Sortir un concept album est un pari osé. Ce même concept peut, par ailleurs, se révéler parfois difficile à saisir pour l'auditeur. C'est ce défi que s'est lancé Unseelie, jeune formation française, à travers Urban Fantasy, dont la chanteuse Anne-Emmanuelle nous parle ici plus en détails.
"Chaque morceau a vraiment son identité propre et son importance dans le concept d’ensemble"
Interview mailer par Sanguine_sky, questions de Sanguine_sky
Sanguine_sky : Salut Anne-Emmanuelle et merci à toi d'accorder cette interview à La Grosse Radio! Pourrais-tu commencer par présenter le groupe?
Salut ! Unseelie a été formé fin 2010 par Marc qui avait déjà posé les bases de quelques compos et cherchait des musiciens pour former un groupe de Metal gothique dans la veine de Tristania notamment. Son approche m’a tout de suite plu car il mettait l’accent sur la profondeur émotionnelle de la musique et non uniquement sur la technique, ce qui est à mon avis bien trop rare dans notre scène, où beaucoup de gens semblent confondre art et sport de haut niveau. Après pas mal de changements de line-up en trois ans, nous avons finalement décidé en janvier dernier de continuer seulement à deux pour toute la partie composition et enregistrement. Marc et moi sommes donc désormais les seuls membres permanents, mais nous sommes actuellement en train de reconstituer un line-up pour jouer sur scène.
Vous venez de sortir un premier album nommé Urban Fantasy. Quel est le concept qui se trouve derrière ce disque?
Comme son nom le suggère, Urban Fantasy est un concept album entièrement articulé autour du thème de la Fantasy urbaine, qui est au départ un genre littéraire. A travers ce prisme, il s’agit en fait de traiter de la question du désenchantement du monde moderne, et de s’interroger sur la possibilité (et les limites ?) de son ré-enchantement. Sur cette toile de fond, chaque chanson développe un sous-thème bien spécifique, comme la perte de lien entre l’humain et le reste de l’univers ("Strangers"), la tentation de soumettre l’entièreté des êtres à la logique de la quantification ("Quantify your soul"), ou encore le rapport rédempteur à la beauté ("Beauty is our only saviour").
La partie centrale de l’album est plus ouvertement fantastique et fait la part belle à des figures mythiques, littéraires ou issues de croyances populaires, comme le personnage shakespearien d’Ophélie, ou encore la légende urbaine de l’auto-stoppeuse fantôme. Ces figures oniriques font irruption dans le contexte urbain postmoderne, réinjectant du mystère dans une réalité illusoirement sous contrôle.
Pour une plongée plus immersive dans l’univers de l’album, je renvoie à la vidéo de présentation que nous avions faite pour notre campagne de financement participatif : vidéo
Attention, nous n’avions pas encore enregistré en studio à l’époque, alors c’est le son des démos qui accompagne ces images !
Parle-nous du processus de composition et de son déroulement.
A la différence de notre premier EP Unholy Light, nous sommes cette fois-ci partis de l’imaginaire pour créer la musique. J’ai donc commencé par écrire le concept, en définissant les grandes lignes des trois parties qui composent l’album et un certain nombre de thèmes plus précis que j’avais envie de traiter dans chacune d’elles. A partir de là, Marc – d’abord avec la contribution de nos deux anciens membres, puis seul – a composé les squelettes de tous les morceaux, sur lesquels j’ai alors trouvé mes lignes de chant et écrit mes paroles. Une fois cette ossature générale de l’album posée, nous avons encore passé de longs mois à peaufiner chacune des compositions, en les retravaillant tant sur le plan musical que sur le plan des paroles. Bien sûr, certains morceaux ont été plus évidents que d’autres à boucler, mais pour te donner une idée, j’ai quand même testé 8 lignes de chant différentes sur la fin d’une compo, avant qu’on arrive à LA version qui nous a définitivement convaincus ! En ce qui concerne les textes, bien que je sois traductrice de métier, j’ai fait plusieurs relectures critiques avec des anglophones car je ne voulais pas laisser d’approximations.
