Vous n’avez jamais souhaité sortir du traditionnel dispositif du concert ? Vivre une expérience musicale live qui s’écarte du sempiternel rituel que nous, fans de musique, ne connaissons que trop bien ? Fort heureusement, il arrive que certains artistes réfléchissent à de nouveaux dispositifs d’écoute, à des lieux particuliers, qui brisent la routine (Ulver, la compagnie Inouïe, Björk…), et c’est ce que font les angevins de Zenzile ce soir avec leur ciné-concert autour de leur dernier album, Berlin.
Il s’agit de la deuxième expérience du groupe dans ce domaine, après Le Cabinet du docteur Caligari en 2010. Pour rappel, Berlin est une pièce de musique créée en s’inspirant du film / documentaire Berlin, symphonie d’une grande ville, réalisé par Walther Ruttmann en 1927. Ce film muet montre Berlin à l’époque, ses différents quartiers et acteurs, l’activité de la ville. Zenzile a développé un album très particulier, en s’inspirant notamment du rock des années 70 et de la scène allemande foisonnante de l’époque (Tangerine Dream, Neu !).
Du coup, on n’est pas très étonnés de voir que la première partie est assurée par un groupe de rock. Heureusement, si Berlin n’a pas fait que des heureux parmi le public du groupe (encore qu'ils auraient sans doute apprécié davantage s'il n'y avait pas marqué Zenzile sur la pochette), celui-ci est largement composé d’amateurs de musique au sens large, davantage attirés par des projets intéressants que de vaines querelles de chapelle.
C’est donc dans un café de la danse sold-out que monte sur scène un duo de musiciens, qui s’emparent respectivement d’une guitare et d’une basse, et qui feront appel à une boîte à rythme pour les parties de batterie. Peu de place pour s’exprimer, peu de lights (forcément, vu que Zenzile va diffuser un film), néanmoins le guitariste a une bonne gouaille et présente son duo : The Brave and the Coward, précisant que son acolyte s’appelle Howard et lui-même Dave (bien qu’il ne soit pas « so fucking brave »). Si les deux bonshommes jouent bien, font preuve d’humour et qu’il existe une véritable alchimie entre eux, la musique pratiquée (que les musiciens qualifient de « regressive rock ») peut laisser dubitatif, mais colle avec les influences revendiquées par Zenzile sur cet album (ils ne les ont pas pris en première partie complètement par hasard non plus).
Durant la demi-heure de set qui leur est allouée, Howard et Dave enchaînent des morceaux souvent basés sur des boucles répétitives, proposant des harmonies tordues, parfois sur des rythmiques étonnantes, toujours avec beaucoup d’humour, que ce soit dans leurs paroles ou leurs interventions entre les morceaux, parfois en français, Dave s’exprimant fort bien dans notre langue. Un bon concert donc, même si n’appréciant personnellement pas le style pratiqué, je me garderai de porter un jugement dessus, positif ou négatif.
21h et des bananes, Zenzile monte sur scène tranquillement devant les 500 spectateurs qui blindent ce bel espace qu’est le café de la danse. Pour celles et ceux qui ne connaissent pas, la salle fait davantage penser à un théâtre qu’à une salle de concert, avec des gradins (dotés de sièges confortables), une scène assez basse et une grande hauteur de plafond. Une grande toile blanche trône d’ailleurs en fond de scène, sur laquelle sera diffusé le film. Après quelques réglages de dernière minute (quelques petits problèmes techniques), le concert et les images peuvent démarrer. Forcément un peu étonnant de voir le groupe pratiquer ce genre de musique puisqu’il se montre bien plus énergique. Et bien que ce ne soit pas la première fois que Zenzile se dirige vers le rock, la musique proposée sur Berlin, instrumentale et éclectique, est parvenue à un mélange intéressant entre références au passé et innovations bien senties, pour un résultat assez jusqu’au boutiste artistiquement parlant.
Les musiciens sont volontairement peu éclairés pour faciliter le visionnage des images. Très vite, on s’amuse à zapper du film aux musiciens et inversement. Est-ce que cette nouvelle bande originale colle véritablement au métrage ? Le débat reste ouvert, tant écouter un groupe récent s’inspirer des années 70 pour habiller des images des années folles est anachronique. Pourtant, l’expérience devient véritablement enivrante sur la longueur.
Plutôt que proposer une vidéo en mauvaise qualité du concert, cet extrait proposé par le label permet d'avoir une idée fidèle du rendu.
Tout d’abord, ce n’est pas une surprise, Zenzile joue très bien. Le guitariste Alex notamment s’est lâché et nous gratifie de superbes parties de guitare de grande classe, tandis que ses compères assurent. L’album Berlin est non seulement bien rendu, mais aussi enrichi pour le live de plusieurs arrangements appréciables, quelques joujoux rythmiques supplémentaires étant de sortie, tandis que les musiciens n’hésitent pas à se laisser quelque peu emporter par l’énergie du moment, pour un rendu plus organique et vivant que sur disque.
Ensuite, le film est vraiment intéressant. Après quelques plans vus d’un train qui entre en ville, le rythme s’accélère tandis que la ville se réveille, que des myriades de gens se retrouvent à marcher dans la rue, que les ouvriers réveillent les usines, que les maraîchers sortent leurs étalages… Et peu à peu, l’alchimie entre la musique et les images se révèle. Une alchimie certes assez particulière, mais néanmoins bien présente et qui devient plus tangible alors que le film se dirige vers d’autres scènes de la vie quotidienne, les enfants qui vont à l’école, des gens qui se prélassent dans les parcs (l’occasion pour Raggy de sortir sa flûte), puis un défilé militaire devant une foule de badauds, des prises de becs entre ouvriers et policiers, avant de se diriger vers la soirée (l’occasion pour Raggy de sortir son sax), les scènes dans les bars et les clubs de l’époque.
Enfin, le film est divisé en 5 actes, chaque acte étant l’occasion de voir Zenzile interpréter deux ou trois pistes. Si on comprend tout à fait la nécessite de découper l’album en plusieurs pistes pour offrir un plus grand confort d’écoute aux auditeurs, cette façon de présenter les morceaux (chaque début d’acte est précisé, ce qui est aussi l’occasion pour les musiciens de faire une petite pause) permet de découvrir Berlin sous un autre jour et, peut-être, de mieux appréhender le travail du groupe.
Petit coup de gueule, le groupe ne joue « que » son dernier album (malgré un excellent final allongé), pour une bonne heure de concert. Un peu court, mais d’un autre côté, la qualité du set et le dispositif scénique particulier ont permis à l’assistance d’assister à un spectacle de haute volée. Au vu la disposition de la salle et de l’ambiance particulière ce soir, il aurait de toutes façons été un peu incongru de voir le groupe revenir pour un rappel. Encore que… Mais ne nous y trompons pas, ce fut une très belle soirée autour d’un groupe qui a décidément une classe folle, et qui se fera longuement ovationner par son public en sortant de scène.