Si les noms pullulent, à l'internationale, dans le monde élitiste de la guitare, notre douce France ne peut, elle, pas se vanter de posséder beaucoup de shredders tricolores. Dans ce minuscule peloton de tête, il y a cependant forcément Stéphan Forté, qui oeuvre de manière discrète - mais stable - depuis plus d'une décennie au service de la six (sept !) cordes. Nous lui avons soutiré quelques confessions, à l'occasion de la sortie de son deuxième album solo, Enigma Opera Black.
Carmyn : Bonjour Stéphan ! Tu viens de sortir un nouvel album ; il s’intitule Enigma Opera Black, et c’est ton deuxième effort solo. Peux-tu nous conter un peu sa genèse ?
Stéphan Forté : Je l’ai commencé il y a un an, un an et demi. Je me suis chargé de la production, avec Kevin Codfert (clavier d’ Adagio, qui s’était déjà chargé du Archangels In Black, et du premier album solo de Stéphan). Au niveau de mon équipe, nous retrouvons Franck Hermanny à la basse, Kévin aux claviers donc, et Morgan Berthet à la batterie.
Carmyn : Au niveau du son, des sonorités de cet album, on trouve des choses très intéressantes. Il y a un petit solo de basse sympathique sur un des morceaux, d’ailleurs, avec un son dans l’esprit d’un Muse ; c'est-à-dire un son avec beaucoup d’effets, un peu comme un synthclavier.
Stéphan Forté : Oui, c’est sur « Enter Sigma Scorpii ». Bon, c’est la bonne vieille histoire de la blague sur les bassistes : ils te disent toujours « on ne m’entend pas assez ! » ; alors, en studio, avec Kévin, nous lui avons tout simplement demandé, un jour, de jauger le volume de son son dans la chanson, à sa convenance. Alors, une fois que le son de basse était au maximum et dépassait presque tout le reste derrière, il nous a dit : « ah là c’est parfait, on m’entend bien ! ». Nous avons bien rigolé, et du coup l’avons laissé comme ça dans le morceau. Je crois que c’est le solo de basse le plus fort qui ait jamais été enregistré …
Carmyn : Contrairement à beaucoup de guitaristes qui ont une démarche plus « shred », il semblerait que tu sois davantage à la recherche d’ambiances – même si l’on distingue évidemment pas mal de passages plutôt « challenging », sur ton nouvel album, et que le tout est loin d’être dénué de technicité. Je qualifierais ta sensibilité artistique comme plus « européenne », et ton parti-pris, celui de l’édification d’une œuvre dans l’esprit classique, voire musique de film.
Stéphan Forté : En effet, ma démarche est (et a été, là) bien plus musicale au sens large, que guitaristique. Le but était pour moi de travailler sur une ambiance, d’en créer. Autant mon premier album était plus « guitare », avec des plans de shred notamment ; autant, sur celui-ci, il a été avant tout question de jouer sur les effets, les sonorités, quitte à ce qu’il n’y ait pas de guitare parfois. Il y a, d’ailleurs, plus de riffs et d’ambiances, qu’autre chose. Ce n’est pas un album pensé « guitare », mais un album pensé « il faut mettre les auditeurs dans une ambiance ».
Carmyn : J’aime beaucoup le dernier morceau, qui me rappelle, par exemple, le morceau « Ascension » de Wojciech Kilar sur la B.O. du film Dracula (Coppola, 1992), dont il me semble que tu es familier, d’ailleurs. Qu’utilises-tu dessus ? C’est un synthé ?
Stéphan Forté : C’est de la guitare ! Ce sont des effets, en réalité. Pour ce morceau, c’est simple, j’ai voulu dire la chose suivante : « Ok, j’ai tout déballé. J’ai dit tout ce que j’avais à dire, et ai sorti tout ce que j’avais de plus sombre en moi. J’ai enfin fait la paix avec moi-même. J’ai fait mon exutoire. »
Carmyn : Le côté dark est, à mon sens, ce qui te distingue de tes pairs. Quant à ta pochette (signée Rusalkadesign), elle m’évoque « Stéphan & la Chocolaterie » ! Je te sais fan de Tim Burton, Danny Elfman, et de l’imaginaire de leurs films.
Stéphan Forté : Le concept était de retranscrire la magie, l’énigmatique, le bizarre, la peur ; mais avec les yeux de l’enfance. J’ai placé dans la pochette divers éléments qui me ramenaient à mon imaginaire d’enfant, et finalement le résultat s’est avéré faire très Alice au Pays des Merveilles ! Mais ça n’était pas voulu, en réalité.
Carmyn : Comment s’est passée sa conception ?
Stéphan Forté : Rusalka et moi-même sommes plutôt psychopathes du détail. Je lui ai expliqué ce que je voulais trouver dans la pochette, et il a reproduit ; mais nous nous sommes retrouvés à ajouter sans cesse des choses, et à échafauder, véritablement, le visuel.
Carmyn : Où puises-tu ton inspiration ? Qu’est-ce qui t’influence au quotidien ?
Stéphan Forté : Tout. Mais pas vraiment la vie réelle, que je trouve décevante. Le quotidien des gens est décevant. Alors je me sors de ça au maximum, et tente de puiser dans le monde imaginaire, fantastique. L’art qui m’entoure et me touche prend des formes diverses : musique, cinéma, peinture, les arts sombres. J’aime beaucoup le peintre Jackson Pollock, par exemple, pourtant à l’opposé de ce que je fais. Ses œuvres sont une explosion d’énergie.
Carmyn : Ah ? Je te voyais plus m’évoquer quelqu’un comme Hieronymus Bosch …
Stéphan Forté : Ah oui, aussi ! Je l’aime beaucoup, mais pour des raisons différentes.
