Les plages électriques noisey du producteur Furtherset nous ouvraient l’appétit et nous donnaient soif de guitares. Nous nous réjouîmes donc de l’arrivée de Liturgy, quatuor de black metal de Brooklyn, sur la scène de la Maroquinerie. La foule n'y est pas encore, tant pis et tant mieux. Le metal, c'est toujours bien quand on a de la place.
Furtherset
Liturgy commence doucement – si l'on peut dire – dressant d'emblée un mur de guitares, mais sans grande conviction apparente. Hunter Hunt-Hendrix, leader-guitariste-chanteur et Greg Fox, batteur, demandent instamment qu'on monte le son de leurs instruments. On ne leur en voudra pas. Car la sauce prend dès le troisième titre, « Returner », extrait de l'album de 2011 Aesthethica. Hunt-Hendrix tire de son manche d'étonnants sons de cloches cristallines ; à peine charmé par la ludique atmosphère chrétienne, qu'une cathédrale sonore nous tombe sur le coin du tympan. Car Liturgy joue bien une musique architectonique.
Loin de l'héroïsme ou des solos épiques, ce metal là est dense et répétitif, articulé autour des cavalcades souvent heurtées du batteur Greg Fox (dans « Generation », véritable tube entonné vers la fin du set, la précision (a)rythmique atteint des sommets, venant nous titiller délicieusement dans le thorax). Au dessus, planent des petites cordes aigus et des mélodies en boucle. Hunt-Hendrix y susurre des psalmodies inintelligibles, souvent haut perchées, et parfois, en arrière fond, se devinent des accents de voix spectrales, d'orgue ou de cornemuse (dont nous n'aurons pas décelé l'origine sur scène. Pédales, probablement ?).
Lyrique souvent, noisey presque en permanence, la musique de Liturgy n'est nullement démoniaque ou chthonienne, comme le voudrait la tradition dominante du black metal. Comme la cathédrale, elle pèse lourd sur ses fondations pour mieux s'élancer vers les cieux. Une musique à écouter le yeux fermés, dans un headbanging au ralenti, intérieur. Le leader a parlé de « black metal transcendental ». La lumière au bout de la transe et de la saturation, on voit bien l'idée...
Hunter Hunt-Hendrix et Greg Fox de Liturgy
Côté jeu de scène, la sobriété reste maître mot. Trois ombres à guitare à contre-jour, enveloppées de leurs cheveux longs (bon dieu, d'âge indéfinissable, Hunt-Hendrix et le bassiste Tyler Dusenbury ressemblent furieusement aux métalleux de ton ancien lycée). Et Fox, vite torse nu, exhibant ses tatouages sous les douches des projos. Sombres et sérieux, difficiles de dire s'ils fatiguent de la tournée ou s'ils se livrent à l'office avec une application poseuse. Il manquait probablement de la vie sur scène pour nous aider à rester concentrés jusqu'au bout. Car entre les chapelles ornées aux rythmes imparables, les vestibules bruitistes sont parfois sévères, à la longue.
Après l'interset, la salle est comble, le silence absolument religieux. Colin Stetson a revendiqué Liturgy comme l'un de ses groupes favoris – ce qui explique probablement l'affiche de cette soirée en apparence paradoxale. Il dira ensuite, à la fin du set, qu'il n'aurait jamais cru jouer un jour avec le quatuor de Brooklyn, « après eux, surtout ». Malgré cet hommage, la star, ce soir, c'est lui, ou plutôt ce sont eux : duo saxophone et violon, Canadiens l'un comme l'autre, gravitant autour de la scène indie et du label Constellation, Colin Stetson et Sarah Neufeld ont trouvé avec Never Were The Way She Was, paru en 1015, une formule qui marche redoutablement. Probablement pas si présomptueux que cela, Stetson, lorsqu 'il dira qu'il leur reste encore quelques vinyles « par miracle ».
Ce succès, mérité en majeure partie, s'explique par deux raisons, que les Canadiens ont exposé par a+b sur la scène de la Maroquinerie. D'abord, la vogue dans les musiques indie, pop et électro des structures répétitives de la fin du siècle dernier, celles des compositeurs minimalistes (sur Liturgy comme sur le duo Stetson-Neufeld plane discret, par exemple et parmi d'autres, l'esprit d'Arvo Pärt). Stetson s'était fait connaître pour ses boucles hypnotiques, notamment à travers la série d'albums New History Warfare. Désormais secondé, ou plutôt secondant lui-même le violon de Sarah Neufeld, la formule prend enfin le lyrisme et la chair qui pouvaient manquer au travail du saxophoniste en solo.
Neufeld en solo, les saxophones de Stetson en attente
Deuxième intérêt du duo : la performance. Les deux musiciens font le choix de l'acoustique et se refusent à utiliser le sampling. Neufeld se contente d'une pédale d'effets pour son violon et de réverbération pour sa voix. Trop d'effets, d'ailleurs, on se serait passé d'une telle noyade... Quant à Stetson, il passe d'un saxophone à l'autre, et joue comme à son habitude du souffle continu. Combien de litres d'air passent par ses bronches en un set ? (Il nous gratifiera finalement d'un rot retentissant quoique involontaire, grâces soient rendues à Dieu). Un micro habilement positionné lui permet d'ajouter au son du saxo les vibrations de ses cordes vocales.
Tendance homme-orchestre donc : les touches pressées ponctuent rythmiquement les boucles mélodiques, les éructations de stégosaure captées depuis sa gorge tendue répondent à la voix gracile de Neufeld. En guise de section rythmique, la violoniste se contente sur deux morceaux de taper du pied en en amplifiant le son ; l'ensemble prenant alors une agréable couleur folk. Performance, donc, pour une musique profondément charnelle, qui vient nous chercher directement au cœur. On ne niera pas non plus l'effet rendu par les deux silhouettes face à face, tandis que se développent les morceaux aériens, la femme limant inlassablement ses cordes, l'homme bercé aux prises avec sa bête de cuivre.
Seulement, l'ennui guette. Pas terrible, non, mais léger, sournois, par touches. Le risque d'une telle formule, basée justement sur la performance, la répétition et le dépouillement musical, est justement, sur scène, de lasser. Lasser agréablement, comme une berceuse qu'on finit par ne plus écouter. On regrette que Stetson soit beaucoup cantonné à l'accompagnement aux saxophones basses (ou contrebasses ?) ; on connaît pourtant ses capacités d'emportement mélodique. Lorsque Neufeld joue et chante seule au milieu du set, elle nous perd assez vite à force de chauffer le milieu de son archet. Enfin, les deux morceaux finaux, aperçus du second album à venir du duo, certes charmants, sonnaient bien surnuméraires malgré leur brièveté.
Bref, tout cela finit fatalement par manquer de recherche en terme de composition. C'est bel et bien la formule elle-même, observée avec rigueur, qui laisse apercevoir ses limites. (Fausse) surprise : ce reproche, dans une tout autre couleur certes, pourrait être fait également à Liturgy... Est-ce une bonne idée, pour Neufeld et Stetson, d'exploiter la formule pour un album de plus, sans penser à l'enrichir et à la mener ailleurs ? Pas certain. L'avenir proche nous le dira.