Pionniers dans le groove death metal indus futuriste (comment pourrait-on décemment qualifier leur style autrement ?), les américains de Fear Factory auront connu une carrière en dents-de-scie. Très en avance sur leur époque, leurs premières propositions artistiques, Soul Of A New Machine (1992), puis les chefs d’œuvre Demanufacture (1995) et Obsolete (1998) auront révolutionné la face du metal extrême à jamais. Entraînant dans leur sillage une mélopée de formations directement influencées par les doux cauchemars insufflés par « l’usine de la peur » - très souvent copiée, mais rarement (bien) imitée.
Après moult changements de line-up et restructurations, Fear Factory semble avoir stabilisé sa position depuis peu, puisque Genexus arrive aujourd’hui et se présente comme le troisième album comprenant le pilier Dino Cazares, de retour pour de bon à la guitare. Car si Burton C. Bell (chant, paroles & contexte) est l’âme, et résolument l’élément quintessentiel de Fear Factory, Dino n’en est autre que la colonne vertébrale (génétiquement modifiée ou non).
Dino Cazares (guitare) & Burton C. Bell (chant)
Alors quid de Genexus, en cet an de grâce 2015 ? Le titre, tout d’abord, est un croisement linguistique entre les mots « genèse » et « nexus », décrivant le prochain pas dans l’évolution de l’humanité : sa mécanisation, aussi bien physique que psychologique, voire métaphorique. Le premier chapitre, « Autonomous Combat System », rappelle instantanément l’entrée en matière de Demanufacture : efficace et groovy, mais avec un léger arrière-goût de « déjà vu ». « Anodized » et « Dialectric » accrochent de suite, également, avec leurs abords de morceaux clairement taillés pour la scène. Petite nouveauté sur « Soul Hacker » : une ébauche de solo de guitare de la part de Dino ! Intéressant. « Protomech » met en scène tout ce qui a fait et fait la griffe indéniable de Fear Factory : riffs béton, rythme haletant, précision « mécanique » dans l’exécution, orchestrations « creepy », et la permanente dichotomie chant clair (la voix de l’homme désemparé, dépassé ?) / growl (le timbre implacable de la machine ?).
« Regenerate » et « Battle For Utopia », par trop guillerets (comme leurs titres respectifs semblent le suggérer, par ailleurs…) et bizarrement pop, déçoivent. On semble tombé en plein dans l’ère « Digimortal », et son goût édulcoré, à nouveau. Pour donner la nuance, un peu de Sisters Of Mercy, Joy Division, ou même Nick Cave, auraient été des influences plus appropriées et bienvenues, il semble … Hormis ces demi-teintes, le reste de l’album s’avère à la hauteur, et révèle plusieurs pépites de diamant, même. « Expiration Date » clôt l’album dans la continuité de la tradition Fear Factory : façon musique de film, croisée d’une pointe d’inspiration Pink Floydienne. Juste parfait !
C’est un bon cru que ce Genexus, qui relève les challenges la tête haute, et permet à Fear Factory de reprendre son sceptre à pleine paume. Outre-Atlantique, les éloges pleuvent, et beaucoup crient même au chef d'oeuvre. C'est que le souffle d’inspiration est résolument là, ainsi que le contenu et sa richesse habituelle, pour former un album qui ravira à n’en point douter les fans - même s’il ne s’avère pas foncièrement révolutionnaire. Et c’est la pointe de déception que l’on aura, et le mini-grief que l’on gardera ici : la thématique et l’axe sonore de Fear Factory (bien que clairement définis et tracés) offriraient pourtant des possibilités d’exploration très vastes ; de par le choix de l’usage du synthé, et les kyrielles de voix possibles, il y aurait pourtant tellement « moyen » de tenter de nouvelles choses plus excentriques à chaque fois … La grande question, c’est finalement : la démarche de Fear Factory peut-elle s’apparenter à celle d’une création comme la série Prison Break ? C’est-à-dire une œuvre qui, dans sa problématique-même, porte en elle les germes d’une existence de courte durée ? Une oeuvre prisonnière d'un concept trop fort et trop affirmé ?Car une fois Michael Scoffield sorti de prison, que reste-t-il donc à faire d'autre ?
Et bien précisément : nous sommes loin d’avoir à faire au même cas de figure. Car l’usine de la peur, ça n’est pas nécessairement uniquement les machines et le futur. Cela pourrait être tellement de choses, thématiquement. Mais - et surtout - au niveau sonore. Alors pourquoi ne pas tenter l’utilisation d’instruments à cordes (violons, violoncelle par exemple) ? Il y eut bien de la contrebasse sur Obsolete … Pourquoi pas non plus pousser à fond le « délire » du gothique perpendiculaire, et introduire de vrais chants de style grégorien ? (bah quoi ? Iron Maiden l’a bien fait, sur son The X-Factor de 1995 !). Idem pour les arrangements : les éléments synthétiques sont très intéressants ici, et même si le sentiment d’oppression est correctement véhiculé, l’on ne peut s’empêcher de penser que le mur sonore manque par moments de profondeur, et que les claviers & arrangements divers ne font pas suffisamment corps avec la musique du quatuor. Comme s’il manquait la note « Saint Esprit » et extra-dimensionnelle (à la Demanufacture ou Obsolete, clairement), à la mixture.
L’on attribuera ainsi la note de 8/10 à cette nouvelle fournée car vraiment efficace, plaisante à écouter, de très bonne (remanu-)facture, mais … un poil prévisible, et sans parti-pris fou. Alors que le groupe pourrait se le permettre. Fear Factory, ça n’est décidément pas l’Agence Tous Risques … Même s'il faut avouer que l'on se plaira, au volant de son véhicule hybride, à écouter ce petit Genexus, à envisager de doux songes de "Sarah Connor ?", et à humer de rassurantes effluves de métal liquide.
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