Einar Solberg, leader de Leprous

"Nous connaissons nos qualités et nos faiblesses !"
 

Déjà un quatrième album pour Leprous ! Que le temps passe vite pour ces Norvégiens ! On se rappelle encore d'eux en jeunes espoirs de la scène progressive, et la suite de leur carrière avait prouvé à tous à quel point ils méritaient ce titre. Toujours mené avec ambition et lucidité par Einar Solberg,  nous avons pu nous entretenir avec lui pour revenir sur la genèse de The Congregation, mais aussi son terrible concept, sans oublier les récents changements de personnel dans le groupe, pour terminer sur son point de vue sur la scène prog' actuelle !

Comment décrirais-tu The Congregation compte tenu de l'évolution de Leprous en tant que groupe ?

Einar Solberg (chant/claviers) : Sur Bilateral, nous avons mis tout ce dont nous étions capables à l'époque, et c'était vraiment l'idée forte derrière cet album. Nous voulions un album qui parte dans tous les sens, sur beaucoup d'aspects. Coal est complètement différent, avec une tonalité beaucoup plus sombre, plus lente et atmosphérique. Il y avait aussi un aspect électronique en plus. C'est l'album qui reste à ce jour le plus concentré et en même temps le plus impulsif de notre carrière. Quand nous sommes entrés en studio pour Coal, on n'avait aucune idée de comment ça sonnerait. C'était du genre : "Bon... Comment va-t-on faire ? Rien n'est prêt pour être enregistré !"  [Rires]

Au contraire, The Congregation est sans aucun doute l'album le plus planifié que nous ayons jamais fait,  jusque dans ses moindres détails. S'il y a bien quelque chose qu'on pourra nous reprocher pour The Congregation, c'est qu'il était complètement intentionnel de notre part ! Tout a été pensé sous les moindres coutures. De ce fait, cet album a presque pris deux fois plus de temps à être créé que Coal et Bilateral pris ensemble, si on compte les heures passées dessus.

C'est un album où rien n'a été laissé au hasard, et qui est aussi très technique. Nous nous sommes aussi beaucoup  concentrés sur l'écriture en elle-même, et les mélodies. D'ailleurs, même si l'album est très technique, il est aussi très accrocheur et direct, d'autant plus que l'aspect technique ne saute pas aux yeux au premier abord. Quand on a sorti le single "The Price", je me souviens avoir lu des gens dire "Bof, c'est beaucoup trop simpliste !", et je me disais "Ahah, essayez donc de jouer "Forced Entry" puis essayez de jouer "The Price" et vous vous rendrez compte que "The Price" est deux fois plus difficile à jouer !". [Rires]  C'est beaucoup plus subtil ! "Forced Entry" a des rythmiques beaucoup plus évidentes et est construite d'une manière typique du prog "évolué", en un sens. Ici, nous avons fait les choses dans un esprit complètement différent. 

D’ailleurs, si on regarde les groupes que tu cites comme influences pour The Congregation, le metal n’est pas majoritaire : Arvo Pärt, Massive Attack, Radiohead et Gojira. D’ailleurs, on pourrait dire que ce nouvel album est le moins metal de votre carrière et…

Hmm, je ne suis pas vraiment d’accord sur ce point ! [rires] 

Je veux dire qu’il est nettement moins agressif. Il y a aussi nettement moins de cris…

C’est une autre conception, disons. Certains pensent la même chose et d’autres peuvent avoir un point de vue très différent sur cet album. Par exemple, tu trouves sur cet album les sections rythmiques les plus rapides que nous ayons jamais écrites ! [rires] Ca ne dure pas longtemps, mais elles bien là ! [sourire téléphonique] Effectivement, les gens ont tendance à dire que cet album est encore moins agressif, mais de toute façon, de manière générale, je pense qu’aucun de nos albums n’est particulièrement agressif. Pour ce qui concerne les influences, ça ne me dérange pas qu’elles viennent de tout type de musique. Ce qui importe pour moi, c’est que ce soit de la musique qui ait du caractère. Quand j’écoute du métal, je ne peux pas m’empêcher d’analyser : « Ah, ils utilisent cette technique. Oh, c’est ce genre de rythmique… » C’est un univers musical avec lequel je suis familier, j’ai donc plus de mal à être surpris, tout en ayant tendance à être plus critique envers ce type de musique.
 

Leprous, 2015, The Congregation, interview, français, Einar solberg,

Pourrais- tu expliquer le titre de l'album ?

Oui, et j'en profiterais pour parler des paroles et de l'artwork, car tout cela est lié. Donc, The Congregation... On pourrait penser que cela fait référence a une congregation religieuse, mais ici nous ne faisons pas exactement référence à cela. En fait, ceux que nous appelons la congrégation sont les gens qui suivent quelque chose aveuglement sans avoir aucune sorte de réflexion, ce qui fait référence a la manière dont fonctionne la société. ...

