1991, le début d'une nouvelle décénnie riche en musique mais qui marquera peu à peu le recul certain du "metal" pour une nouvelle vague appelée "grunge", reprentée en cette année par le Nevermind de Nirvana. Mais nous ne sommes pas ici pour causer de cette "révolution" (très controversée pour certains) portée par Kurt Cobain et ses ouailles, mais bel et bien pour parler de l'album culte éponyme d'un groupe ayant marqué les années 80 : Metallica. Le thrash, le heavy, le metal, le vrai... A cette époque, The Four Horsemen fêtent quasiment leurs 10 ans d'existance et semblent cependant ici vouloir franchir un cap avec un opus qui, malgré sa grande popularité, fera couler beaucoup d'encre.
Pour certains puristes, ce Black Album - ainsi surnommé pour sa pochette très simpliste à dominante noire - constitue la fin de Metallica, ou plutôt la lente et longue descente aux enfers. Pour d'autres, cette offrande s'avère la meilleure, la plus aboutie, le point culminant d'un quatuor forgé dans l'acier pur. Ou quand le thrash dévastateur au son surpuissant se fait plus doux, plus "commercial" en un sens, sans perdre la saveur de compositions magiques comme seul ce groupe sait (a su ?) faire. Ce 5ème disque d'une formation californienne déjà ultra populaire sonne donc déjà le glas d'une certaine époque et s'avanouit dans une certaine obscurité pour les adorateurs des Kill 'Em All ou autres Master of Puppets. Pour le meilleur et pour le pire, car le Black Album ouvrira au groupe les portes de la légende ultime, d'une reconnaissance mondiale au-delà même des metalleux. Un témoignage, une pierre angulaire, un fait historique pour l'industrie musicale.
Ce Metallica offre donc une respiration certaine et une maturité complète pour un groupe qui aurait pu tourner en rond dans un style maîtrisé à la perfection avec quatre albums largement salués par la critique et où tout semble avoir été dit (me ferais-je taper dessus si je prétends que le ...And Justice for All de 1988 montre un potentiel essoufflement et justifie à lui seul cette suite ?), les américains choisissent ainsi un ton plus soft et "accrocheur" avec un son plus poli mais tout aussi travaillé - voire mieux que jamais (cf. entre autres "My Friend of Misery" et son break/solo très aérien). James Hetfield prend les choses en main et affûte son chant, plus mélodique que jamais, un peu comme si le frontman avait voulu prouver que lui aussi savait faire passer des émotions simples avec sa voix. Les (merveilleux) prémices qu'ont été "Fade to Black" ou "One" sont ainsi confirmés avec un "The Unforgiven" mémorable (et pas seulement par ses paroles détournées "Nous battons des oeufs et cui cui ils sont durs", on est d'accord) et une tentative "FM" bougrement réussie puisque "Nothing Else Matters" reste encore aujourd'hui le tube le plus connu des Mets, au-delà même de la scène dite rock. Oh ça oui, plusieurs gens l'ont haï cette ballade, d'autres ne peuvent même plus la voir en peinture, mais créer un tel slow de légende n'est pas donné à tout le monde...
Sorti le 13 août 1991, ce brûlot vient donc de fêter ses 20 ans et semble ne pas avoir pris une ride. La meilleure production de Metallica, alliant parfaitement metal et clarté, se situe très certainement ici. Les Load et Reload suivants choisiront un processus parallèle mais avec une certaine qualité altérée, il faut l'avouer. L'équilibre de ce Black Album s'avère au final et avec le recul parfait, la puissance Metallica reste et se voit affinée pour un nombre de morceaux devenus aujourd'hui incontournables pour tout fan de metal. Le "Enter Sandman" de départ constitue peut-être l'introduction d'album la plus efficace de tous les temps, que dire alors des "Sad But True" (avec sa pêche intacte rassurant le temps de quelques minutes les conservateurs) ou du combo "Wherever I May Roam"/"Don't Tread on Me" particulièrement implacable ? Là même où la bande à Lars Ulrich s'amuse à quelques références à la culture américaine avec cette intro hommage à West Side Story, comme quoi la fantasie reste de mise malgré cette impression d'être en présence d'un opus un peu trop "politiquement correct" pour du Metallica.
Si ce CD reste résolument metal et orienté heavy thrashisant ("Through the Never" en est peut-être le meilleur exemple), il est évident que les envolées technico-épiques à la "Master of Puppets" ou la maîtrise d'un instrumental à la "Orion" peuvent manquer. Mais il faut accepter cette sortie comme une envie d'évoluer, une volonté de sortir des canons que Metallica s'était lui-même construit malgré lui et où il aurait pu aisément s'enfermer sans risque. Un vrai tournant artistique là où beaucoup ont vu une vente d'âme au diable du mainstream, il est cependant vrai que la suite donnerait presque raison à ces derniers mais... L'aboutissement semble tellement de mise qu'il parait improbable de réduire cet album comme du sous-Metallica asceptisé. Et en cela, le succès et l'estime dont il bénéficie encore à ce jour nous rassure en plusieurs points.
Il faut parfois savoir laisser le passé au passé et évoluer avec son temps. Encore aujourd'hui, Metallica est considéré comme le plus grand groupe de metal de tous les temps, et ce Black Album n'y est certainement pas pour rien dans le succès actuel (et éternel) d'un groupe qui fait mieux que survivre (même si la prochaine collaboration avec Lou Reed ou un St. Anger bien médiocre pourraient prouver le contraire). 20 ans après, 30 ans presque jour pour jour (l'anniversaire est prévu le 28 octobre prochain) après leur formation, personne ne s'est mis à leur hauteur ; que l'on cautionne ou non leur évolution, que l'on aime ou non leur musique... Les faits sont là et ne risquent pas d'être contredits avant un bon bout de temps. Malheureusement, certains diront...