"Aaaaaaaaaaaaaaaah, it's Halloweeeeeen... oooooh tonight !"
Tu parles d'un scoop... 31 octobre, la nuit tombe et la fête des morts se précise, tout le monde se déguise et les couteaux s'aiguisent pour massacrer quelques citrouilles ici et là. Je vous rassure, je ne vais pas en faire de même en épargnant ici Helloween pour cette nouvelle aventure "Chronique Flashback". Il aurait certes été logique de causer du Keeper of the Seven Keys Part I et sa chanson hommage à la célébration ici mise en avant... Sauf que non, oublions la bande à Hansen-Kiske mais restons tout de même dans cette bonne vieille année 1987 avec un album qui marqua clairement son temps : le Abigail de King Diamond, second opus solo de la légende du heavy danois.
Voici un CD à se passer en boucle entre deux films d'horreur lors d'une Halloween Party, cette galette constituant en elle-même une vraie histoire d'épouvante comme seul le Roi Carreau savait en raconter à l'époque. Abigail, ou un véritable pan dans l'histoire du metal, puisqu'il s'agit peut-être bien là du premier album 100% conceptuel dans le genre, un an avant le non moins fameux Operation:Mindcrime de Queensrÿche.
Pourtant King Diamond ne débute pas sa carrière ici, pas même en solo puisque cette offrande nous vient deux ans à peine après un Fatal Portrait déjà fort prometteur. Et avant, me diriez-vous ? Le souverain à la voix haut perchée faisait sa révolution en lançant, avec ses "toujours restés fidèles" partenaires Michael Denner et Timi Hansen, un Mercyful Fate qui aurait pu rentrer dans la légende absolue si sa carrière n'avait pas subitement décliné après deux premiers opus majeurs ayant influencé quelques pré-atmosphères black metal mais aussi un tas de gros groupes... comme Metallica par exemple, ou bien plus récemment Ghost si on veut prouver l'impact encore actuel de ce projet.
C'est au moment donc où Mercyful Fate allait tout emporter son passage que quelques tensions apparurent (avec Hank Shermann) et la dissolution fut prononcée - fauchant le groupe en plein vol. Une fatalitié ? A moins que King Diamond ne décida en fait de lancer ses idées seuls... Il forme ainsi sa petite troupe en 1985, gardant le duo Denner/Hansen donc et récupérant au passage le brillant guitariste Andy LaRocque et un certain Mikkey Dee qui allait devenir plus tard le batteur de Motörhead (et avec qui nous avons récemment conversé). Trève de diversions, Abigail arrive donc en deuxième position dans la discographie de notre Carreau couronné, prêt à défrayer la chronique... impliquant du moins celle-ci, près de 25 ans après sa sortie.
Le temps passe vite n'est-ce pas ? Mais allez dire ça à Abigail, "héroïne" malgré elle de cette histoire assez macabre et totalement horrifique, qui a attendu presque 70 années (du 7 juillet 1777 à l'été 1845, faites le calcul... moi j'ai la flemme) pour revenir hanter ses ouailles et se venger. Mais qui est-ce donc ? Une pauvre fille mort-née au XVIIIème siècle, sacrifiée par le Comte LaFey car il s'agissait à ses yeux d'une fille illégitime mise au monde par son épouse. Cependant, l'histoire ne commence pas là, et la débuter ici assurerait une certaine incompréhension des tenants et aboutissants à l'écoute de l'opus et à la lecture de ses paroles. Déroulons donc le récit en suivant l'ordre de ses chapitres, ici chansons, composant le premier metal opera horrifique de l'histoire - dans les lignées d'un certain Alice Cooper mais dans un tout autre style.
L'intro "Funeral" marche comme un certain flashback puisque raconte indirectement la mise en terre de ce pauvre nouveau né ainsi jeté dans les escaliers par un Comte plutôt cruel en apparence. Ici l'atmosphère s'installe directement et nous narre déjà quelques frissons garantis, le tout se concluant sur un synthé cryptique que la scène sympho-gothique (Nightwish et Tuomas Holopainen en tête) n'allaient par la suite point renier... Ainsi vient le premier gros morceau de ce livre musical avec ce "Arrival" où le King balance sans attendre ses voix mystiques, dont ces aigus parfaitement inimitables. Nous est contée l'arrivée d'un jeune couple, Miriam Natias et Jonathan LaFey (tiens donc), prenant possession d'un vieux manoir hérité de vieux ancêtres malgré l'avertissement "mystérieux" et solennel de sept cavaliers voulant les éloigner de cet endroit (qu'ils sont bêtes ces deux-là, le vrai cliché du film d'horreur hein ^^). Vous commencez à suivre ? A partir de là c'est jouissif, aussi bien musicalement que narrativement... alors évidemment l'histoire qui suit est assez clichée et simple avec le recul, mais encore fallait-il y penser à l'époque.