Comment s'est passé l'enregistrement de ce premier album?
L’enregistrement s’est déroulé cet été au studio Zoe H, que nous avions choisi pour son orientation très Metal électro qui correspondait tout à fait à la couleur que nous cherchions pour cet album. Nous avions déjà l’habitude de nous enregistrer en home studio, cependant enregistrer dans un vrai studio, avec du bien meilleur matériel mais en contrepartie la pression du temps, est tout de même une expérience bien différente, et nous avons beaucoup appris de cette première fois. Le fait de tout faire à deux rendait l’ambiance très studieuse, par moment nous avions un peu la nostalgie de la vie de groupe et des délires qui vont avec. Mais d’un autre côté, cela nous a permis d’être investis dans chaque détail, et même si notre perfectionnisme a parfois failli rendre chèvre notre ingé son, nous ne regrettons rien car le résultat est tout à fait à la hauteur de nos attentes (et des siennes je crois) !
Jusqu'à présent, quels sont les retours obtenus par Unseelie à propos de Urban Fantasy?
Nous avons reçu une quantité de retours enthousiastes sur l’album, notamment de la part de nos contributeurs, que nous avions à peine osé espérer. Certes, nous avions le sentiment d’avoir donné le meilleur de nous-mêmes, mais au final il n’y a jamais de garantie sur la façon dont ce sera perçu. C’est un très grand bonheur, et aussi une forme de soulagement, après s’être « enfermés » pendant un an pour développer chaque détail de notre univers, de constater que les gens perçoivent très bien ce que nous avons cherché à faire passer dans notre musique, les nuances, l’émotion, les contrastes, le souci de cohérence, etc. C’est réellement la plus belle des récompenses.
As-tu un morceau favori sur l'album?
Pour être franche pas vraiment, car chaque morceau a vraiment son identité propre et son importance dans le concept d’ensemble. Nous avions à cœur d’éviter l’écueil de ces albums qui reposent entièrement sur un ou deux titres ultra efficaces, tandis que le reste semble là pour meubler. Nous n’avons donc aucune compo de « remplissage », et j’aime chacun des morceaux, avec des préférences momentanées, selon l’humeur, pour les titres les plus mélancoliques ou au contraire les plus pêchus, les plus typés Metal ou à l’inverse les plus hybrides…
Quelles sont vos influences et inspirations principales?
Globalement, nous aimons tout ce qui dégage une grande intensité en termes d’atmosphère et d’émotions, Tristania et Lacuna Coil étant nos deux influences majeures, ce dernier notamment pour son approche moderne. The Gathering est également une formation que nous admirons beaucoup, qui a su se renouveler tout au long de sa carrière sans jamais perdre son identité et en restant à l’écart des ficelles marketing faciles. Mais nous avons aussi nombre de références en dehors du Metal, notamment dans la scène gothique : rock gothique, heavenly voices, electro & trip-hop sombre…Enfin, des artistes comme Marilyn Manson, Rammstein, Garbage, et pour moi pas mal de rock 90’s nous ont aussi marqués.
Quoi qu’il en soit, lorsque nous composons, nous évitons de nous plonger dans nos influences musicales, pour nous concentrer sur nos images intérieures et tenter de trouver notre propre langage. Dans ces moments-là, les sources d’inspirations sont plutôt littéraires, cinématographiques, vécues…Et de ce côté-là, Unseelie a pas mal d’affinités avec l’univers de l’écrivain français Lea Silhol, qui parvient par son style unique à transcender le genre de la fantasy.
Vous avez fait appel à une campagne de don, qui s'est avérée être un franc succès afin de financer cet album. Que tirez-vous de cette expérience?
