Reverend Bizarre étant désormais de l'histoire ancienne, le guitariste-compositeur finlandais Kimi Kärki (alias Peter Vicar) poursuit désormais son aventure musicale entre doom metal et rock progressif folkisant. Lord Vicar et Orne, deux projets distincts qui ont chacun sorti en cette fin d'année 2011 un nouvel album. L'occasion pour nous de revenir sur ces deux disques en compagnie de son créateur pour une interview à la fois spirituelle et décontractée.
Ju de Melon : Bonjour Kimi et merci de répondre à nos questions.
Kimi "Peter Vicar" Kärki : C'est un plaisir !
Cette fin d'année 2011 a été une période assez chargée pour toi avec la sortie d'un nouvel album pour chacun de tes deux groupes... Pas trop de stress à s'occuper ainsi de deux nouveaux bébés en même temps ?
Pour être honnête, après avoir sorti les albums le stress s'estompe un peu... Je ressens de stress avec mon travail à l'université. Jusque là, ces sorties n'ont nécessité qu'entre 10 et 15 interviews au total, ce qui n'est pas beaucoup vu que je peux y répondre tranquille le soir venu. Alors s'il vous plait, envoyez-moi en d'autres ! (rires)
I) ORNE
Ju : Parlons du nouvel album de Orne pour commencer, ton projet de rock progressif dont nous avons parlé ici dans le Webzine Rock. Es-tu satisfait de la réaction des fans sur ce The Tree of Life ?
Kimi : Plutôt oui, les gens semblent pas mal apprécier cet album. Je n'ai pas encore vu de chronique négative à son sujet... Mais le plus important pour moi est que nous sommes très satisfaits du résultat final. Cet album s'améliore d'écoute en écoute et résistera à l'épreuve du temps, permettant à ses auditeurs de nouvelles surprises à chaque écoute. Cependant, je dois avouer que cet album est sorti dans un calme plutôt relatif, ce qui est plutôt étonnant quand on sait que tout le lineup de Reverend Bizarre a été impliqué dans sa confection.
A quel point le considères-tu similaire ou différent du précédent album The Conjuration by the Fire ?
Musicalement, The Tree of Life est un album plus positif. Je dois être dans un état d'esprit qui permet à la lumière de mieux briller à travers mes compositions... Je suis d'ailleurs arrivé à la conclusion qu'il doit y avoir cette lumière afin de comprendre ces choses tapies dans l'ombre. Au niveau des paroles, le disque est par contre plus centré sur les aspects dramatiques de la vie.
Justement, en écoutant les paroles, on ne peut qu'être impressionné par leur force... Les as-tu toutes écrites et quelles sont les principales histoires qu'elles mentionnent ?
Merci, toutes ces paroles sont comme mes enfants, et elles ont pour moi la même importance que la musique. La plupart des histoires de cet album viennent de la fiction d'horreur, des contes d'épouvantes, de cauchemars, de rites nocturnes, etc. J'ai été directement influencé par des auteurs tels que H. P. Lovecraft, C. M. Eddy, Mearle Prout ("Temple of the Worm"), Nicholas Roeg ("Don't Look Now"), la série Night Gallery de Rod Sterling (NDLR : Le créateur de La Quatrième Dimension), et quelques livres occultes que j'aime bien avec entre autres The Golden Dawn ainsi que des oeuvres de S. L. MacGregor Mathers, A. E. Waite, Crowley, etc. Mais il y a également une part autobiographique dans ces paroles.
Est-ce que la composition d'un album rock progressif s'avère simple et naturelle pour toi où rends-tu les choses volontairement "difficiles" afin de t'imposer une sorte de challenge ? Dans quelle perspective te places-tu à ce niveau ?
Je ne fais que des choses qui me sont naturelles et intuitives, je ne triche pas. Ici, le rendu reste globalement mélodique. J'aime les arrangements orchestraux et jouer avec les mélodies et ces rythmes qui leur vont bien afin de façonner l'ambiance de chaque chanson. Je n'essaye pas de faire des choses "compliquées" de manière consciente, même si bien sûr j'essaye de pousser les limites de mon jeu dès que c'est possible. Je préfère cependant jouer une note qui s'avère belle plutôt qu'un enchaînement de dix notes techniques.