"A Mansion in Darkness", voici ce que découvrent les jeunes amoureux - l'ambiance est déjà à son paroxysme avec un morceau quelque peu différent des autres et qui ne serait pas sans avoir donné quelques idées à Blind Guardian par la suite, allez savoir. Jonathan laisse sa femme se reposer, cette dernière étant enceinte (vous commencez à voir où l'histoire va nous amener ?)... puis le jeune homme fait la connaissance d'un fantôme de famille, son ancêtre le Comte, au détour d'une piste logiquement intitulée "The Family Ghost". Et là, Jonathan est une nouvelle fois averti d'un grand danger... enfin précisé à ses oreilles... Le pauvre doit en effet tuer sa femme car le bébé qu'elle porte est la réincarnation d'une certaine Abigail prête à se venger du sort qu'elle a subi un certain "The 7th Day of July 1977". Rien que ça. Enfin nous retombons sur mon introduction quelque peu maladroite de cette tragique histoire. Quant à la suite ? Elle s'avère macabre mais bougrement riche musicalement.
"Omens" fonctionne ainsi comme un interlude intelligent à l'histoire de l'album, changeant quelque peu la tonalité des titres qui suivent et nous amenant vers un côté encore plus sombre et épique. Miriam est donc clairement enceinte, le foetus se développe visiblement plus vite que prévu et la compagne de Jonathan se comporte de plus en plus bizarrement. "The Possession" ou le point de non retour, sa grosse rythmique heavy de départ ne faisant aucun doute : c'est déjà le début de la fin... le pauvre Johnny va devoir agir, pour contrer cette folie, et ce même s'il ne sait plus où donner de la tête. Tout ceci annonçant la tragique conclusion d'une histoire qui ne pouvait point bien se terminer pour les deux jeunes tourteraux.
"Abigail" ... Les paroles et lignes de chant sont ici étonnantes de théâtralité, King Diamond sublime les échanges de dialogues entre les personnages et on se laisse aller alors que le drame principal de l'opus se trame sous nos yeux - ou plutôt sous nos oreilles. Cette chanson éponyme s'avère sublime par excellence, Jonathan ne peut empêcher la tragédie de se produire : Abigail a totalement pris possession de Miriam et cette dernière tue son fiancé en le poussant dans les escaliers. La dernière vision qu'aura le pauvre John sera une paire d'yeux jaunes... Abigail renaît, Miriam meurt tant la souffrance du labeur est intense. C'est là que la fin parait un peu "bête" car... aussi diabolique soit-il, le bébé maléfique reste seul et ne peut donc rien faire. C'est donc à cet instant que les "Black Horsemen" débarquent pour détruire une nouvelle fois cette mauvaise âme. cela donne cependant un final épique et profond, rituel et macabre, un dernier morceau approchant les 8 minutes et aux sonorités excellemment dosées. Le King se lâche en voix quasi extrême et l'histoire semble se conclure pour le mieux du monde... du moins en apparence, car un Abigail II: The Revenge verra le jour en 2002, mais ça c'est déjà une autre histoire.
A noter au passage que l'édition limitée possède (en plus de versions "Rough Mix") un bonus track intitulé "Shrine" qui fait une sorte de conclusion à la conclusion, mais surtout un pont vers la nouvelle résurrection d'Abigail... c'est qu'elle est coriace celle-là, encore plus qu'une certaine Lulu récemment mise en pièce par un duo improbable entre un groupe légende du metal et un vieux rockeur psychédlique.
Au point de vue purement romanesque, Abigail est donc une réussite profonde, entre horreur sérieuse et second degré grand-guignolesque propre au personnage du King, une influence majeure pour bons nombres de groupes ayant par la suite évolués dans un style heavy power aux tonalités dark. Musicalement et techniquement, tout est également ici maîtrisé à la perfection. Michael Denner et Andy LaRocque forment un duo guitaristique du tonnerre, les riffs lead du premier complètant parfaitement les impressionnants soli du second (et vice versa) - parfaits du début à la fin. Le feeling et l'aisance ne font ici qu'un, à la manière des Angra ou Stratovarius de la grande époque et qui ont suivi le chemin de leurs aînés.
Et c'est ainsi qu'Abigail s'inscrit comme une oeuvre majeure dans le monde du heavy metal, probablement le disque le plus abouti du King Diamond en solo même si le Conspiracy de 1989 ne sera pas loin de l'égaler. Depuis, l'ami Kim Bendix Petersen (tel est son vrai nom) aura connu des fortunes diverses : un succès décroissant certes mais émaillé de quelques duos avec Metallica qui saura reconnaître son influence. Quelques bons autres albums solo, un retour de Mercyful Fate quelque peu tronqué et pas foncièrement remarqué, jusqu'à un triple pontage coronarien subit l'an passé après plusieurs crises cardiaques. Il semble aujourd'hui aller mieux cependant, d'après les dires combinés d'Andy LaRocque et de Mikkey Dee, même qu'il organise de temps à autres quelques chats sur Skype. Tant mieux, car en cette soirée d'Halloween, il n'aurait pas été bon de conclure sur une mauvaise note... Allez, gardons donc l'esprit d'Abigail bien présent et récitons nos classiques jusqu'au bout de la nuit.