Vétéran du mouvement gothique et pratiquant un rock morbide théâtral incorporant parfois des influences metal, Christian Death n'invente plus rien mais propose une musique et un univers qui n'appartient qu'à lui. The Root Of All Evilution, quinzième album (en ne comptant pas les live, compilations et disques sortis par les formations dissidentes Christian Death II et CD 1334) est un véritable manifeste dédié aux ténèbres nées de l'obscurantisme dans lequel est plongé notre monde parfois. En ces temps troubles, la musique de Christian Death, même si elle n'évite pas l'emphase par moments, n'en reste pas moins d'actualité.
Alors là on touche au culte. Christian Death en 2015, à qui cela peut-il bien parler ? A votre grande cousine prof d'anglais, mariée avec un ingénieur qui lui a donné trois enfants, au passé gothique et qui maintenant va à l'église tous les dimanches ? Au vieux corbeau destroy pas encore redescendu de sa dernière pluie acide ? Ou au fan de metal tout de noir vêtu qui ne jure que par Funérailles Sombres ou Berceau Des Immondices ? Un peu à tous ces gens mais la dernière catégorie semble moins connaître cette formation née sur les cendres du punk américain en 1979 et qui mine de rien survit malgré une carrière, et une discographie, plutôt chaotiques.
Essayons de résumer : Christian Death (nom inspiré d'un jeu de mots sur le couturier Christian Dior) a été formé sur la côte ouest américaine par Rozz Williams, chanteur, poète, écrivain, réalisateur et compositeur. Le groupe dès ses débuts se rattache à un sous-genre du rock gothique alors émergeant : le deathrock, soit un rock théâtral aux thèmes morbides et aux sonorités sombres devant autant à Alice Cooper, David Bowie que les contemporains de Bauhaus (la voix de Williams est proche de celle de Peter Murphy, célèbre chanteur de la formation britannique batcave).
Christian Death se fait vite remarquer par ses prestations scéniques marquantes (il arrivait que sous l'effet du LSD Rozz Williams se fasse crucifier sur scène) et spectaculaires mais aussi par une discographie de qualité (les deux disques quasi-fondateurs du deathrock Only Theatre Of Pain en 1982 et Catastrophe Ballet paru l'année suivante). Williams, personnage instable (il finira par se suicider le 1er avril 1998) et porté sur les excès fera splitter son groupe en 1984.
C'est alors qu'apparaît la deuxième personnalité liée au destin de Christian Death : Valor Kand, chanteur-compositeur multi-instrumentiste venant d'un des autres groupes phare du deathrock Pompei 99. Lui et sa compagne de l'époque Gitane Demone (qui a suivi ensuite une carrière solo plutôt honnête dans un style cabaret goth') proposent de faire renaître la formation. Ce qui va donner Ashes, un album encore plus sombre mais incorporant quelques sonorités atmosphériques. Valor et Rozz ne s'entendant pas sur la marche à suivre par Christian Death, ce dernier va ensuite quitter le navire, laissant les clefs au désormais autoproclamé nouveau leader. Williams de son côté formera Shadow Project avec sa compagne Eva O, multipliera les collaborations et essaiera de relancer son propre Christian Death (sous le nom Christian Death II) alors que d'autres ex- membres eux formeront CD 1334, ce qui aboutira à une vraie guerre intestine.
Le groupe américain va ensuite progressivement dévier des sonorités deathrock des débuts pour s'orienter vers un rock toujours aussi sombre, agressif, morbide et théâtral, incorporant parfois des influences metal même (les albums sortis depuis les années quatre-vingt dix) et indus, voire progressives ou multipliant les provocations (la pochette de Sex, Drugs And Jesus Christ en 1988 mettant en scène un Christ junkie). Les fans se sont alors divisés en deux clans s'affrontant encore farouchement de nos jours : les pro-Rozz Williams criant au blasphème et ceux qui continuent à voir dans le Christian Death incarné par Valor une formation de qualité garante de l'esprit des origines. Valor, partageant les responsabilités du groupe avec sa compagne la bassiste-chanteuse Maitri, depuis les années quatre-vingt-dix, s'est aussi couvert de ridicule en jouant les Paco Rabanne, affirmant, dans ses paroles et en interview que l'Apocalypse aurait lieu avec le fameux bug du premier janvier deux-mille...