On peut toujours relever des influences old school quand on écoute un album de rock progressif "moderne", mais t'attaches-tu consciemment à certains groupes de légende lorsque tu composes ou préfères-tu simplement "laisser aller" ?
Je pense que tout ce que j'entends peut inconsciemment se retrouver dans ma musique, de façon modifiée ou en filigrane. Bien sûr parfois je joue de mes influences classiques que peuvent être les vieux Genesis, King Crimson, Pink Floyd ou Van der Graaf Generator... Mais jamais je ne démarre une composition en pensant spécifiquement à un groupe afin de faire quelque chose qui y ressemble. Je pars toujours d'une idée conceptuelle, que ce soit un titre de chanson ou une mélodie avec quelques idées de paroles. A partir de là, je fais confiance à mon intuition. Si quelque chose me parait familier, j'essaye d'abord de voir si je n'ai pas "réinventé" une chanson... et si c'est le cas, je la retravaille en fonction du contexte. De toute façon, nul ne peut échapper à l'histoire de la musique populaire, chaque accord a déjà été joué dans toutes les combinaisons possibles. L'important pour moi est donc de savoir si chaque chanson composée apporte quelque chose de de nouveau. Après tout, la musique n'est pas simplement un enchaînement d'accords ou de paroles, c'est aussi des sons, des orchestrations et plein de solutions au niveau du mixage.
Quelle serait la chanson la plus spéciale pour toi sur cet album ?
L'album en soit est plutôt fort dans son ensemble, à mes yeux il n'y a aucun bouche-trou. Cependant ma préférée en ce moment est très certainement "The Temple of the Worm", bien que cela peut facilement changer. Cette chanson a tellement de beaux passages et d'atmosphères, tout est fluide de partie en partie, et elle possède un arc narratif créé par deux sources qui résonnent brillamment.
Sami Hynninen (ex-Reverend Bizarre) est une nouvelle fois le chanteur, même si jusque là il n'a jamais été officiellement dans le line-up de Orne... A-t-il malgré tout pris part à l'écriture de ce nouvel opus ?
En fait il est ici mentionné comme chacun des membres sur cet album. Le groupe est plus à proprement parler un projet pour l'instant, puisque nous ne faisons pas de live pour l'instant (on aurait besoin d'une bonne raison pour faire vivre ce groupe en tant qu'unité live). J'ai écrit cet album, que ce soit les paroles ou la musique, mais j'ai laissé un maximum de liberté afin que chacun puisse arranger son instrument du mieux qu'il le peut. C'est pourquoi on peut dire que Sami a participé à cet album. S'il ne se sentait pas à l'aise dans certaines lignes de chant que j'avais écrites, je les changeais. Mais je suis heureux de voir que la plupart du temps mes idées de base ont été acceptées telles quelles.
Peut-on simplement espérer un jour une tournée avec Orne en concert ? Quelques shows acoustiques par exemple... Il est probable que ce style de musique plaise à beaucoup de gens dans divers pays.
Bien sûr qu'on peut l'espérer. En fait j'aimerais beaucoup jouer live avec ce groupe. Il faut simplement qu'un promoteur se sente prêt à nous financer...
II) LORD VICAR
Ju : Passons à Lord Vicar, ton groupe de heavy doom. Un second album vient juste de sortir: Signs of Osiris. As-tu des attentes spécifiques le concernant ?
Kimi : Je pense qu'il s'agit de l'album le plus solide dans lequel je me suis investi. S'il y a une justice, beaucoup trouveront que c'est le cas et il aura une certaine reconnaissance. Cependant, comme nous sommes signés sur un petit mais super label allemand, The Church Within, il n'y a pas beaucoup de marketing autour. J'espère que le bouche-à-oreille fonctionnera.
Cette nouvelle sortie semble en effet plus variée et plus profonde que le premier CD, qu'avez-vous essayé d'apporter de neuf ici ?
