Transmusicales 2014 – Samedi 6 décembre

Nouvelle occasion de s’étonner et de se réjouir de la vitalité incroyable de l’institution rennaise : pour sa 36e édition, les Transmusicales ont accueilli 64 000 spectateurs. 2000 personnes de plus qu’en 2013, malgré une affiche sans tête d’affiche (comme Stromae l’année dernière). La jauge du Parc des expositions fut augmentée à l’occasion. Jean-Louis Brossard et son équipe nous prouvent qu’il n’est nul besoin de se livrer à des calculs de mauvais aloi pour réunir la grande famille des véritables amateurs de fête et de musiques. Un enthousiasme sincère, une mélomanie dévorante, une diversité de lieux et de formules, l’alliage sûr de l’innovation et de la fidélité aux principes fondateurs, voilà la formule gagnante des Trans. Et si Brossard déléguera bientôt en partie le (lourd) travail de programmation, nul doute qu’il laissera dans son sillage les trésors patiemment amassés des années durant. Le savoir-faire, certes ; mais la confiance d’un public, une confiance inébranlable, surtout.

Rennes est belle en décembre, et d’autant plus belle qu’elle s’anime et pulse le temps d’un week-end au rythme des Trans. Nous entamons tôt notre journée par un saut au marché de la Place des Lices, pour grappiller dans une foule composite et plus allumée qu’à l’ordinaire de quoi composer un brunch de qualité. Nous n’oublions ni la bière ni le cidre artisanale (Sainte Colombe et Coat Albret, what esle ? Ceci n’est pas du placement de produit, juré craché). Serrement de cœur nostalgique de l’ancien Rennais. Passons.

Sustentés, direction les Champs Libres, la grande médiathèque où se tiennent les conférences-concerts du « Jeu de l’ouïe ». Dix ans que ce « programme d’éducation artistique et culturelle » de l’Association Transmusicales sévit, sur des fronts variés. Les conférences-concerts, données à Rennes et dans les métropoles alentours, en sont la tête de pont. Un thème transversal, une communication par un ou deux « spécialistes » (entendre : adorable rat de discothèques), un jeune groupe en live, un public varié : jeunes et beaucoup moins jeunes se retrouvent pour (re)découvrir de larges pans des musiques populaires des XXe et XXIe siècles. Cette année : Manchester. Ses panoramas industriels, ses cieux lourds, et surtout ses habitants, ses groupes et ses lieux cultes : The Hollies, Joy Division, New Order, les Buzzcocks, The Fall, les Smiths, le label Factory et le club l’Hacienda, les Happy Mondays et les Stone Roses, Oasis et WU LYF...

Un passage en revue avec images et écoute d’extraits, un peu au pas de charge (comment faire autrement ?) mais toujours plaisant. Si le rude mélomane n’y apprend pas forcément grand chose (et encore), quel bonheur de réviser en marinant dans l’enthousiasme de l’auditoire, avec et malgré la fatigue qui monte en ce dernier jour de festival. Au détour de la conférence, une découverte toutefois, ni d’aujourd’hui ni d’hier, mais d’avant-hier : Ewan MacColl, activiste de gauche et musicien engagé. Marié, ce n’est pas un hasard, à Peggy Seeger, la frangine de Pete Seeger. Auteur, parmi d’autres folk songs intemporelles, d’un vrai tube qui connaîtra de nombreuses réinterprétations : sont-ils nombreux aujourd’hui ceux qui savent que, derrière cette charmante périphrase de "Dirty Old Town", se cache, non pas Cork ou Dublin, mais bien la grise Manchester ?

Précisons pour finir que tous les spectateurs (on a mentionné que l’entrée est gratuite ?) se voient remettre un dossier complet réalisé par les conférenciers. Les amphis populaires de la musique actuelle, il n’y avait que Rennes pour en concrétiser l’idée... 

Mais venons-en au live : pour clore le cours magistral, Naked (On Drugs) investissait la scène. Peut-être pas le plus Mancunien des groupes de Manchester, comme le rappelle d’emblée le chanteur (français) Sébastien Perrin. Et effectivement, derrière la musique de ce duo devenu quintet pour la scène, se meuvent tout autant les ombres de la no wave new-yorkaise que du post-punk de Manchester. Soutenus par deux saxophones languissants, les morceaux s’avancent à la lisière des genres, progressifs, roulant soudain dans le free jazz ou le funk blanc, tandis que la voix de Sébastien Perrin se veut sombre et expressionniste, achevant de donner à l’ensemble une couleur de cabaret rock dadaïste. Pas toujours avec bonheur, la voix, d’ailleurs ; le Français manque de coffre. Mais il le rappelle, et nous en convenons, jouer du rock à 17h sur une scène propre et devant un public assis, ce n’est pas l’exercice le plus évident qui soit. En bref, Naked (On Drugs), malgré son nom sans grand intérêt, propose une synthèse art rock non dénuée de talent. Héritiers à suivre.    

