L'annonce de la résurrection du Damage Festival, après une première édition couronnée de succès en 2012 avait fait grand bruit... Et à raison, puisque les organisateurs avaient annoncé que, cette fois, le festival se tiendrait sur deux jours, ayant chacun leur thématique musicale propre. L'affiche de la journée "métal progressif" était particulièrement impressionnante, allait-elle tenir toutes ses promesses ?
Novelists
Pour commencer… Eh bien pour commencer, une bonne partie du public aura loupé Novelists, l’ouverture ayant eu lieu dix petites minutes avant le début du concert. On sait bien que la sécurité n’est souvent pas gérée par l’organisation, mais ce genre de bévues reste dommageable à la fois pour le groupe et les festivaliers. Passons.
Tides From Nebula
Après un court changement de plateau, c’est au tour de Tides From Nebula de s’y coller. On avait eu un souvenir assez mitigé de leur concert en ouverture de The Ocean l’année dernière, et malheureusement, malgré une très bonne mise en place et un son plutôt bon, ce sont toujours les compositions qui ont du mal à convaincre.
Les polonais évoluent toujours du côté du post rock, influence Mogwai et visiblement rencontrent un bon succès auprès du public, qui tape des mains lorsque le rythme est adéquat. Leurs guitares pleines de delay ne sont pas dépourvues d’un certain charme, mais le tout manque encore de dynamisme et d’originalité. On aurait pu espérer changer d’avis sur la suite du set, mais c’est avec stupeur qu’on entend les musiciens remercier le public pour leur accueil. La formation aura joué vingt cinq minutes tout au plus, cela reste bien court pour se faire un vrai avis.
Circles
Circles est un groupe plutôt réputé dans la scène métal progressif moderne, on pouvait donc avoir certaines attentes quant à leur performance… Dieu, dure sera la chute. Pour commencer, Perry Kakridas, l’imposant chanteur de la formation, est presque toujours faux dans les aigus comme dans les graves. Typiquement le genre de vocaliste qui oublie qu’enregistrer un album n’est pas comme jouer un concert devant un public. Il arrive heureusement à sauver les meubles avec un growl convaincant.
Le souci est que le reste du groupe n’est pas beaucoup plus marquant. Les musiciens sont certes plutôt bons, mais le tout sonne désespérément aseptisé et numérique. Et l’abondance de samples ne nous aide pas dans ce constat. En fait, les quelques bons moments qu’on aura passé avec Circles auront été instrumentaux. Ce qui n’est cependant pas l’avis du public, qui a, si on en juge par les ovations, bien apprécié la prestation des australiens. Encore une fois, le groupe a joué 25 minutes tout au plus.
Devil Sold His Soul
C’est maintenant aux anglais d’entrer dans la danse. Ces derniers balancent un métalcore plutôt bien huilé et servi par des musiciens qui assurent. Le chanteur Paul Green s’en sort bien en growl, mais son chant clair manque souvent de justesse. Il compense ce défaut par une bonne présence scénique, qu’il met à profit pour chauffer le public à blanc.
Parmi les touches d’originalité du groupe, on remarquera tout de même que leur sampler échantillonne ses sons en live plutôt que d’avoir recours à une palette sonore entièrement préenregistrée, chose qui est assez rare dans le métal pour être saluée. Mais sampler en live ne suffit pas à assurer musicalement. Si clairement, Devil Sold His Soul arrive à tenir la scène, les compositions, encore une fois, manquent un peu de fraîcheur et de vraie rage pour marquer l’esprit. Le set est très court une fois de plus, moins de trente minutes.
The Algorithm
Clairement, avec The Algorithm, les choses sérieuses commencent. Notre ami Rémi Gallego est de retour à Paris, après un premier concert en tête d’affiche fin 2013. Depuis, le line-up a bien changé, puisqu’il n’y a plus de guitariste, et ce n’est pas Mike Malyan de Monuments à la batterie, mais le non moins excellent Jean Ferry de Uneven Structure. Avec son magnifique nouvel album Octopus4 sous le bras, il y avait beaucoup à attendre de ce concert. Et Rémi démarre le set de manière bien énergique avec « Synthesiz3r ». Le public est déjà chaud bouillant, et la fosse se secoue de partout !
Au niveau du son, on entend très bien la batterie de Jean, ce qui est plutôt plaisant. Par contre, on a plus de mal à percevoir les effets et petites nuances jouées par Rémi en live, et il en va de même pour les parties de clavier et autre bleep chiptune. C’est un peu dommage sachant qu’une bonne part du cachet et de l’originalité de la musique de The Algorithm vient de ces sons. Mais qu’importe, le duo assure le show, et on passe un excellent moment malgré tout.
