'avoir un léger pincement au cœur pour le combo, qui joue pour la deuxième fois de sa vie en Allemagne, et qui devra interpréter son set devant une foule très clairsemée, malheureusement. Ceci étant, le placement de la salle en pleine zone industrielle, semblant peu desservie par les transports en commun, n'arrange sans doute rien à la situation.
FLARES
C'est dans les alentours de 21h que les Allemands de Flares prennent place sur scène. Le quatuor (du moins sur scène), originaire de Saarbrücken, va donc devoir batailler avec le peu de monde présent pour tenter d'imposer ses compositions aux quelques non-initiés dans la salle. Bien sûr, en connaissant le genre dans lequel officie la tête d'affiche de la soirée, on s'imagine tout de suite que les quatre musiciens verseront dans une musique inspirée par Mastodon, par exemple... perdu, on est loin du compte, le décalage stylistique prévoyant ainsi une soirée éclectique, mais réussie tout de même.
Car Flares, c'est avant tout une belle découverte. L'ensemble lorgne fortement vers un registre post-rock, et, surtout, totalement instrumental (mais ça, c'est le style qui l'exige). S'il est ainsi possible de penser à Isis de ce côté, Flares s'approche bien moins vers l'univers metal et ce en dépit de quelques accélérations bienvenues, redonnant un bon coup de fouet aux morceaux délivrés par les Allemands. Les évocations tourneront davantage vers d'autres grands noms du genre, God is an Astronaut ou Jakob par exemple. Mais bien que n'étant pas réellement d'une énorme originalité, le groupe est en mesure d'offrir un ensemble cohérent et solide, démontrant une véritable application mais également un travail sur l'ambiance assez poussé. Là où beaucoup pourraient tomber dans un piège insipide et ennuyer leur public à vitesse grand V, ces options sont exclues dans le cas qui nous intéresse.
Il faut bien reconnaître que le temps alloué à Flares n'est pas énorme, seulement une demie-heure, ce qui constitue une sympathique mise en jambe pour le plat de résistance. Mais chaque membre est appliqué à son instrument, joue en se faisant plaisir et le set en devient ainsi encore plus appréciable. Le claviériste Mike Balzer parlera de temps en temps au public, juste ce qu'il faut pour ne pas casser la dynamique du concert, et laisser l'effet planant des pistes nous charmer encore avant de balancer la suivante. La formation semble ainsi témoigner d'une certaine expérience. Trente minutes qui passent très vite, et une bonne surprise pour le public présent. A suivre, quoi qu'il en soit.
OBSCURE SPHINX
Mais il est déjà temps de passer à la tête d'affiche, après un petit changement de décor. La formation ne joue pas avec une scène dépouillée, mais prévoit déjà deux grands drapeaux où la poupée du disque Void Mother se dresse, nous regardant de son air... vide, et sinistre à la fois. Indéniablement, un bon moyen d'avoir une atmosphère encore plus intense. Et après quelques vérifications de son et de matériel, c'est parti pour le set, qui commence sous la fumée. En effet, et ce plusieurs fois pendant le concert, les Polonais se servent d'une machine projetant une épaisse fumée, presque étouffante, mais qui met en exergue cette volonté du quintette de miser avant tout sur son ambiance, et de littéralement happer la foule. Les petits plats sont mis dans les grands, et on sait que les choses ne seront pas faites à moitié quand l'introduction « Air », tirée du premier disque Anaesthetic Inhalation Ritual, retentit.
