Les Young Lords nous avaient laissés avec leur magnifique EP Humble sorti en octobre dernier. Hé bien, ils reviennent en force le 18 mars avec un album complet qui fera date dans le paysage reggae français.
Car ces petits filous de Young Lords avaient fait exprès de nous faire miroiter pendant plusieurs mois avant de nous livrer cette galette. Intitulée Rise (à paraître chez Dibyz-Music et IWelcom), elle confirme toutes nos attentes et nos espérances ici à La Grosse Radio. A l'instar d'un Manudigital, qui avait lui aussi annoncé son prodigieux LP par plusieurs maxis, les Young Lords nous auront donc fait patienter, patienter et patienter encore et encore avant de présenter à la face du monde leur nouvelle production.
Bon, pour ceux qui auraient oublié de qui il s'agit ou qui ne les connaîtraient pas encore, faisons à nouveau les présentations.
La genèse de ce groupe est à chercher du côté du Var et plus précisément au festival du Mas des Escaravatiers. Le bassiste d'un backing band marseillais nommé The Handcart, qui a joué entre autres avec The Abyssinians, Linval Thompson, Mighty Diamonds (j'arrête là où ça ne vous suffit pas ?), y rencontre un certain Alex Keren, artiste soul et pop, qui était en tournée pour promouvoir son album Walkin'on sorti chez Underdog Records (également label de Flox). Des liens se créent et, par conséquent, The Handcart et Alex Keren décident de composer ensemble. Mais bon, il fallait trouver un nom pour le crew : Alex Keren & The Handcart, pourquoi pas ? Après tout on avait bien Toots & The Maytals, Bob Marley & The Wailers et, plus proches de nous, Rod Anton & The Ligerians. Cependant, les artistes ont préféré l'originalité et se sont référés à un gang portoricain actif dans les années 60 et 70 à Chicago et New York, les Young Lords.
On pourra dire qu'ils ont choisi de s'appeler ainsi du fait qu'ils se trouvent à Marseille "où la French [Connection] est née pour niquer la Terre entière". Si je cite "Chez le mac" d'IAM, ce n'est pas anodin, puisque Imhotep, compositeur du collectif de hip-hop, a remixé "Humble" dans une magnifique dub version.
Sinon, pour rester sur les références de gangsters, j'aimerais évoquer Reservoir Dogs de Tarantino pour deux raisons : la première, c'est la tenue vestimentaire des Young Lords, c'est-à-dire le costume-cravate, déjà portée par Steve Buscemi, Tim Roth, Harvey Keitel... (vous remarquerez d'ailleurs quelques ressemblances entre la scène du générique de début et le clip "Humble"). La seconde, c'est l'émission de radio que les protagonistes écoutent dans le film, K-Billy le super son des seventies. Certes, me direz-vous, nous sommes en 2016, mais l'album sonne comme un hommage justement au "super son des seventies". Rise ou la rencontre entre la Motown et Studio One, quand les claviers du premier label se superposent sur les cuivres du second.
Crédit photo : Philippe Conti
Car c'est un album au parfum vintage, old school que ce Rise, le genre de mélodies, mais aussi de choeurs (magnifiques et égayants) que l'on croyait disparus, mais que Young Lords a su remettre à l'ordre du jour.
Ca groove, c'est carré et très pointu chez les Young Lords.
Principalement enregistré à Marseille aux studios Jean Jaurès et Maraboo pour les instrus et à Londres et Paris pour les voix, c'est donc en quelque sorte un opus métissé, mais qui transpire plus la chaleur marseillaise que la grisaille londonienne.