L’autre grosse nouveauté de cette nouvelle mouture du groupe est que Rémi joue de temps en temps de la guitare 8 cordes pour accompagner Jean. Très clairement, cet aspect plus visuel et vivant ajoute beaucoup au concert, d’autant que Rémi se donne à fond, s’agitant presque autant qu’un Ben Weinman (Dillinger Escape Plan) tout en jouant ! Malheureusement, ce concert qui s’était posé avec un excellent rythme de croisière touche déjà à sa fin. Et The Algorithm achève l’audience avec son remix survolté de « Harder Better Faster Stronger ». Une belle réussite et évolution du phénomène toulousain ! Mais toujours trop court.
Monuments
A en juger par le nombre de t-shirts et sweats Monuments qu’on pouvait apercevoir dans le public, on pouvait deviner que le groupe était attendu par une part importante du public. Ce dernier va d’ailleurs réserver au combo un accueil extrêmement enthousiaste. C’est bien simple, la fosse n’aura pas autant bougé de tout le festival, à l’exception peut être de Textures. En se concentrant sur le son, on constate qu’il était vraiment perfectible, mais il ne faut pas oublier que les musiciens font les balances pendant les changements de plateau, faute de temps !
A la voix, Chris Baretto est plutôt incertain en chant clair, avec une voix haut perchée à la Spencer Sotello (Periphery), mais moins maîtrisée. Ironie du sort, Chris a chanté un temps dans Periphery. Mais le chanteur à la coiffure originale arrive à s’en tirer avec un growl honnête, et surtout une présence scénique qui, il faut l’admettre, force le respect.
Musicalement, on a affaire à du djent assez générique ( du djénérique © ?), qui a clairement du mal à se démarquer de ce que nous fait entendre la scène depuis quelques années, et en particulier… Periphery justement. On a l’impression d’entendre une copie simili-carbone, mais sans les petites fioritures et arrangements ingénieux qu’on retrouve dans le combo mené par Misha Mansoor. Ca n’empêche pas le public d’être littéralement devenu fou. Ca saute, ça mosh, ça fait des wall of death sur commande, le Cabaret Sauvage est retourné ! Chris Baretto se permettra lui-même un slam sur la fin du concert, confirmant son sens fin du spectacle. Ce soir Monuments aura confirmé son statut de performer, mais on peut être plus dubitatif à l’écoute des compositions en elles-même.
After The Burial
After The Burial forme, avec Veil of Maya et Born of Osiris, un trio de formations qui ont réussi à mélanger metalcore et djent. Bien que proches musicalement, ces trois groupes ont tout de même chacun leur propre patte, et de son côté, After The Burial explore le côté brutal de la force. Dès le début du set, c’est très agressif et brut de décoffrage. Les mélodies sont moins présentes, mais sans que cela soit gênant, car les riffs sont sacrément accrocheurs. Dans la fosse, c’est toujours très agité, même si on est loin de la cohue générée par Monuments.
A la guitare rythmique, Justin Lowe est impayable avec son blouson de mac’ et sa guitare avec le logo Lacoste incrusté sur le manche. Effet bobo métal garanti ! Heureusement, le bougre assure bien le job, tout comme son homologue Trent Hafdahl à la guitare rythmique et en solo. Le duo nous gratifie d’ailleurs de quelques passages de tapping harmonisés qui font mouche. De son côté, Anthony Notarmaso arrive à être convaincant à la voix, avec un growl puissant et une bonne présence scénique.
Il obtiendra un circle pit sans aucun problème, comme quoi la fosse est loin de se fatiguer. Point positif, le son est très bon, et rend bien justice à la musique du groupe tout en permettant d’apprécier sa puissance. Seul bémol, les solos n’étaient pas toujours bien audibles. En tout cas derrière ses côtés « brute qui hurle », Anthony n’oublie pas de demander à l’audience de remercier l’organisation et tous les groupes qui ont déjà ou s’apprêtent à jouer ce soir. Après ce petit discours, la furie reprend, et Chris Baretto en profite pour attirer à nouveau l’attention sur lui en refaisant un plongeon dans le public. Pendant plus de 40 minutes, After the Burial aura donc réussi à pleinement convaincre. Est-ce qu’il en aurait été de même avec un set plus long, l’histoire ne le dit pas.
Setlist
A Wolf Amongst Ravens
Cursing Akhenaten
Berzerker
Pennyweight
Aspiration
Your Troubles Will Cease and Fortune Will Smile Upon You
Tesseract
Avec le retour de Daniel Tompkins dans le groupe, ce concert de Tesseract était plutôt prometteur, sachant qu’il est sans conteste le chanteur préféré des fans. Et dès le début du set, on comprend pourquoi. Le vocaliste maîtrise parfaitement son sujet, avec une voix claire dotée d’un charme certain, montant dans les aigus avec aisance. C’est bien simple, avec Daniel, Tesseract est métamorphosé, et n’est plus cette pilule soporifique du temps où Ashe O'Hara était chanteur.