Beaucoup de gens pensent qu'ils sont totalement libres de leurs choix, dans notre monde moderne. C'est en partie vrai... Mais nous sommes aussi esclaves de cette société, du fait que beaucoup de choses sont déjà décidées, sans que nous puissions intervenir ou choisir autrement. Et ce processus est souvent très destructif. Par exemple, si on pense à nos vêtements, tu peux t'intéresser à leur fabrication et te rendre compte que tout est fabriqué par des enfants en bas âge. Même chose pour la nourriture, où  des animaux sont souvent torturés dans le processus. Donc tu vois toutes ces choses qui se produisent, et tu n'as pas le choix, sans pouvoir y changer grand chose. Après, tu peux faire quelques petits efforts ici et là. Par exemple, je suis végétarien. Mais même avec cela, je vois que j'ai utilisé un shampoing testé sur des animaux. Il n'y a presque rien que tu puisses faire dans la société d'aujourd'hui en ayant la conscience tranquille ! C'est pour cela que je pense que nous sommes plus ou moins une congrégation soumise à ce qui a déjà été décidé pour nous. [soupir] Et certaines personnes le sont encore plus que d'autres !

Ceci dit, nous ne voulons pas être moralisateurs, c'est plus pour éveiller les consciences et essayer que les gens s'en rendent compte. Beaucoup de personnes pensent que c'est tout a fait normal, sans même se poser la question ! Et quand on y pense, c'est franchement sinistre. Les gens peuvent faire des choses dans leur vie de tous les jours qui sont proprement horribles, et sans même y penser. Mais ils ferment les yeux, parce c'est plus facile, moi le premier d'ailleurs ! Je sais qu'il y a beaucoup de choses horribles, mais il y en a trop pour qu'on puisse toutes les éviter, c'est  impossible. La société peut te forcer à faire de sales choses, de bien des manières ! [rires] Ce sont donc des paroles plutôt sombres et dépressives en un sens. Mais au moins, c'est sur un sujet important ! [sourire] L'artwork est un foetus siamois, qui représente la déformation et la destruction résultant de ce que je viens d'évoquer. C'est en quelque sorte une mascotte pour montrer que les choses ne sont pas comme elles devraient l'être, et qu'il y a quelque chose qui ne va pas dans notre société.

Il me semble que Tor a été un grand contributeur à votre musique pour les précédents albums alors que cette fois, tu as tout composé seul. Pourrais tu expliquer pourquoi ?

Ce n'était pas vraiment intentionnel. J'ai écrit, disons, 80 % de Coal, et j'ai également composé la majorité de Bilateral. J'ai toujours été le plus grand contributeur, en terme de compositions, alors qu'il s'occupait de la plupart de nos paroles jusqu'à présent. En fait, Tor a essayé d'écrire des choses et il ne se sentait pas inspiré, pour ainsi dire. Du coup, il en a résulté que j'ai tout écrit ! Nous composons toujours chacun de notre côté, et ce sont les idées qui plaisent le plus à tout le monde qui sont exploitées. Tout le monde a le droit d'écrire dans Leprous !

Leprous, 2015, The Congregation, Interview, Einar Solberg,

Dans le dossier de presse, tu expliques que the Congregation a été écrit en utilisant l'ordinateur. Tu dis même que l'ordinateur t'a aidé à utiliser tes oreilles plutôt que tes connaissances musicales. Pourrais-tu développer ?

Quand tu écris de la musique, il y a forcément un ensemble de connaissances qui sont utilisées. Néanmoins, tu composes en suivant ton intuition et si quelque chose sonne bien à l'oreille, tu ne vas pas le rationaliser. Tu ne vas pas te dire : "Oh, c'est idiot de jouer de cette manière sur ce plan. Ou bien, cet accord mène mieux à celui ci, etc..." Dans ces situations, tu te mets à répéter les mêmes schémas de composition que tu connais déjà trop bien ! Alors qu'en écrivant sur ordinateur, tu ne fais que bouger des notes ici et là, sans même penser à l'instrument qui doit jouer ces parties. Je me suis juste concentré sur comment sonnait la musique ! Evidemment, ça a posé des problèmes quand il a fallu transposer la musique sur de vrais instruments, particulièrement pour la guitare. Mais ça s'est fait plutôt facilement, finalement.  Il y a eu juste quelques ajustements pour rendre tout jouable. Je dirais que j'ai juste beaucoup moins utilisé mes connaissances en écriture et en théorie musicale. Cette fois, j'ai laissé mes oreilles me guider. Je n'ai même pas fait attention aux tonalités, en écrivant ainsi ! [Rires] Je me disais que je m'en occuperais plus tard ! C'était très reposant créativement de ne pas avoir à penser à toutes ces règles.

Cette fois, seulement le chant a ete enregistre par Ihsahn. Etait-ce que vous vouliez vous distancer de lui cette fois ?

En fait, comme nous avions un nouveau batteur, nous avons décidé d'essayer quelque chose de nouveau pour l'enregistrement de la batterie. Nous sommes donc allés les enregistrer aux studios Fascination Street. Tout le monde connaît ces studios, ils sont légendaires, c'était donc l'occasion d'essayer. Et le résultat nous a tellement plus que nous avons décidé d'y faire le reamping des guitares et de la basse. Concernant le chant, j'étais si satisfait de ma méthode de travail avec Ihsahn sur les précédents albums que j'ai décidé de le refaire une nouvelle fois. C'est important d'utiliser de nouveaux environnements, mais aussi garder ce qui marche bien.