On en a déjà un très gros aperçu avec le titre d'ouverture et éponyme de l'album qui nous fait penser d'emblée aux compositions de Scott Woodruff, architecte musical des Californiens de Stick Figure. Car au final, il n'y a qu'un pas (ou plutôt qu'une brasse) entre la Méditerranée et l'océan Pacifique lorqu'il s'agit de musique. Choeurs aériens, guitare lead planante, "Rise" est le genre de morceau idéal à écouter devant un coucher de soleil sur la plage, d'autant plus qu'il se situe aux frontières du dub et qu'il annonce ce que je considère comme le chef-d'oeuvre des Young Lords, à savoir "Humble". Alors que vous avez déjà pu entendre ce dernier sur l'EP du même nom sorti en octobre dernier, il est porté par une structure rythmique d'une grande maîtrise technique (la ligne de basse vous transporte littéralement). Les claviers et les cuivres sont de véritables passages vers la "méditation", chantée par Alex Keren. En effet, "Humble" se veut spirituel, quasi mystique et élève l'esprit. Au fait, Marseille n'a t-elle pas été fondée durant l'Antiquité par des Grecs, alors maîtres de la philosophie ? Interprétez cela comme vous voudrez, en tout cas mon opinion est déjà faite.
Si l'on peut donc considérer la musique comme une invitation à un détachement de l'âme pour vous mener vers des contrées moins matérielles et terrestres, Dennis Alcapone l'envisage un peu de la même manière dans l'introduction de "Rockin' it" : "From the n°1 station, this is a story about love [...] music is love and love is music". Si l'on retrouve le chanteur jamaïcain en feat. sur cette tune, ce n'est pas parce qu'il a choisi, lui aussi, comme pseudonyme un patronyme de gangster mais pour la bonne et simple raison que les Handcart l'ont backé de nombreuses fois. Et ici, la combination avec Alex Keren est une pure réussite, un savant dosage entre une voix soul et un flow reggae. On prend toujours autant de plaisir avec les "Yeaaahhh", "Whaaaa", et autres "Hohan" que les High Tone ont samplé de si nombreuses fois. Quant aux cuivres, ils rappellent le bon vieux temps de l'early reggae, la grande époque de Studio One, avant que le reggae devienne rockers ou stepper et que les trombones, trompettes ne se montrent plus discrets.
J'ai évoqué l'early reggae car les Young Lords, de par leur dress code (outre l'esthétique tarantinienne) sont les descendants des Specials. Quand on sait que le groupe originaire de Coventry avait contribué au revival de ce genre et aussi du ska (via notamment la participation de Rico Rodriguez), la filiation n'en est que plus évidente. A ce propos, un collectif de Montbéliard, Two Tone Club (excellent groupe de scène), avait précédé les Marseillais dans cette réappropriation vestimentaire et cuivrée.
Ici sur Rise, "Tired", "Beauties of life", le ska "Someone else" et surtout "Under the sun" (aussi sur l'EP Humble) se situent dans cette démarche.
A contrario, "Call my name" est une composition au style rockers (les quatre temps joués sur la grosse caisse) introduite par un dub à la basse puissante. Puis le clavier va rythmer ce morceau énergique ; et lorsqu'il est couplé au trombone, ça donne des plages terriblement efficaces.
Le clavier marque également fortement de son empreinte "Youth", titre le plus soul de cet album et qui incarne donc la symbiose parfaite entre le son roots des Handcart et le grain plus "américain" d'Alex Keren. Timbre soul à remarquer aussi sur la dernière track, "Precious", magnifique ode acoustique, quoiqu'ici la voix d'Alex Keren s'oriente légèrement vers des accents pop.
On finira par "Eyes on you" qu'on croirait tout droit extrait de Rastaman Vibration de Bob Marley, surtout en ce qui concerne la guitare lead et le skank de clavier et parfois même de trombone. Morceau one drop, il se conclut par une partie dub à la manière de "Humble".
On connaissait les Ligerians qui tendaient déjà à l'excellence avec leurs vibes à la fois roots et groovy. Les Young Lords rejoignent donc les Tourangeaux à travers leurs compositions pointues aux arrangements précis et sans fioritures. Car il n'y a vraiment rien à jeter dans cet album.
On se demande d'ailleurs pourquoi Alex Keren n'a pas croisé plus tôt la route des Handcart ; en effet, on en redemande encore et encore.
TRACKLIST
01 - Rise
02 - Tired
03 – Humble
04 - Rockin' It Ft Dennis Alcapone
05 - Youth
06 - Call My Name
07 - Under The Sun
08 - Someone Else
09 - Beauties Of Life
10 - Eyes On You
11 - Grab It
12 - Precious