Côté instrumental, vous vous en doutez, ça ne fait pas un pli. Les quatre instrumentalistes sont des machines de guerre, et nous offrent une performance proche de la perfection. Ce sentiment de précision tranchante est accentué par un son cristallin, ô joie. C’est d’ailleurs très probablement le groupe qui a eu le meilleur son du festival. On peut donc se laisser emporter par les alternances entre délicatesse planante et brutalité rythmique avec satisfaction.
Au niveau de la setlist, c’est le petit dernier Altered State qui est majoritaire. Et ce n’est absolument pas un problème pour Daniel, qui s’est parfaitement approprié le nouveau répertoire de Tesseract. Le vocaliste n’est d’ailleurs pas dénué d’un certain charisme : on le croirait qu’il marche dans un autre monde en étant sur scène. Si le public est manifestement conquis, à entendre les hurlements entre les chansons, il joue aussi le jeu pendant le concert et se laisse aller à une sorte de transe, bercée par les ondes sonores forgées par les guitares huit cordes. Bref, c’est le carton plein pour Tesseract, qui est de retour plus fort que jamais. A quand un passage en tête d’affiche à Paris ?
Setlist
Of Matter - Proxy
Of Matter - Retrospect
Of Matter - Resist
Concealing Fate, Part 2: Deception
April
Of Energy - Singularity
Of Mind - Nocturne
Concealing Fate, Part 1: Acceptance
Animals As Leaders
Devant les prouesses techniques hallucinantes montrées sur album, la perspective de voir Tosin Abasi et ses comparses nous jouer ces compositions en live était forcément intéressante. Et visiblement, leur placement sur le haut de l’affiche est mérité, vu l’accueil qui leur est réservé à leur arrivée sur scène. Mais une fois que la musique commence, ça devient compliqué. Déjà, le son est franchement brouillon, mais il s’améliorera heureusement au fur et à mesure du set. Ensuite, comme le groupe n’a pas de bassiste, cette dernière est samplée et mixée généreusement pour qu’on puisse l’entendre. Sauf que si on ajoute une couche de plus à l’ensemble déjà ultra-complexe d’Animals as Leaders, on obtient… de la confusion.
Ne soyons pas de mauvaise foi, on voit bien que les musiciens sont excellents, mais avec cet amas confus d’instruments et de samples, on a sincèrement du mal à distinguer qui joue quoi, et c’est franchement perturbant. A à en juger certaines performances d’Animals As Leaders, on en vient à se demander si ce n’est pas pour dissimuler certaines approximations techniques que le groupe voudrait dissimuler. Enfin, même si les compositions sont excellentes, y compris celles The Joy of Motion, un sentiment d’ennui irrépressible s’installe.
Comprenez bien que les musiciens n’ont, pour ainsi dire, aucun jeu de scène ! On peut difficilement leur jeter la pierre de rester les yeux collés sur leurs instruments, compte tenu de la technicité de la musique jouée, mais franchement, un petit effort serait appréciable. On connaît tout de même un certain nombre de musiciens qui jouent de la musique exigeante du point de vue de la maîtrise instrumentale, et qui arrivent malgré tout à assurer le show. A l’opposé, on connaît aussi des groupes très statiques qui arrivent à installer une ambiance sur scène. Mais ce n’est pas le cas d’Animals As Leaders. Ajoutez à cela que le set a duré à peine plus d’une demi-heure. Ceci dit, après, c’est Textures, et quelque part on se réjouit que Tosin annonce si vite « CAFO » comme dernier morceau du trio ce soir.
Setlist
Tooth and Claw
Tempting Time
Wave of Babies
Lippincott
Physical Education
The Woven Web
CAFO
Textures
A bien des égards, la France est le deuxième foyer de Textures, puisque la formation néerlandaise a été signée chez Listenable Records pour ses trois premiers albums et qu’elle y a effectué ses premières performances de grande envergure (Fury Fest 2004). Ce soir, ils vont nous jouer Polars dans son entièreté (ou presque), mais avec un « petit » plus qui s’appelle Daniel de Jongh, à savoir un des chanteurs les plus convaincants dans la scène métal progressif et genres assimilés actuellement. En guise de mise en bouche, Textures ouvre sur « Surreal State Of Enlightenment », qui permet de prendre conscience du relatif calme avant la tempête qui va être déclenchée par la doublette « Swandive » / « Otensibly Impregnable ».