Et là, dans la fumée, elle apparaît. Cette créature étrange nommée Wielebna, de son véritable nom Zofia FraŠ›. Difficile de décrire un tel personnage, tant il est unique, et dispose d'un charisme et d'un jeu de scène qui montrent une implication qui force le respect. Recouverte de faux sang sur les bras et de bandelettes des épaules jusqu'aux mains, la jeune femme n'hésite pas également à jouer avec une palette d'effets, afin de proposer un panel d'émotions large. Précisons tout de même qu'il ne s'agit en rien de camoufler de quelconques failles dans son interprétation, bien au contraire : sur le plan vocal, la chanteuse a vraiment de quoi faire pâlir de jalousie plus d'une consœur ou d'un confrère. Son spectre vocal est extrêmement étendu, passant de cris déchirants (« Parangnomen ») à des chants hurlés typiques du sludge ou du post-metal (« Lunar Caustic »), sans oublier d'envoûtantes voix claires, le tout maîtrisé impeccablement. Cette frontwoman, en plus de posséder plus d'une corde à son arc côté chant, est aussi taillée pour la scène en vivant ses morceaux. Tantôt immobile, tantôt se lançant dans des mouvements schizophréniques, Zofia semble être telle une poupée désarticulée s'animant au rythme de la musique. Plus l'instrumentale est puissante, plus son jeu reflète les émotions communiquées par les morceaux. Impressionnant.
Du coup, il est assez difficile de quitter des yeux un tel spectacle, bien que la musique offerte par Obscure Sphinx invite également à se laisser aller à quelques rêveries de circonstance. Car oui, le combo se lance aussi dans des passages instrumentaux longs et envoûtants, ce qui laisse à Zofia un peu de temps pour se reposer. Mais, surtout, ceux-ci permettent d'aérer la musique, et de ne pas la rendre trop dense. De cette façon, les respirations qui sont offertes plongent encore plus fortement le spectateur dans les morceaux quand l'ensemble redevient lourd, puissant, lent mais hypnotique. L'effet combiné du sludge et du post-metal. Si Wielebna semble ainsi être au centre des préoccupations et occuper l'espace comme il se doit (en allant jusqu'à s'enrouler par terre dans son propre fil de micro... ouais y a des gens comme ça), le reste des musiciens n'est pas à oublier, notamment le bassiste Blady, qui n'hésite pas, lui aussi, à pousser quelques hurlantes qui secouent, sur deux morceaux. A noter, par ailleurs, la présence à la batterie de PaweŠ‚ Jaroszewicz du groupe Hate, qui remplace Werbel, toujours blessé et n'ayant pas pu prendre part à la tournée.
Qui dit sortie l'an passé, dit album à promouvoir et la setlist sera évidemment bien orientée sur ce disque. Même quelques interludes telles « Void » seront jouées, laissant le champ libre à Zofia pour mettre tout le monde dans sa poche. Il faut dire que l’enchaînement n'est autre que LA pièce maîtresse de Void Mother : « The Presence of Goddess ». Plus de quinze minutes au compteur, qui défilent à une vitesse absolument incroyable. Le combo restitue cette pièce massive en entier, n'oubliant pas chaque petit détail, et si le ravissement est déjà grand sur format physique, il est intense au moment de voir un tel titre sur scène. Ainsi, le combo se doit de jouer un titre plus court derrière, et cela tombe bien vu que « Lunar Caustic » va donner une belle leçon d'efficacité dans la tronche, terrain de jeu idéal pour la Polonaise qui joue sur de nombreux registres vocaux, tandis que ses compagnons assènent le coup de grâce. L'une des particularités d'Obscure Sphinx, c'est de ne quasiment pas communiquer avec la foule et ainsi laisser les titres passer les uns après les autres avec fluidité. Zofia ne s'exprimera qu'avant la piste de conclusion, et aura du mal à camoufler une réelle timidité qui contraste complètement avec son attitude scénique. La scène serait-elle ainsi un exutoire pour la chanteuse? Méditons là-dessus avant de conclure.
Voilà comment résumer ce set : grosse baffe dans la tronche. Tant le jeu de scène, que l'ambiance, que le décor ou la musique. Tout est maîtrisé jusqu'au bout des doigts et pourtant, le public n'a pas l'impression d'assister à un show froid, calculé mais vide d'émotions. Les Polonais se sont fait plaisir, et la foule leur rend bien en réagissant positivement. Si Obscure Sphinx passe non loin de chez vous, ne ratez cela sous aucun prétexte. La formation est encore bien trop méconnue dans nos contrées, ce qui est bien dommage compte-tenu de l'excellente prestation d'aujourd'hui et de leurs sorties discographiques tout aussi agréables. Merci à eux pour ce superbe moment.
Photos : © 2014 Anima Nigra / Anima Nigra
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