Archie and the Bunkers – Archie and the Bunkers

Les adeptes les plus chevronnés du Culte de la Jeunesse, ce phénomène d'ordre sectaire basé sur la fascination que peuvent inspirer de jeunes éphèbes jouant du rock'n'roll d'une autre époque, devraient s'en trouver tout émoustillés ;  il est possible que l'on tienne ici l'Idole ultime, celle qui fera passer les Strypes pour d'obsolètes vieillards incontinents définitivement bons pour l'hospice : des types encore plus jeunes, qui jouent de la musique encore plus rétro ! Dépassés donc, ces garçons d'à peine 18 ans qui s'évertuaient jadis (il y a quoi, 2 ans ?) à donner une seconde jeunesse au pub rock des premières 70's (genre musical qui, lui-même, prônait un retour aux codes primaires du rock'n'roll 50's, mais d'une autre façon que celle du revival rockabilly des 80's, ou que celle du punk des 70's tardives) ; l'avenir, c'est Archie and the Bunkers, deux types qui n'ont pas le droit de s'acheter une bière en France, jouant une musique complètement 60's.

La maison de disques spécialisée dans le rétro, Dirty Water Record, lorsqu'elle présente le duo, insiste donc (lourdement) sur l'extrême juvénilité des demoiseaux : blabla batteur de 17 ans, blabla clavieriste de carrément 14 ans. Comme ce laïus ne nous intéresse que peu, c'est plutôt du côté des références que nous poserons notre nez : dans ce cas de figure, elles ont un rôle particulièrement important... En effet, la musique que propose Archie and the Bunkers sur ce premier album est archi-référencée, et pour une fois (c'est bien rare), cela ne sera pas une mauvaise chose. La formation duo pour cela, a son importance, en premier lieu parce qu'elle empêche la reproduction trop fidèle d'un « stéréotype » d'époque, avec guitares fuzz et tutti quanti, mais aussi parce qu'elle force du même coup les musiciens à déployer une énergie qui devrait en laisser plus d'un sur le cul ; par cet anachronique loup punk dans la bergerie 60's, leur travail se trouve réactualisé, décolle si bien qu'il vient un moment où on ne sait même plus pourquoi on parlait des années 60. Pourtant, la plupart des vidéos live que l'on trouve sur internet sont des reprises : les Stooges, les Doors... Dès les premières notes de "Sally Lou", on retrouve tout ça, toutes ces influences ; on pourrait prendre peur ; on pourrait craindre le recyclage ; on se tromperait.

L'imagerie du groupe, leur look, déjà nous en donnait l'indice : il y a, dans leur posture, une certaine ironie ; un air de dire « on est dedans, mais on est conscients qu'on est dedans, ce qui fait qu'on est pas vraiment dedans » ; de l'auto-dérision, quoi. Ainsi, leur démarche en paraît comme plus honnête, plus acceptable. Cette manière de déculpabilistaion peut paraître bien futile, mais elle est nécessaire pour apprécier les compositions du groupe, qui le méritent amplement.

Archie and the Bunkers, premier album, hi-fi organ punk, rock

En fait, ce format duo semble être à l'origine de la plupart des observations que l'on pourrait émettre : il y a cette complicité, forcément exclusive, entre les protagonistes... Les mises en place sont favorisées, leur efficacité en est accrue, des jeux de questions-réponses s'immiscent parfois subtilement, et le groove, surtout, coule de source, que ce soit à l'occasion des rythmiques rapides et hypnotiques ("Miss Taylor" par exemple), ou d'un genre de ska décomplexé sauce Madness (le single accrocheur, "I'm Not Really Sure What I'm Gonna Do").

Il y a aussi toute cette place, si l'on peut dire, dégagée dans le mix, suffisamment pour que chacun des deux garçonnets puisse s'exprimer, voire s'illustrer comme il se doit. Cullen, plutôt pas mauvais lorsqu'il s'agit d'appuyer sur des touches noires et blanches, peut alors tisser ses ambiances paniquantes et/ou sautillantes, partir dans de grands solos exhubérants qui dans tout cet espace ne paraîtront jamais prétentieux (écoutez "Knifuli Knifula"). Il ne relâche jamais la pression, et prouve même à l'occasion de "You're the Victim" qu'on peut faire du punk avec un clavier.

Emett à la batterie n'est pas en reste, s'en trouve parfaitement libéré, martèle avec une frénésie jouissive et, chose étrange, en trouverait même parfois une dimension mélodique. Il est à l'origine, manifestement, de cette explosion continue d'énergie, proprement stupéfiante qu'il inculque de force aux compositions : breaks furieux hyperactifs, caisse claire omniprésente et pourtant insaisissable... il s'autorise même quelques accélérations de tempo qui dynamitent çà et là la routine dans laquelle on tendrait à tomber, si bien que l'on ressort parfaitement essouflé de l'écoute de l'album, essouflé et heureux.

La voix, quant à elle, est exactement comme elle devrait être : puissante, décomplexée, criarde de temps à autre. On n'est pas ici dans la recherche de la mélodie à siffler en allant acheter le pain, mais plutôt dans le gimmick à scander dans la fosse le poing en l'air. Le phrasé évoque parfois Joe Strummer, les hurlements enduits de saturation penchent plutôt du côté d'Iggy Pop. On sait que c'est Emett qui s'y colle : on se demande comment il arrivera, en concert, à tenir la cadence impitoyable de la batterie, tout en s'époumonnant dans le micro.

Notre curiosité en est forcément attisée ; on ne cesse, de toute façon, de se dire tout au long de l'album qu'il faut voir ça en live. Il est vrai qu'on trouve parfois le temps un peu long : la formule duo a aussi ses limites, lasse légèrement lorsque certaines constructions semblent sur-exploitées, certaines phrases déjà entendues deux morceaux plus haut. Mais la spontanéité qui se dégage de l'ensemble contre-balance tout à fait ce phénomène. Plutôt qu'une tendance à se répéter un peu, on préfèrera retenir de Archie and the Bunkers le tapage sans concession qui fait la grande valeur de leur premier album éponyme, et qui ne peut pas, comme on aimerait à nous le faire croire, provenir uniquement de la sensibilité de leurs hormones adolescentes en pleine exaltation.

Crédits photo : Archie and the Bunkers

NOTE DE L'AUTEUR : 7 / 10



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