Sur vos photos promo, il n'y a pas de bassiste, comme les fans l'ont remarqué. C'était déjà arrive pour Coal d'ailleurs ! Est-ce que cela signifie qu'il n'y aura plus de bassiste permanent dans Leprous ?

Nous n'avons pas eu de chance avec les bassistes. Soit ils quittent le groupe soit ça ne fonctionne pas. Par chance, cette fois, le bassiste qui a joué sur l'album sera aussi celui qui va tourner avec nous, au moins pour cette année.  Il s'appelle Simen, et nous allons faire l'annonce bientôt pour que tout soit clair. C'est ainsi de nos jours, la plupart des groupes n'arrivent pas a garder un line-up stable sur une longue durée. C'est difficile. Mais tant qu'il y a une force créative, nous pouvons passer outre et faire appel a des gens talentueux pour combler ce manque. D'ailleurs Baard a pris une place importante dans le groupe.

Justement, à propos de Baard. En dépit de son jeune âge, il est très talentueux, mais son jeu est complètement différent de celui de Tobias. Est-ce que vous lui avez donne des instructions pour qu'il ait la touche Leprous ?

Oh, non ! Quand tu intègres un nouveau membre, il faut lui donner la liberté de faire ce qu'il sait faire. Sinon, ça n'a pas de sens. Nous ne voulions pas d'un nouveau Tobias, ce n'est jamais bon d'imiter, selon moi. Quand un nouveau arrive, ça sonne autrement, voilà tout. Les gens aimeront ou pas, mais au moins c'est quelque chose de nouveau, et c'est important. En studio, il a commencé à dire "Hmm, je veux un tom de plus " , et nous avons répondu "Euh… D’accord !". Après il en a voulu un autre, puis un autre, etc... On a accepté tout ce qu’il demandait. Et il s'est retrouvé avec cinq toms, comme sur un vrai kit de batterie prog ! [rires] C'est sa manière de faire, donc soit ! On doit accepter son style tel qu'il est, sinon à quoi bon ?
 

Leprous, 2015, The Congregation, interview, français, einar solberg,


Est-ce qu'il y a une chanson de Leprous qui te touche émotionellement plus que les autres ? As-tu une chanson préférée ?

Oh... C'est compliqué ! Mes chansons me touchent au début, et avec le temps, elle se mettent à me lasser énormément. C’est difficile de répondre. J’aime encore les jouer en concert, mais je suis incapable d’écouter Bilateral ou Coal aujourd’hui et de leur donner une appréciation juste, du fait que je les ai tellement jouées. Je pense donc que les chansons qui me touchent le plus émotionnellement aujourd’hui sont celles du dernier album, car c’est ce qui est le plus récent. [il réfléchit longuement] Je dirais : "Rewind", "The Flood", "The Price" et "Slave". Je suis vraiment très content de ces chansons et elles me parlent beaucoup aujourd’hui.

Sur l’album, on peut entendre un nouveau type de cri. Qu’est-ce qui t’a poussé à expérimenter ça ?

C’est tout simplement que je me détruisais complètement la voix avec la technique que j’utilisais auparavant. Je me suis donc rendu compte que je devais soit arrêter de crier, soit trouver une technique moins éprouvante pour ma voix. J’ai opté pour la deuxième solution, qui est plus satisfaisante selon moi ! [rires] Sur la dernière tournée, ma voix était tellement sollicitée qu’il m’est souvent arrivé de supprimer des chansons du set, à cause des voix criées. Ces voix sont une partie de Leprous, mais une partie qui est nettement moins importante que celle occupée par le chant clair, donc ça ne vaut pas le coût de briser ma voix. J’ai donc essayé des tonnes de techniques différentes, même dans la voiture. D’ailleurs, ça devait être un spectacle très bizarre pour les conducteurs d’en face ! Après avoir énormément toussé et eu des douleurs à la gorge à chaque fois que j’essayais, j’ai finalement réussi à trouver une technique qui n’est pas du tout fatigante pour ma voix. C’est une technique est très faible en volume, mais elle a une sonorité intense, et qui fonctionne bien dans le contexte. Donc tant que ma voix est compressée en live, ça devrait marcher parfaitement !

Il t’est arrivé d’être très critique par rapport à la scène prog d’aujourd’hui, notamment sur certains groupes qui n’arrêtent pas de se copier les uns des autres. Est-ce que tu penses qu’il reste malgré tout des groupes qui sont sur un terrain artistique semblable à Leprous ?

Evidemment ! [rires] Je dirais même qu’il y a plein de groupes qui sont un bien meilleur terrain artistique que Leprous ! Je ne nous considère supérieurs d’aucune manière. Disons que nous connaissons nos qualités et nos faiblesses, et nous nous analysons de manière à avoir une vraie personnalité musicale. Si tu prends des groupes comme Tool… Ou encore Gojira, par exemple ! J’adore ce groupe, ils ont clairement une vraie personnalité !

Entretien réalisé par Tfaaon (Facebook)
 



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