Nous avons grandi en tant que musiciens depuis le premier album. Celui-ci est bien plus tranquille et naturel, il y a une bonne vibration que ce soit dans le jeu ou les transitions entre les chansons. Les idées de paroles sont aussi très profondes, on a bien joué et pris beaucoup de plaisir à le faire. Ici la valeur ajoutée serait qu'on a pu montrer le potentiel du groupe, en ce sens nous avons progressé par rapport au premier opus Fear No Pain.
Jusqu'à quel point Christus, le chanteur, s'est impliqué dans le processus d'écriture ? On le sent parfaitement à l'aise ici.
Il a co-écrit les paroles de la chanson "The Answer", composée par notre bassiste Jussi Myllykoski. Il a également changé quelques détails dans certaines paroles afin de les faire mieux correspondre à son style de chant et son phrasé. Je lui ai donné beaucoup de liberté, son travail s'est avéré précis et naturel. Pour lui, il faut que ça soit "vrai", si tu vois ce que je veux dire... Il doit s'imprégner de chaque chanson, s'impliquer émotionnellement. Nous avons beaucoup parlé entre les prises et discuté de où nous voulions aller au niveau des émotions, ainsi nous avons décidé ce qui devait être mis en emphase. Nous avons pensé à chaque détail, et je pense que le résultat final s'en ressent !
Bien sûr beaucoup feront la comparaison entre Lord Vicar et Black Sabbath en écoutant cet album. Est-ce que cela te dérangerait ou au contraire te rendrait fier ?
C'est un peu la base de tout. Tout le doom metal commence avec Black Sabbath. Mais sur cet album je mentionnerais aussi Led Zeppelin et The Who, même si cela parait moins évident. Il y a véritablement un feeling "rock classique" sur ce disque. Un véritable retour aux sources.
Est-ce que l'album a mis du temps à être réalisé ?
Ca dépend ce que t'entends par "du temps". Cet album est prévu depuis 2008 environ, les premières idées datent de cette époque. Le processus d'enregistrement ainsi que le mixage se sont déroulés sur moins d'un mois. Nous avons travaillé pendant environ 100 heures. Quelques "gros" groupes essayent simplement de trouver un bon son de batterie pendant ce laps de temps... (rires)
Pourquoi est-il intitulé Signs of Osiris ? Y a-t-il un lien particulier avec la mythologie égyptienne ?
Oui bien sûr, or il est encore plus lié à la magie rituelle occidentale, l'initiation aux rites de fertilité. Mais le thème général s'avère être la violence, que ce soit par la guerre, les religions, les relations humaines, aussi bien sur le plan concret que spirituel.
Une chanson semble très spéciale sur cet album, "Endless November"... A-t-elle une histoire particulière ou un contexte personnel précis pour toi ?
Oui. Elle parle du fait d'être mis à nu et de se montrer parfaitement honnête. Et ceci peut être extrêmement douloureux.
Elle aurait été parfaite sur un album de Orne en un sens, peut-être qu'on te l'a déjà dit...
En effet ça aurait pu. D'ailleurs d'autres chansons de Lord Vicar, arrangées différemment, auraient aussi leur place dans Orne.
Quels sont les projets live pour Lord Vicar ? Quelques dates en Europe ?
Cet automne nous avons partagé la scène avec Candlemass, Manilla Road, Trouble et Pentagram, pour ne citer que ceux-là. Notre prochaine tournée sera en avril avec Orchild et Sigiriya qui seront sur la route avec nous. Un vrai beau trio, une fraternité sous le signe de la folie... Je crois que nous envisageons de jouer en Angleterre, en France et en Allemagne pour l'instant. Avec pour point d'orgue le festival Roadburn aux Pays-Bas.
III) Autres projets et influences
Ju : Quelques petites questions à part pour conclure cette entrevue. Parlons d'abord de Black Sabbath, reformé depuis le 11/11/11... Attends-tu quelque chose de grand de cette réunion ou as-tu un peu peur que ça ne marche pas ?
Kimi : J'ai déjà acheté ma place pour le concert à Helsinki en mai prochain. Je ne me fais pas trop de soucis pour Tony Iommi et Geezer Butler, par contre je sais que Bill Ward a eu quelques problèmes de santé tandis que Ozzy..... Hmm, espérons juste qu'ils seront dans un grand soir et qu'ils prendront du plaisir sur scène. J'ai déjà vu cette formation en live lors de leur première réunion et j'ai vraiment beaucoup aimé !