Cela nous a donné beaucoup de force et une confiance nouvelle, car nous avons eu la preuve que des gens pouvaient suffisamment croire en notre projet pour avoir envie d’investir de l’argent dedans. Là encore, nous nous sommes donnés à fond, que ce soit pour notre vidéo de présentation, pour le choix des contreparties, pour la communication sur la campagne…mais malgré tout ça, nous étions pleins d’incertitudes, et la veille de la mise en ligne, nous n’en menions pas large ! Mine de rien, c’était aussi la première fois que nous étions en quelque sorte « payés » (même si tout a été réinvesti dans la production du CD) pour faire notre musique, et c’était très valorisant. Mais au-delà de l’aspect financier, cette campagne a considérablement accru notre visibilité et nous a permis de tisser des liens bien plus étroits avec les gens qui nous suivent et nous soutiennent.
Quelle est ton opinion sur l'industrie du disque actuelle? Est-elle néfaste pour les jeunes groupes?
Vaste question, à laquelle il me semble difficile de répondre en quelques lignes sans tomber dans des généralités maintes fois rabâchées. Je vais donc me limiter à relever un aspect qui me semble un peu moins fréquemment commenté, à savoir le décalage entre la perception qu’a le grand public du milieu musical et la réalité que nous vivons. Les gens sont souvent surpris d’apprendre que le fait d’avoir produit un CD en studio ne veut nullement dire que nous pourrions vivre de notre musique, ou encore qu’avoir un label pour un groupe ne signifie pas du tout, de nos jours, bénéficier d’un enregistrement tous frais payés, et a fortiori qu’il faut parfois payer pour jouer sur scène…J’ai le sentiment qu’une vision encore empreinte des success stories des années 70 continue de prévaloir, et qu’on aurait tout à gagner à informer davantage les auditeurs sur la réalité. Même si ce n’est bien sûr pas le seul facteur, peut-être les gens seraient-ils davantage enclins à payer la musique à sa juste valeur s’ils avaient une représentation de la lutte parfois usante qu’il faut mener pour faire sa place, même à très modeste échelle, dans le monde de la musique.
Au rang des choses usantes, il y a tout ce business de requins qui prospère sur les rêves des petits groupes avec des deals tous plus foireux les uns que les autres, laissant les artistes au placard après les avoir plumés, obligeant parfois les musiciens à racheter leur propre stock de CD…S’il est difficile d’avoir prise sur le problème global de l’industrie musicale, je crois qu’on peut on moins agir sur cet aspect en renforçant la communication entre les groupes, de manière à développer une vigilance commune.
Quels sont vos projets pour l'avenir ?
Dans l’immédiat, notre priorité est de reprendre le chemin de la scène, dont nous nous sommes tenus éloignés pendant toute cette année de gestation de l’album. La recomposition du line-up est en cours, et nous avons déjà quelques propositions de dates. Nous aimerions vraiment passer au niveau supérieur en termes de live, notamment en donnant une réelle incarnation visuelle à notre univers sur scène. Toutefois, cela dépendra de multiples paramètres qui ne sont pas tous sous notre contrôle, dont les salles dans lesquelles nous jouerons, le temps prévu pour le changement de plateau…
Pour ce qui est de l’avenir plus lointain, nous avons déjà quelques bribes d’idées pour le successeur d’Urban Fantasy ! Mais chaque chose en son temps, lorsque nous aurons accumulé une expérience significative en live, cela fera sans doute bouger des choses sur le plan de l’écriture…
Merci à toi d'avoir répondu à mes questions! Je te laisse les derniers mots de cette interview.
Merci à toi et à La Grosse Radio pour cette interview ! Et merci à vous, lecteurs et auditeurs, qui faites vivre notre scène ! Si votre curiosité a été éveillée, je vous invite à faire un tour sur notre site web, sur lequel l’intégralité de notre album est disponible en streaming : site officiel d'Unseelie.