Le Parc, le Parc ! Nous abrégeons l’apéro dînatoire et devons décoller à nouveau – infinies sollicitations du festivalier... Mais il faut caracoler dans le froid jusqu’au hall 9 pour ne pas manquer Den Sorte Skole. Lektion III, le dernier album du duo de producteurs danois, a tourné toute la semaine dans les intra-auriculaires, et pour cause : combinant des samples glanés sur les cinq continents, « L’école noire » célèbre les noces de toutes les musiques du monde dans le creuset de l’électronique downtempo. Nous parvenons sans peine à nous planter devant la scène, regrettant un moment la faible densité de la foule (en grande partie des fans, semble-t-il) et le volume sonore modéré. Pas pour longtemps : comme sur l’album, tranquillement, à son rythme et avec goût, Den Sorte Skole fascine, hypnotise, charme son serpent. Autour d’une belle installation vidéo, sur laquelle se succèdent totems, jungles tendres, soleils couchants, abstractions géométriques et constellations, le son augmente doucement, les morceaux s’entremêlent.

Transmusicales, 2014, den sorte skole

Den Sorte Skole : où l'on nous fraye dans les paysages


Il faut signaler à quel point les Danois maîtrisent l’art du collage et donc celui, épineux, de la transition : surprenante, baladeuse, parfois improbable, toujours indiscutable ; chaud-froid, souvent, comme lorsqu’un beat porté à ébullition débouche soudain sur une coulée pianistique. Avides de boum-boum, allez voir ailleurs. Cette musique mérite le temps de l’écoute et de la séduction. Mais sachez qu’une fois que vous êtes captés… D’ailleurs, le public du Parc expos ne s’y trompe pas : lorsqu’il nous faudra déguerpir vers un autre hall, la foule à fendre est d’une tout autre nature que celle que nous avons trouvée en entrant. 

transmusicales, 2014, den sorte skole

Den Sorte Skole : a-y-est, collés en orbite


Un saut au hall 8 et une oreille jetée à Vaudou Game. Malgré tout l’amour que l’on peut porter à l’afrobeat, convenons que le Togolais Peter Solo n’a pas inventé la poudre. Le set est fort chaleureux, mais on a déjà entendu aux Trans les rythmiques africaines réinventées avec autrement d’intérêt. Le quintet Jambinai, de Séoul, ne nous convainc guère davantage, aussi prometteur ait-il été sur papier (venant occuper l’habituel créneau du « trad-expérimental », chaque année représenté au festival). Très alléchante en effet l’idée d’amplifier des instruments traditionnels coréens pour donner dans un post-rock sombre et pesant. Mais c’est, justement, pesant, pesant… Comme du métal médiocre. S’il suffisait d’enchaîner les boucles de cordes pincées avant de marteler bruyamment et sans transition pour faire du post-rock, cela se saurait. Bref, déception.

Et comme aux Trans une déception ne va jamais sans une bonne surprise, de retour au hall 8 et complètement par hasard, c’est la jeune black Lizzo que nous prenons en pleine face. Hip-hop ou R’n’B, l’un et l’autre sûrement, peu importe, puisque nous sommes immédiatement noyés sous le flot redoutable et la gestuelle explicite de la chanteuse de Minneapolis, caracolant sur les basses accidentées flirtant parfois avec le dubstep d’une jolie comparse à chapka. Girl power. Une musique pour les hanches, sûr. Mais Lizzo ne se contente pas de remuer le popotin. Sa musique est non seulement efficace et énergique, mais aussi variée, passant avec la même maîtrise du rap hardcore au chant mélodique, et non dénuée de style. On oubliera le bonhomme invité à quitter le public pour venir danser sur scène (probablement sélectionné par le staff, rapidement déshabillé-remué-rhabillé-remballé par l’artiste) : peut-être voulut-elle nous faire plaisir, ce fut sans intérêt. Ce qu’il faut retenir : l’album solo de Lizzo date de 2013, et s’appelle Lizzobangers.

L'intégralité du concert de Lizzo, disponible en vidéo grâce à Arte Live Web
 

2h du matin et nous approchons tranquillement de la fin. Too Many Zooz, impeccable brass band minimaliste, enflamme le hall 8 à la suite de leur concitoyenne. Ayant déjà remué devant eux sans les connaître le jour même près des Champs Libres, on se prend à se demander si la rue, qu’ils écument régulièrement, n’est pas davantage pour le trio un terrain approprié qu’un vaste hall bondé qui vibre. Un fort honnête burger et plusieurs gros-sons-qui-tapent-sans-accrocher plus tard, nous terminons devant Awesome Tapes from Africa. Le projet du DJ Brian Shimkovitz, également décliné sur blog et label, est aussi précieux que transparent, puisqu’il consiste à accumuler pour nous les offrir les perles souvent méconnues de la musique populaire du continent noir. Mais avouons-le : les jambes sont lourdes à 5h du matin, et le set est farouchement orienté dance. Nouvelle bouffée de nostalgie pour la vie étudiante – travailler, ça craint. Nous quittons le parc sur les échos classiques des cuivres de Fela, et dans l’attente de l’édition prochaine. 

transmusicales, par expo, 2014

Le hall 9 et ses aurores boréales, depuis les gradins



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