Carmyn : Ou les peintres de la Renaissance, par exemple. Mais puisque l’on parle de Renaissance, j’aimerais que nous parlions un peu « néo-classique ». Lorsque je t’ai connu, tu venais de faire la première partie d’Yngwie Malmsteen. Te considères-tu toujours, à l’heure actuelle, comme un guitariste néo-classique, ou est-ce à présent éculé ?
Stéphan Forté : Oui, je me considère comme un guitariste néo-classique : pas dans le sens plus moderne de l’expression, mais au sens « amateur de musique classique ». Le terme « néo-classique » a cette connotation « années 80 », Richie Blackmore, Malmsteen. Je suis dans la mouvance néo-classique à fond, mais pas dans ce sens-là. Plutôt au sens : intégrer des éléments de musique classique dans un univers plus metal.
Carmyn : Sur « Sector-A », tu utilises des sons electro. On te sait amateur de groupes tels que Fear Factory, Dimmu Borgir, Meshuggah … Comment réussis-tu à établir la passerelle entre ces diverses sonorités ?
Stéphan Forté : J’aime beaucoup VNV Nation, Suicide Commando, et les éléments dubstep, par exemple. Ils font partie de mon environnement, alors trouvent tout naturellement leur place dans ma musique.
Carmyn : A la Muse ?
Stéphan Forté : A la Korn, plutôt ! Et l'album que personne n’aime : The Path Of Totality (2011).
Carmyn : Tu es toujours là où on ne t’attend pas !
Stéphan Forté : C’est ça !
Carmyn : Tu as invité ton ami Marty Friedman sur cet album : la chanson "Zeta Nemesis" me rappelle tout à la fois Cacophony, Becker & Friedman avec « Jewel » (Dragon’s Kiss de Friedman, 1988), Megadeth sur Rust In Peace (1990).
Stéphan Forté : Je suis fan de ce que tu viens de citer, alors forcément. Particulièrement Rust In Peace avec Friedman, et puis « Five Magics » et ses soli que j’adore. Je suis particulièrement amateur de cette époque, et comme je suis frustré, comme beaucoup de gens, de ne plus l’entendre jouer ce genre de choses, je me suis dit : « avec mon album, je vais lui faire rejouer ce style ! ». J’ai donc composé une partie très inspirée par cet album, et cette chanson, donc, et lui ai envoyé en me disant « on va tenter, voir comment il réagit ! ». Il faut savoir qu’il ne veut plus vraiment en entendre parler, de cette ère… Mais surprise : au lieu de m’envoyer balader, il m’a répondu : « Ecoute, c’est très prog, assez compliqué … Si tu peux me composer une partie différente, pour moi, ce serait cool. ». Je me suis exécuté, et ai ainsi gardé la partie « Megadeth » en question pour moi ! Sinon, pour l’anecdote, il faut savoir que Jason Becker devait figurer sur mon album. Il devait composer une partie solo. Mais il n’était pas en grande forme à ce moment-là, et ce sera donc pour une prochaine fois.
Carmyn : J’ai adoré la chanson « Pure », très ambiante et empreinte de feeling. J’y ai trouvé une recherche guitaristique à la Satriani, en termes d’expérimentation sonore. Mais au-delà de ça, elle me parle beaucoup. Quelles images avais-tu en tête lorsque tu l’as composée ?
Stéphan Forté : Je voulais faire quelque chose de très aérien, avec un son plus crunch, et une approche épurée. Et ça a donné cela.
Carmyn : Euh … C’est tout ?
Stéphan Forté : (hésitant) Oui …
Carmyn : Il y a pourtant quelque chose de très onirique dans cette chanson … J’ai du mal à croire que tu composes au hasard. Tout est trop enchevêtré et complexe pour ça.
(Devant notre insistance, il finit par en dévoiler plus)
Stéphan Forté : Non, jamais ! En effet. Toutes mes compositions ont un sens profond, bien souvent caché. Elles sont toutes attenantes à une part de ma vie et de ma personnalité, que je dévoile au monde, mais que je n’ai, paradoxalement, pas envie d’expliquer. Je vais vous confier quelque chose d’assez personnel, mais … Je pratique pas mal l’autohypnose, le travail sur mon subconscient, qui peut passer par la méditation par exemple ; ces pratiques mènent toujours à un moment d’apaisement, d’évasion complète. C’est précisément ce sentiment de survoler librement le monde qui nous entoure que j’ai voulu retranscrire ici.
Carmyn : Tu es un artiste plutôt discret, aux antipodes du genre à pavaner sur Youtube avec des vidéos de démonstration ostentatoire ; mais en même temps, tu as un rôle assez actif dans la scène en elle-même, de par tes fonctions de professeur de guitare, démonstrateur pour Ibanez, tu proposes également des services de consulting pour autres artistes aspirants, et enfin a monté ton propre label pour promouvoir ton disque. Tu es un peu partout, finalement.
Stéphan Forté : J’essaie d’être sur tous les fronts. Par contre, j’ai un peu de mal avec les vidéos de démonstration Youtube, il est vrai … Il faudrait cependant que je m’y attèle un jour, que je propose de temps à autre des vidéos. Mais je le ferais à ma manière, en respectant mon univers.
Carmyn : Dernière question : Ibanez !
Stéphan Forté : Je suis très heureux et fier d’être endorsé depuis peu par Ibanez, et du fait qu’ils m’aient réalisé un modèle signature. Pas besoin de la présenter, c’est une très grosse marque, hyper sérieuse et réactive. C’est le top !
Liens utiles :
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Ibanez
Reportage photo de notre photographe : Arnaud Dionisio / Ananta Photo
Merci à Ingrid & Stéphan !