Pour écouter cet album dans des conditions idéales, il faut suivre tout un protocole que je vais énoncer comme suit : prenez le train direction la Bretagne, immergez-vous au cœur de la merveilleuse culture celte, ressentez sa mélancolie, ses esprits de la forêt et ses légendes transmises depuis des millénaires, mettez un casque sur vos oreilles, lancez l'album I quit you dead city, fermez les yeux et imaginez vous que vous êtes à Nashville. Voilà. Ça y est, vous êtes fins prêts à reconnaître la musique de The red goes black, à reconnaître leur essence même, ce qu'ils partagent avec nous, ce qu'ils veulent nous dire, à nous provinciaux et moins provinciaux de la France métropolitaine.
Pour commencer, nous pourrions parler de l'énorme influence des Black Keys mais commençons par éviter les clichés et parlons d'autre chose... Pour commencer en tout cas...
Rien que le nom du groupe, assez Stendhalien, évoque déjà des territoires où l'auditeur a envie de se morfondre, comme un plaisir masochiste, de se rouler dans l'eau boueuse du Delta. The red goes black, c'est le sang qui devient noir, c'est un retour aux sources, c'est comprendre l'histoire de la musique américaine depuis les Cotton fields jusqu'à aujourd'hui, mais en Bretagne donc. Ce concept pourrait faire des émules et je pense que personne ne s'en plaindrait. Le titre de l'album maintenant : celui-ci évoque tout à la fois le désir morbide de se retrouver dans une ville fantôme tel un lonesome cowboy de l'enfer mais aussi de l'espoir d'échapper à cette mort de l'âme qui nous guette tous, nous les bluesmen en herbe. Mais quelle est donc cette ville morte ? Est-ce Nashville ? Est-ce une ville poisseuse des bords du Mississippi ? Est-ce un petit patelin paumé au fin fond de la Bretagne ? Et bien, cette ville secrète est un peu de tout cela à la fois, ainsi nous connaissons le voyage à effectuer mais pas la direction de celui-ci.
Dès la première chanson « It's all gone », Nous savons que tout s'est envolé et qu'il faut donc partir. Et tout de suite, le blues électrique de nos chers bretons nous prend aux tripes, la musique réussissant le tour de force de nous faire danser et pleurer en même temps. Tout a disparu, même l'oubli mais pas la nostalgie et il faut tout recommencer ailleurs. Le groupe nous emmène directement par la voix, une voix à la fois claire et chaleureuse, grave dans ses propos mais sensuelle et pleine de promesses, ce jeune homme là sait chanter et c'est bon de le dire dans la sombre période que nous vivons. Un peu de fraicheur dans une eau trouble, voilà ce que nous offre The red goes black.
Puis le troisième morceau « Mr. Something » balance vraiment bien, une batterie lance un piano délicieusement R&B et finit par une wah-wah à la six cordes presque sexuelle, c'est du joli boulot, reconnaissons-le et dansons. Mais l'ombre bleue que nous avons sur le cœur revient rapidement avec le morceau suivant « Fear of change », le voyage n'est pas si facile que ça dans ce morceau, peut-être le plus inspiré musicalement de la guitare de Dan Auerbach, cette guitare remplie de reverb' à la fois grave mais au son fondamentalement cool sans que l'on sache d'ailleurs dire pourquoi...
Oui vous l'attendez...vous voulez que je le dise, et bien oui : ça ressemble aux Black Keys... mais finalement pas tout et pas tant que ça, est-ce à dire que le groupe a une identité propre ? Et bien oui : un groove, un swing qu'on entend pas souvent. Et puis, eux, ne font pas semblant d'être quelqu'un d'autre, comme Skip the Use et leurs petits potes de Shaka Ponk faisant semblant d'être des punks...
Pour en revenir à notre groupe, sur « Barrel hill », il sonne davantage comme Jack White, l'ennemi juré des Black Keys, que comme ces derniers. Il faut laisser agir cette musique sur le cœur tout simplement. Comme le dit le chanteur sur « Good things », nous perdons la tête sur cet espèce de gospel boogie terriblement efficace. Il faut ensuite s'imaginer au volant d'une de ces énormes voitures américaines, roulant sur la route 66, sur la chanson-titre de l'album : Nous quittons la ville morte avec le plein d'essence et un horizon incertain et infini, la chanson-road-trip fait mouche une fois de plus, on peut être né pour être sauvage et en Bretagne, ce n'est plus incompatible désormais !
L'album se finit par un trip épique et sensuel à travers la chaleur suintante de l'aube, « Warmth of dawn » ponctue parfaitement l'album par trois petits points délicieux laissant l'auditeur à la fois repu et insatiable. La journée ne fait que commencer et elle est pleine de promesses...
Nous suivrons donc les aventures de ces garçons avec intérêt et nous leur souhaitons bonne chance, ils sont bien partis pour danser longtemps.
Rigil Kent
Crédit photo : Martial Morvan - Pictures on M@RS