Un énorme circle pit s’est ouvert dans la fosse, et les mosh ne s’arrêteront qu’à la fin du concert. C’est clairement la fosse la plus violente du festival, mais il faut dire que le groupe délivre son set avec une telle rage qu’elle se communique sans doute au public. Le son est plutôt bon, mais aurait sans doute pu être meilleur pour la fête d’affiche, surtout quand on se rappelle de Tesseract. Mais qu’importe, Textures rattrape cette bévue avec une performance d’une rare intensité.
Comme on pouvait l’espérer, Daniel est très en forme ce soir. Il alterne voix hurlée et chantée avec un aisance bluffante, mais c’est surtout sa maîtrise des deux registres qui impressionne. Toujours très proche de la fosse, le vocaliste a une présence scénique qui en impose. Mais il serait injuste de se concentrer sur le frontman, alors que les autres musiciens sont… Des brutes. Stef Broks n’a rien perdu de sa superbe, et confirme son statut de magicien massacreur de fûts derrière son kit. La paire de guitaristes est elle aussi mortelle, avec des rythmiques exécutées avec une précision qui laisse bouche bée. C’est Joe Tal qui se charge de la guitare solo, depuis le départ de Jochem Jacobs de Textures en 2013. Et force est de constater qu’il s’exécute avec une maestria toute aussi impressionnante. Bref vous l’aurez compris, on a du mal à trouver des défauts au combo hollandais.
On peut certes toujours émettre de gros doutes sur l’utilité d’un claviériste dans le groupe, si on entend à quel point l’instrument n’est pas mis en avant dans leur musique, et ça se confirme en concert ! M’enfin Uri Dijk joue avec attitude et headbangue comme un possédé, on ne va pas lui jeter la pierre ! Au niveau de la setlist, le groupe joue donc tout Polars, avec son lot de tueries comme « Transgression » ou encore « The Barrier ». Sans surprises, « Effluent » et « Heave » ne sont pas jouées, mais entre nous, vous vouliez vraiment écouter 18 minutes de bourdon au clavier ? Nous non plus !
Après la chanson titre, c’est le moment d’une petite incursion dans Silhouettes avec « Awake » qui révèle un Daniel toujours très en forme et souriant, malgré plusieurs problèmes de micro pendant le concert. Puis, vient le moment de la dernière chanson. Et c’est le drame, puisque le couvre-feu est dépassé, et l’ingé-son a été forcé de couper le groupe. Nous aurons donc droit à un « Laments of an Icarus » en son quasi-acoustique, un vrai gâchis pour une perle de métal progressif… On pourrait porter des critiques sur l’organisation, mais il faut garder à l’esprit que les bataves sont arrivés très tard à la salle, alors qu’ils étaient à Lyon la veille. La tâche n’a pas du être simple à gérer. Bref, un très bon concert au demeurant, mais qui laisse un petit goût amer quand on imagine à quel point il aurait pu être meilleur avec quelques paramètres changés. Vu les échos très enthousiastes sur la date lyonnaise, il faut croire que cette fois, c’est la capitale qui l’a eu dans le baba. A revoir dans de meilleures conditions donc.
Setlist
Surreal State Of Enlightenment
Swandive
Ostensibly Impregnable
Young Man
Transgression
The Barrier
Polars
Singularity
Awake
Laments Of An Icarus
Conclusion
Et voilà, c’est déjà la fin de ce deuxième cru du Damage Festival. Il y avait beaucoup de choses à rapporter pour un laps de temps finalement assez réduit !
Du côté des points forts du festival, il faut clairement compter l’affiche, qui réunissait la crème du métal progressif moderne et consorts, à tel point qu’on pourrait parler d’un mini-Euroblast ou UK Tech Fest. L’organisation d’un festival sur ce créneau musical est une première en France, il faut le saluer ! Par ailleurs, on voit peu de concerts métal au Cabaret Sauvage, et c’était une belle occasion de redécouvrir cette salle à l’agencement très convivial, permettant par exemple de s’asseoir sur des bancs tout en regardant les concerts.
Du côté des points faibles, on peut en relever un seul, mais qui a eu la fâcheuse tendance à faire des petits. En fait, cette affiche ambitieuse l’était peu être un peu trop, ce qui a créé l’équation suivante : beaucoup de groupes + temps limité = concerts courts + son perfectible. C’était là le choix cornélien, à savoir, ajouter plus de groupes et rendre l’affiche plus attrayante, mais diminuer le temps de mise en place et de concert des groupes. C’est un choix subjectif qui a ses raisons. Mais dans ce cas, autant annoncer vraiment la couleur et ne pas donner un running order sur lequel manque une information très importante : le temps de jeu réel des groupes !
En tout cas, la date était presque complète, montrant que le festival a trouvé son public. On peut donc attendre avec curiosité ce qui tombera l’année prochaine.
Reportage par Tfaaon
Photos :
Marjorie Coulin / © 2014 http://www.marjoriecoulin.com/
Damage Festival / © 2014 www.damagefestival.com/
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