Une chose est sûre : la formation a gagné le statut de groupe culte, il n'est pas impossible par exemple que le jeune Brian Warner avant de réunir autour de lui ses Spooky Kids les ait vus sur scène par exemple... Christian Death est d'ailleurs reconnu comme influence par certains artistes majeurs de la scène metal comme Cradle Of Fiflth dont certains membres ont joué sur leur album Pornographic Messiah sorti en 1998. Ceci pour en venir à ce nouveau disque.
Huit ans après American Inquisition, précédant opus des sombres américains, est sorti cet été The Root Of All Evilution sur Pledgemusic donc. Le groupe a fait un appel au crowdfunding pour financer ce nouvel et selon le montant des dons donnés, vous pouviez avoir droit en plus de votre exemplaire à des bonus allant de la possibilité d'être roadie sur leurs prochaines dates à celle d'obtenir un soutien-gorge porté par Maitri en passant par le partage d'un repas en leur compagnie. La preuve que l'on peut être une créature des ténèbres tout en ayant le sens des affaires...
Comme sur American, tout débute par une longue introduction sur « In The Garden Of Evilution » où des bruits de jungle se faisant entendre semblent vouloir nous faire penser que nous sommes revenus au début de l'humanité (régression ?). La musique se fait incantatoire, on y entend une flûte de Pan et la voix grave de Valor nous invite à prendre place pour assister à un spectacle macabre. Le morceau s'emballe dans un crescendo où des percussions tribales, un riff metal cradingue et le chant de Valor suave se mêle en écho avec celui de Maitri. Cette espèce de speaking words morbide donne le ton de l'album et montre la principale qualité du Christian Death depuis trente ans : l'éclectisme.
Car il y en a pour tous les goûts dans The Root Of All Evilution qui finalement peut aussi bien plaire aux amateurs de musiques sombres, aux métalleux ouverts d'esprit et même aux fans de pop. Vous voulez du rock indus à la Nine Inch Nails ? Ecoutez-donc « Tar Black Liquid », « We Have Become » ou « Secrets Down Below », on y entend de la percussion martiale et de l'arrangement electro. Les accros de riffs saturés peuvent se pencher sur « Deliver Us » et les déjà cités « Tar Black Liquid » et « We Have Become » (au motif quasi-doom proche de « Black Sabbath » version Type O Negative) tandis que « Fema Coffins » possède un joli solo final.
Les fans de rock gothique « traditionnel » eux seront rassurés en écoutant « Illuminazi », un bon titre qui avec son intro à l'orgue, son tempo punk et son riff nerveux ramène à l'époque glorieuse des Only Theatre Of Pain et Catastrophe Ballet mais aussi le spleenique « Forgiven » chanté par Maitri aux ambiances éthérées un peu « heavenly voices ». « Penitence Forevermore » est aussi un morceau mélancolique, chanté par Valor et avec des choeurs fantomatiques de Maitri, qui réveillera vos pulsions les plus suicidaires. Le piano que l'on entend en intro sur « Deliver Us » quant à lui nous rappelle les Sisters Of Mercy, de même que la voix profonde et sensuelle de Valor parfois proche de celle d'Andrew Eldritch. Si vous n'êtes pas allergiques aux influences tziganes et orientales, le colérique et hystérique (les cris et rires de Maitri) « This Cross » avec ses violons devrait vous plaire, instrument que l'on entend aussi sur « Fema Coffins » et « Tar Black Liquid ».
Niveau arrangement inattendu, on retrouve aussi un harmonica bluesy sur « Deliver Us »... Cette diversité stylistique pourrait dérouter au premier abord mais il faut admettre une qualité au couple Valor/Maitri, ils maîtrisent très bien l'art du songwritting et en cela The Root Of All Evilution compte des titres plutôt bien construits, aux refrains très efficaces parfois même (« Tar Black Liquid », « Fema Coffins » et « Secrets Down Below en attestent »), les voix de Valor et Maitri se complètent parfaitement et la musicalité est tout à fait convaincante.
Seule faute de goût, cette pochette plutôt moche montrant Maitri à genoux devant une divinité grotesque, sorte de croisement de la déesse hindoue Nataraja et du pharaon Ramsès II, qui ressemble à un montage Photoshop fait lors d'une soirée de beuverie. On ne peut pas s'appeler Christian Mort et avoir toujours la classe...
1. « In The Garden Of Evilution »
2. « This Cross »
3. « Tar Black Liquid »
4. « Fema Coffins »
5. « Illuminazi »
6. « We Have Become »
7. « Forgiven »
8. « Penitence Forevermore »
9. « Deliver Us »
10. « Secrets Down Below »