On pensait avoir tout entendu du Blues, ce style né courant XIXème siècle dans les champs de coton de la région du Mississippi puis urbanisé au gré de l'avancée des luttes sociales afro-américaines avec Howlin' Wolf, Muddy Waters ou John Lee Hooker par exemple. Voix rauques, gamme pentatonique mineure et sa note bleue, vibrato, slide et harmonica pour un genre Noir Américain. Plusieurs grands artistes Blancs s'y sont frotté dans la seconde moitié du XXème siècle comme les Yardbirds (d'Eric Clapton, Jeff Beck ou Jimmy Page entre autres), John Mayall, Ry Cooder ou encore Stevie Ray Vaughan, et j'en passe et des non moins fameux. Plus proche de nous le Blues Rock Garage de Jack White ou des Black Keys nous marque encore. Le Blues est un style majeur symbolique de la lutte, et si j'évoquais sans grande gaité de coeur la couleur de peau des artistes sus-cités, c'est bien que le Blues et ses idées noires marquèrent l'histoire de l'esclavage et de la ségrégation aux Etats-Unis. La couleur de peau est encore aujourd'hui un source de conflit... Heureusement que la musique est là pour rassembler. Le Blues, qui nous a offert un fils prodique, le Rock 'n' roll, n'est pas mort, loin de là !
Passée cette présentation complétement schnock style Léon Zitrone, on peut en venir la où je voulais en venir, ouf... C'est à dire à de la panse pleine de coton. Celle des p'tits blancs becs de Cotton Belly's. Et là, au diable les idées noires à la Screamin' Jay Hawkins ! Car le Blues est ici incestueusement Rock mais Francilien aussi, depuis 10 ans maintenant. Après deux EP dont un de reprises Blues, quelques victoires sur des tremplins et trois albums, un éponyme en 2009, This day... en 2013 et Given en 2014, les Cotton Belly's souhaitent nous emmener en voyage sur une route pluvieuse, la Rainy Road qui on vous le dit d'avance sera plus marquée par la joie et l'exaltation que par un morne paysage humide et gris.
Même si la pérégrination débute par le titre éponyme "Rainy Road", on prend vite le contre pied grâce à cette ambiance vive et soutenue marquée par l'instrumentation riche, laissant une belle part aux solos de la guitare électrique de Jérôme Perraut, à l'harmonica (du chanteur Yann Malek) et à la batterie discrets tandis que Yann nous annonce le voyage. S'ensuit pour marquer le coup un blues "folkeux", à l'air western lié au riffs de l'harmonica. S'il paraît mélancolique de prime abord ce "Sobad" nous rappelle qu'il faut garder le moral même si on "feel so sad" alors qu'une ligne de contrebasse ample et sourde ouvre "Medecine", le morceau se veut country et surtout funky à souhait par le chant volontaire. Le route continue en haletant encore avec un "Given" des plus dansants, une danse entre voix, harmonica et guitare électrique. Puis le final ralentit, l'harmonica et la guitare se sussurrent de douces notes, l'arrêt sur le bord du chemin, le coup de la panne qui tombe à point.
On reprend le chemin avec une guitare blues bien lourde sur un "Wrong" des plus langoureux. Mais qui nous feinte rapidement en remontant en puissance, passant la quatrième capricieuse de la Cadillac De Ville Coupe 1956 qui nous propulse toujours plus au Sud, Lousiane en tête. Et l'on arrive dans le Bayou et ses "Family Chains" pour un classique Blues Rock de fin de soirée avec ses solos grinçants. La mécanique de Cotton Belly's est bien huilée, on se laisse bercer facilement par cette track list bien sentie. Il est rare que j'écrive une chronique chanson par chanson mais cet album s'y prête parfaitement, si j'avais de quelconques dons musicaux je prendrais des cymbalettes pour accompagner le groupe sur la banquette arrière, mais bon, je claque des doigts...
Pour découvrir l'esprit, l'ambiance du groupe, voici le clip réalisé par Xavier Robert pour le single "Tick Tock AM", un air western, un harmonica, un coin de verdure, des horloges et tic toc !
Sur le bord de la route, on s'arrête pour récupérer "My friend" dans un pur esprit Folk, et même jazzy. Cet ami, il faut le réconforter et "yes I try". Même les coups durs n'arrêtent pas ce voyage, on continue en claquant des mains sur un "Hard times" qui comme l'ensemble est daté mais offre un voyage dans le temps et l'espace. Si le revival Psyché est costaud en ce moment, le Blues connait quelques groupes pour nous maintenir dans l'esprit du Sud, comme en France avec les Catfish par exemple. Un genre ne meurt pas, on le réhabilite, on se l'approprie, on le fait découvrir aux plus jeunes pour qu'ils aillent écouter Robert Johnson, lui aussi dans le Club des 27 et qui armé de sa seule guitare et d'une voix imparable influença la génération dorée des Rockeurs 70's.
Et d'ailleurs, la voix se fait plus grave rappellant les anciens sur l'intro du "Soldier" où l'on entend le souffle de la plaine, les marteaux qui tapent, avant que la musique efface tout ce qui est sombre autour de nous avec l'arrivée massive de la batterie, de la basse en soutien précieux pour un son plus moderne, plus studio. Et le réveil nous sonne la remise en ordre des choses pour un doublé "Tick Tock" AM et PM, du matin au soir, au turbin, en rythme et en cadence. Quand le premier se fait bluesy et le second est heavy, ça résonne à nos oreilles, la voix sur le second morceau est étouffée, prise dans le flot d'une instru incessante qui nous emporte, on s'envole et on quitte ce monde.
Pied de nez, la fin est toute douce, voix - guitare acoustique, on vient "From this town" et nous n'avons pas peur d'en partir... L'invitation finale à un voyage qui avec tous les éléments de cet album sera réussi.
En concert à la Flèche d'Or, Paris, le 23 janvier 2016 dans le cadre de leur sortie d'album.
Crédit photo : Hélèna Marco
Track list :
1 - Rainy Road
2 - Sobad
3 - Medicine
4 - Given
5 - Wrong
6 - Family Chains
7 - My Friend
8 - Hard times
9 - Soldier
10 - Tick Tock AM
11 - Tick Tock PM
12 - From this town