Le metal français, ou l'éveil des contradictions les plus étonnantes. Car si la scène locale reste plutôt en retrait niveau renommée par rapport à nos voisins européens, elle n'en reste pas moins riche et remplie de petits joyaux jusque là bien cachés et encore à découvrir...
Il est vrai que la France est connue pour ses Gojira ou autre Dagoba, dans un style rentre-dedans assez moderne faisant part belle à la technique, mais il existe également cette branche dark black metal plus underground mais récoltant pas mal les faveurs des fans mondiaux. Prenez Alcest ou Amesoeurs par exemple, si réputés hors de nos frontières mais très peu mis en avant dans notre contrée nationale...
... Et si Abduction venait changer la donne ? Et si cette nouvelle formation parisienne, jeune et pleine d'énergie, venait bouleverser l'ordre établi ? Ce premier EP-démo intitulé Heights' Shivers sorti le 26 octobre 2010 ne représente certes que leurs débuts, mais semble d'ores et déjà s'inscrire dans une ligne directive pouvant mener cette jeune formation vers un avenir plus que prometteur.
Alors oui, il s'agit ici d'une auto-production, dans une tradition obscure la plus totale puisque réalisée entièrement à la maison, sans l'aide d'un studio ou d'un professionnel extérieur pour ce qui est enregistrement-mixage-mastering. Et pourtant, nous sommes ici très loin d'un true black réalisé dans un garage désafecté, d'où le premier exploit réalisé ici par nos petits français.
Car Abduction allie technique et noirceur dans un black death mélancolique teinté de touches folk légères, en d'autres termes un style qui ne pardonnerait pas l'utilisation d'un son trop cru ou mal assuré. Malgré le côté "home made", le quartet en devenir semble avoir réussi sa mission première : proposer une production claire et équilibrée, même si certains détails pourraient alerter l'oreille du spécialiste le plus tatillon.
Mais en aucun cas le son vient ici déranger le plaisir procuré par les 4 compositions offertes sur cet EP. Non content de proposer une réalisation sonore correcte, Abduction se permet même le luxe de jouer avec son auditeur et de prendre le risque ultime d'une conclusion atypique...
... "Modern Times", ou l'instrumentale piano totalement inattendue venant contrebalancer la décharge de riffs proposée auparavant. Guillaume Fleury, le compositeur-guitariste, s'offrant ainsi un moment entre virtuosité et inspiration divine, sur quelques mélodies simples mais agencées de manière féérique. Un thème développé sur 6 minutes et décomposé en plusieurs harmonies où les quelques légères erreurs/maladresses ne retiennent finalement que bien peu notre sévérité... Après tout, ce morceau a une histoire, au-delà de son hommage au célèbre film de Charlie Chaplin, ayant pour originalité d'avoir été enregistrée à une seule reprise. Comme pour immortaliser un instantané de magie.
Si on commence ici par parler de la fin, c'est qu'elle a pour don de magnifier le corps "metal" d'un CD à la richesse captivante. 3 titres sans concession et aux variations peaufinées à l'extrême, avec en leur coeur le morceau "Banquet for Another Dead World" que l'on pourrait qualifier de plus accessible, de plus linéaire, mais dépassant déjà tous les poncifs du genre en sublimant certains passages techniques en une émotion palpable - jusqu'à ce solo parfaitement exécuté musicalement. Tout est sombre et subtil à la fois dans ce titre au texte anglais, le seul ici écrit dans la langue de Shakespeare (avec plus ou moins de réussite, avouons-le cependant).
Les deux autres piliers de l'offrande s'érigent quant à eux en monuments de maîtrise et d'extase auditive. L'éponyme "Heights' Shivers" offre une progression toute en force sur des riffs teintés de black et un chant death bien cru à la profondeur gutturale ne tombant jamais dans l'excès. Et c'est à partir de la cinquième minute que la magie vient définitivement opérer, en deux breaks où folk et mélancolie viennent distiller une mélodie venue d'ailleurs, constituant durant une bonne minute le meilleur moment d'un disque richement coloré. Une vraie merveille que cette chanson en écoute sur la page myspace du groupe, mais qui ne s'avère cependant pas être le seul faîte de cet opus...
"Spacewalk" et ses quasi-10 minutes d'envoûtement, dont l'intro se pare de légères influences Metallica et Opeth parfaitement digérées, s'impose déjà avec un son à sa personnalité propre. Abduction réalise ici le tour de force de nous imposer son style, bien français dans l'âme et sa légère touche baroque "dark romantique", bien ancré dans la plus pure tradition du genre sans pour autant chercher à copier. L'innovation se fait en douceur et captive au-delà de tout soupçon, en structures complexes mais parfaitement assimilées par l'auditeur curieux et captivé. Ou quand chaque instrument et chanteur se rendent la pareille en un opaque concerto aérien...
Que peut-on reprocher à Abduction ? Un tel premier essai dans de telles conditions pour un tel résultat ne peut laisser insensible. Il faut cependant souligner que des progrès peuvent être faits, simplement avec l'expérience, notamment au niveau de la parfaite maîtrise d'un jeu de basse parfois trop délié ou le son du mix général (pourtant déjà satisfaisant) notamment au niveau de la batterie voire parfois du chant. Les paroles françaises, pour les heureux bénéficiaires du CD physique (avec booklet et artwork soigneusement présentés), brillent par leur poésie décalée, même s'il est évidemment difficile de les comprendre en essayant simplement de les décrypter derrière le chant.
Ce groupe devrait aller loin et ravir les fans d'underground extrême, en France mais aussi (et surtout) au-delà de nos contrées. Et dire qu'un premier album est déjà en préparation pour fin 2011... On en reparlera très certainement, et probablement pas en mal !
Note : 4/5
Site officiel du groupe Abduction
Page Myspace du groupe Abduction
Pour commander l'EP Heights' Shivers auprès du groupe