Si tu devais nommer trois héros musicaux, qui choisirais-tu et pour quelles raisons ?
ca c'est toute une question ! J'en ai tellement... Je vais quand même essayer. Leonard Cohen pour sa merveilleuse poésie habillée en musique. Tony Iommi, car il a inventé les riffs. Neil Young, pour sa grande diversité de styles qu'il a toujours su maîtriser avec inspiration et fragilité.
Quel serait ton album préféré en 2011 pour l'instant ?
En dehors de Lord Vicar et Orne, je vais citer : The Inside Room de 40 Watt Sun, Return to Earth de Sigiriya, The Wretch de The Gates of Slumber, Capricorn de Orchid et 50 Words for Snow de Kate Bush.
Tout le monde doit te poser cette question mais... Est-ce qu'un jour nous aurons la chance de voir Reverend Bizarre se reformer pour un album ou une tournée spéciale ?
Non.
Est-ce que tu suis la carrière de Sami (ex-chanteur/bassiste de Reverend Bizarre) de près avec ses autres groupes Spiritus Mortis et Opium Warlords ? Parlez-vous souvent ensemble de différents projets ou pas tant que ça ?
Bien sûr que je reste en relation avec lui. On est en contact environ une fois par mois, on a pas mal de choses à travailler ensemble encore, que ce soit Orne ou des sorties vinyles de Reverend Bizarre via le label Svart Records. Au-delà du merchandising, on pourrait aussi ressusciter un vieux projet qu'on avait ensemble dans le temps, appelé Path Called Penis. Oh et bien sûr nous avons collaboré cette année en guest sur l'album de Wreck of the Hesperus (NDLR : Un groupe de funeral doom irlandais), j'ai moi-même enregistré sa partie vocale. Aujourd'hui le voir et parler de choses différentes est quelque chose de cool, c'est un mec gentil et drôle la plupart du temps.
As-tu d'autres groupes ou projets en vue en tête, peut-être pour 2012 ?
Je joue dans un groupe expérimental appelé E-Musikgruppe Lux Ohr. Dans un style proche de Kraftwerk, Popol Vuh, Tangerine Dream, Klaus Schulze, etc... Nous avons bientôt fini d'enregistrer notre premier album, espérons que nous lui trouverons un label. J'ai aussi écrit un album typé folk acoustique, j'espère l'enregistrer bientôt. Sans artifice.
Quel est ton lien avec la France ? Sa culture, sa musique...
Je n'ai été en France qu'une seule fois, quand nous avons joué avec Reverend Bizarre en 2006 au Batofar, un club sur une péniche accostée à la Seine près de la Bibliothèque François Mitterand je crois. La nuit venue, Jason de The Gates of Slumb et moi sommes allés nous promenés entre Bastille et Notre Dame du Louvre, un moment revigorant. Tout était silencieux pendant plusieurs heures, c'était magique... La France est un endroit avec de nombreuses références, inévitable culturellement. Je vais te faire une liste, parfois un peu second degré, de ce qui m'intéresse dans votre pays. J'aime Magma, Baudelaire, Rimbaud, Brel (même s'il me semble qu'il est belge à la base), Foucault (NDLR : Probablement pas Jean-Pierre... ^^), de Molay, la Révolution Française, le mystère qu'était Napoléon Bonaparte. Et bien sûr les 3 C : Champagne, Cognac, Chanson ! (rires)
Merci de nous avoir accordé cette entrevue Kimi, as-tu quelques derniers mots pour les fans français ?
Faites confiance à la vraie musique qui vient du coeur, vous en sortirez grandis. J'espère vous voir en avril ! Soyez au rendez-vous et nous vous ferons crier comme à la bonne époque. Vous pouvez vraiment me faire confiance !
Quelques liens utiles pour découvrir mes différents projets :
Myspace de Lord Vicar
Myspace de Orne
Facebook de Lord Vicar
Facebook de Orne
Myspace de E-Musikgruppe Lux Ohr
Forum de Reverend Bizarre