Philippe Luttun est maintenant un habitué de la grosse radio, bien connu de bon nombre de nos auditeurs. Pour celles et ceux qui ne le connaissent pas encore, après avoir travaillé comme illustrateur sonore, notre homme s'est reconverti et enregistre depuis ses albums solos pour le plaisir, qu'il met d'ailleurs à disposition gracieusement sur son site Internet (une version Cd est également disponible à l'achat). C'est donc un travail quasi entièrement solo qui nous est proposé à chaque fois, Mister Luttun enregistrant lui-même chant claviers et guitares, tout en programmant la section rythmique. Après plusieurs EP qui lui ont permis de se perfectionner dans la maîtrise de ce joyeux capharanaum, le voilà qui nous propose son premier véritable album au sens où il a désormais acquis les compétences nécessaires pour s'exprimer pleinement, Ring Down the Curtain. Si les influences principales sont toujours à chercher du côté du rock progressif (en vrac, YES, DREAM THEATER, TRANSATLANTIC, NEAL MORSE et consorts), impossible pour qui a déjà posé une oreille sur ses travaux de ne pas ressentir un vent de fraîcheur.
L'originalité de sa musique de tient en bonne partie à une ouverture assez prononcée vers le jazz. Il était tout aussi impromptu que jouissif de voir un solo de saxophone débarquer sur le break d'une longue pièce, ce qui réhaussait considérablement l'attrait d'un métal progressif d'excellente facture bien qu'un peu trop classique, en élargissant son spectre d'influences. Sans chercher à révolutionner son style, notre ami s'est juste complètement lâché. On a toujours droit à des compos globalement longues, avec cassures de rythmes et solos de folie en veux-tu en voilà, et pourtant... Tout d'abord, en termes de musicalité pure, l'album s'éloigne assez foncièrement des ambiances mélancoliques parfois développées jusqu'à présent (Forgotten Paradise, Legacy of Submission). En délaissant une part de ses oripeaux métal, sans chercher à supprimer toute noirceur pour autant ("Damocles Sword", "Lieberal vel Legis" et son refrain épique), l'album gagne en diversité, en luminosité et en panache.
Un autre atout de taille est la présence de la chanteuse Pris K du groupe de rock gothique R.D.S.K., (entre autres) qui sublime les lignes mélodiques de sa voix enchanteresse. Sur ce coup-là, ce n'est rien de dire que Philippe a fait bonne pioche. "Far beyond the Sea", au thème irradiant la classe à l'état pur, n'aurait jamais atteint ce niveau d'intensité sans son concours. Car c'est bien elle qui ouvre le bal sur ce titre d'ouverture aux nappes de claviers lumineuses. Si les thèmes abordés ne transpirent pas la gaieté du bal des schtroumpfs (la perte de l'innocence, les changements climatiques et sociétaux), la musique n'en laisse rien transparaître. Irradiant le bonheur pur, à l'exception d'un break plus sombre, ce morceau titre est une invitation à poser ses valises et à ouvrir grand les oreilles. Pas de précipitation malvenue, pas de remplissage technique, juste du feeling et du plaisir alors que ces deux voix nous accompagnent vers un final dantesque bien que d'une relative simplicité, avec le retour du thème d'ouverture qui donne lieu à quelques échanges guitare/clavier que n'aurait pas renié SPOCK'S BEARD doublés des excellents choeurs de Pris.
Du rock donc, teinté de quelques passages métal avec toujours cette voix sourde pas si éloignée de celle de Dave Mustaine en moins nasillard (bien que l'auteur n'ait jamais été un inconditionnel de MEGADETH). N'allez pas croire pour autant que les passages jazz sus-nommés aient été mis de côté pour autant, comme indiqué plus haut, ils sont au contraire plus présents que jamais, il suffit d'écouter "Pictures of Humanity" pour s'en convaincre. Après une intro très prog sur laquelle les solos de guitare se taillent la part du lion, voilà le retour des cuivres sur une rythmique alambiquée, avant de passer à un passage hallucinant de musique de supermarché qui ne manquera pas de décrocher un franc sourire aux auditeurs. Pourquoi se priver de quelques délires ? Surtout quand ils sont bien amenés et qu'ils aboutissent à des couplets bien heavy et un break franchement flippant de vélocité. Le meilleur des mondes quoi, à l'instar de "Scars only Heal", qui après une intro une fois de plus très jazzy, se plaît à envoyer le pâté.
Même la ballade "I have seen the world change", qui aurait pu être sirupeuse et insupportable, s'avère fort agréable de bout en bout, grâce à des arrangements bien sentis, des sons de clavier de derrière les fagots, et de nouveau un break splendide réhaussé par des interventions de voix en plusieurs langues avant que la guitare ne reprenne ses droits sur un final une fois de plus enchanteur. Ajoutez à cela un excellent instrumental qui vient conclure le voyage sur des sonorités inédites (il ne s'appelle pas "The Gate of Ishtar" pour rien), et vous comprendrez qu'il n'y a pas grand chose à jeter là-dessus. On se serait presque passé du titre bonus, tant on a l'impression que la boucle est bouclée. Mais c'est là chipoter. Avec ce Ring Down the Curtain admirablement maîtrisé de bout en bout, Philippe Luttun nous prouve qu'il continue de se bonifier avec l'âge et l'expérience. Que dire de plus si ce n'est bravo ?
Ma note : 8,5/10
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Tracklist :
1 - Far Beyond the Sea
2 - Damocles Sword
3 - Pictures of Humanity
4 - I have seen the World Change
5 - Lieber al vel Legis
6 - Scars only Heal
7 - The sweet Taste of her Lips
8 - The Gate of Ishtar
Bonus track :
9 - A Land above the Sky