La tendance, ces dernières semaines, est clairement au voyage dans le temps ; et le grand Chronos, dans son espièglerie légendaire, semble avoir décidé de truquer sa roue de la quatrième dimension pour que le petit curseur doré tombe, à chaque coup, sur la même case ; et le candidat naïf-type de ce jeu mondiovisé que nous sommes de s'exclamer derechef avec un franc sourire niais : « Oh ! Les années soixante, encore ! »
Les Rennais de The Madcaps sortiront le 15 janvier prochain leur second album, le piquant mais non moins onctueux Hot Sauce, servi par Beast Records et Howlin Banana Records, qui a pris la drôle d'habitude d'envoyer d'excellents albums à la Grosse Radio. Deux tendances se confirment donc : d'une part, la vogue sans cesse actualisée des sons sixties dans les circuits indépendants hexagonaux, d'autre part, la Bretagne, en tant que the place to be ("la place être", note du traducteur), phare dans la nuit du rock français.
Cette fois-ci, c'est plutôt du côté des Kinks ou des Beatles que penche la balance : l'album est en effet une collection de titres à la composition raffinée, faisant la part belle aux harmonies vocales
et aux mélodies accrocheuses. Le communiqué du label nous indique que l'enregistrement s'est fait sur bandes en analogique, à l'ancienne, amplis à lampes, micros à rubans, tout ça tout ça, et on n'en est pas étonné le moins du monde, tant le son charme dès les premières mesures : c'est la section rythmique qui ouvre les festivités sur "Something You Got" ; la basse est limpide, profonde, dansante. Les instruments entrent en scène progressivement, la guitare, une rampe de cuivres au gimmick un peu pompier, mais plutôt bienvenu. La production est impeccable, les conditions météorologiques sont optimales.
L'album marque avant tout par sa qualité mélodique. Le chant, tout au long des 12 morceaux, gravite astucieusement autour de "la mélodie qui va de soi", tout près, sans jamais y être aspiré non plus ; l'équilibre est assez sain, entêtant, sans être raccoleur, ou excessivement simpliste. Evidente dans les morceaux aux tempos les plus posés, cette rigueur est conservée pour les titres les plus enjoués : up-tempo tout de fuzz emballée, "Too Big For Your Boots", par exemple, n'en bâcle pas la ligne de chant pour autant, et le récif de sa banalisation par un déploiement d'énergie maladroit est évité.
Et puis, l'opus est subtilement construit sur de solides bases polyphoniques, si bien que la moindre "faiblesse", le plus infime relâchement mélodique, est contrebalancé par des chœurs rafraîchissants ; c'est là encore l'une des grandes forces des ces Madcaps, soit la qualité des back-vocals ("voix-de-derrière", ndt) ; les harmonies sont classiques, voire datées, mais orchestrées assez finement pour que leur efficacité en soit incontestable.
L'album est bien équilibré : aucun morceau, c'est assez rare, semble n'être de trop dans ce collier de perles anachroniques. Toutefois, deux titres semblent légèrement sortir du lot... "Upside Down", pour commencer, communique une sorte de joie un peu niaise, mais irrépressible. On bouge la tête, latéralement, en secouant les épaules, un peu désarticulé en fait, on peut fermer les yeux si on veut, et on claque des doigts snap... snap... snap... sur la caisse claire, jusqu'à l'accélération finale où l'on crie "woooooow", en inquiétant les voisins. Fulgurance tout à fait appréciable, on regretterait même qu'il n'y ait pas plus d'envolées de ce genre, fiévreuses et furieuses. Cette outro d'ailleurs, est opportunément rallongée sur scène, et, c'est bien. Voyez le live du Binic Festival.
Ensuite, "Rainy Day". Les 14 premières secondes pourraient être celles d'un morceau de Syd Barrett (qui pourrait figurer sur... heeem, "The Madcaps Laughs", tiens ?), puis la chanson se prolonge un temps comme une balade des Kinks, se mute encore en une comptine Beach-Boysienne, mais très vite, c'est évident, un constat s'impose à nous ; ça sonne en fait de la meilleure des façons... comme un tube des Madcaps. C'est précisément à partir de ce moment que l'on décidé d'arrêter de chercher à-quoi-on-pourrait-bien-les-comparer-nom-d'un-canidé ; les choeurs si solides brillent alors de mille feux, en canon, se répondent, se rejoignent, les cuivres viennent les soutenir, ils se donnent tous la main et commencent à tourner ensemble autour de la Terre, et puis la ronde s'emballe, s'élève, s'envole, et puis tout le monde est invité à un grand goûter dans le jardin public du Paradis, et puis il y a des pains au chocolat et du jus d'orange pour tous ceux qui en veulent, et des pommes, et du nougat.
Néanmoins, les autres compositions ne sont tout de même pas pâlottes à côté de ces deux morceaux de bravoure : on étudie les rythmes surf sur "One More Chance" ou "Boob Shang", on se fait mélancolique le temps de "Too Afraid To Give Up", on évoque des thèmes de société très forts, comme le départ d'un "Taco truck", occasionnant tout son lot de constats tragiques, d'appels à l'aide, et un solo de saxophone... Aucun laissé-pour-compte, zéro bouche-trou, chacune des pistes est tout à fait indispensable, et chacune des pulsations est étudiée avec le même soin intransigeant. Les structures sont loin d'être paresseuses, les variations sont légion, on ne s'ennuie pas un seul instant.
Chronos, malicieux, a donc réussi son coup, une fois de plus : si les Madcaps ne nous font pas vraiment avancer dans le temps, ils nous font au moins nous sentir bien dans ce présent tourné vers le passé. Hot Sauce est un album très attachant, dont on retiendra la qualité des compositions, la générosité des arrangements, l'efficacité redoutable des mélodies, et l'élégance des harmonies vocales. Si le monde n'a pas fini de devenir complètement maboule, on devrait entendre parler de ce groupe-là très prochainement.
Crédits photos : photo 1 : Pierre Moissard - photo 2 : Virginie Strauss