Une agréable surprise que ce premier album de Nothnegal (et sa pochette superbe) qui sort aujourd'hui 20 janvier chez Season of Mist, 3 ans après un EP prometteur mais plus 'téléphoné', Antidote of Realism, qui avait déjà fait pas mal parler de lui dans l'underground international.
Et comme les bonnes surprises déboulent toujours de là où on ne les attendait pas, sachez que cette formation née en 2006 nous vient tout droit des Maldives, petite île de l'Océan Indien partie asiatique, que je n'aurai personnellement jamais su situer sur une carte si je ne m'étais pas intéressé de plus près à ce groupe et à cette galette (on est quelques incultes comme ça à LGRM et on le vit très bien!!!)...
L'avantage des insulaires c'est d'être -sinon moins perméables- déjà moins dépendants des influences extérieures, l'exemple des géniaux Tyr en provenance des Îles Féroé en étant une des preuves les plus flagrantes : l'isolement et l'incognito que leur situation géographique leur procure permet à ces reclus (bon, j'exagère un tantinet, on est pas non plus chez Robinson...) de peaufiner tranquillement leur style et leur spécificité en s'imprégnant du meilleur des genres en provenance d'ailleurs, mais sans le souci de s'inscrire dans telle ou telle scène nationale ou locale.
Chez les Nothnegal c'est exactement ça, difficile d'ailleurs d'établir des comparaisons avec d'autres groupes tant ils ont déjà fait de leur singularité une identité à part entière.
En effet, si la base la plus identifiable d'entrée de jeu est le melodeath école finlandaise -type Insomnium ou Norther-, on retrouve davantage encore aujourd'hui (belle évolution depuis leurs débuts...) une volonté de sophistication et un raffinement plus proches d'un Amorphis période Tuonela (avec leur ancien chanteur Pasi Koskinen), une musique moins convenue et ne visant pas exclusivement l'efficacité, sonnant à la fois plus recherchée et paradoxalement tendant pourtant vers plus de pureté, plus à même de parler vraiment aux sens et/ou directement à l'âme de ses auditeurs.
Cette affiliation à Amorphis se retrouve par ailleurs dans l'extravagante vélocité de certaines lignes de claviers (plutôt rares en 'lead' il faut reconnaître, ce rôle étant davantage laissé aux guitares), s'aventurant vers des gammes plutôt 'exotiques' comme les Finlandais en ont également le secret. Et pour bien faire, Nothnegal a accueilli dans ses rangs depuis quelques temps déjà le claviériste Finnois Marco Sneck (Kalmah, Poisonblack) qui, nous y reviendrons, fait ici de l'excellent boulot.
Mais comme ces Messieurs ne veulent rien faire comme les autres et aiment à brouiller les pistes, la dimension 'death' est quand même très marquée (et pas que dans les vocaux, même si ceux-ci en sont le principal vecteur...), teintée de touches "thrashisantes" 'nouvelle école' (notamment dans les ponctuations en 'palm mute' des guitares et les emballements de grosse caisse). L'ensemble tabasse d'ailleurs pas mal (sans jamais non plus virer en 'blast beat'...), le groupe ayant eu le bon goût (ou senti l'opportunité qui se présentait?!) de faire appel à un autre transfuge réputé, le "mercenaire" Kevin Talley (ex-Dying Fetus, ex-Misery Index, ex-Chimaira, un temps "session" en 'live' chez Hate Eternal ou Suffocation et également batteur de Dååth et depuis peu de Six Feet Under). Ce surcroît de brutalité -et de froideur également...- confère à la musique de Nothnegal un "mordant" plus 'âpre' et 'rugueux' que les formations finnoises précitées.
Pour en venir au chant, lui aussi bien 'râpeux' (et où tout penchant 'black' a désormais disparu), il constitue la plus grosse difficulté d'approche (et d'accroche) de ce disque. Il s'apparente en effet de prime abord davantage à des "aboiements" -plus qu'à des vocalises 'gutturales' proprement dites en tout cas- auxquels on aurait ajouté une distorsion, ou bien typiquement "près-du-micro", quitte à saturer un peu. L'auditeur aussi d'ailleurs, de sorte que ce dernier accueille avec soulagement et applaudit comme il se doit -certes un peu tardivement peut-être- le chant clair, solennel et recueilli, des deux derniers titres "Sins of our Creations" et "Singularity" (qui aurait pu être l'autre nom de ce groupe...) -et leurs montées en voix de tête à la ... Muse -?!- en moins "forcées"- , incartade en dehors des sentiers battus qui demandera encore un peu de travail pour lui donner davantage de caractère mais clairement une voie à exploiter qui les amènera certainement à intéresser également un auditoire davantage porté vers le métal progressif.
Plus globalement, l'orientation 'électronique' tout autant discrète et subtile qu'omniprésente qu'ont adopté nos Maldiviens apporte aux morceaux une touche bien plus 'industrielle' que ceux de tous leurs congénères. A cet effet, les Nothnegal ont su intelligemment allier ces boucles "synthétiques" et modernes qui reviennent régulièrement à des nappes et sonorités de claviers plus classiques, très travaillées et conférant à l'album une dimension atmosphérique et 'dark' tout du long (les petites notes mélancoliques très 'Depeche Mode' sur "Claymore" et "Janus", ou celles plus 'fantasmagoriques' de l'introducteur "Salvation" sont à cet égard tout bonnement savoureuses...). La voix se détache alors comme celle d'un androïde évoluant au milieu d'un univers futuriste où de rares passages-témoins surprennent dès lors de par leur impression que toute présence humaine en a été éradiquée par la machine (mais que fait Sarah Connor??!!!!...). Toutefois, la 'conscience' propre à l'Homme ne s'éloigne jamais bien longtemps, rappelée à grands renforts de solos de guitare très bien sentis et de variations de 'patterns' de batterie qui font plaisir à entendre, de même que la gravité qui semble habiter les vocaux ne saurait en définitive être le fait d'une entité technologique...
De fait, on pourra apprécier cet album aussi bien en toute intimité, dans le cadre d'une écoute au casque ou sur la chaîne de son salon, qu'à très fort volume, avec du matériel de sonorisation performant et toutes basses dehors (même si la production sur ce Decadence demeure perfectible à cet égard, preuve que là n'est pas le propos peut-être...), pour y trouver une dimension et une puissance de feu pas si éloignées que ça du 'tanz-metal' d'un Rammstein, notamment de par le côté haché des rythmiques (même si pas "martial" pour autant) et la diction 'tranchée' et déclamatrice des vocaux (en outre, certains effets à la guitare tels les petites notes criées dans "Claymore" ou encore certains arrangements au clavier n'auraient pas dépareillé sur Herzeleid ou Sehnsucht)... Alors, si l'on n'ira pas jusqu'à dire que les Maldiviens ont inventé le cyber-indus-melodeath, parsemé de touches de 'gothique' par intermittence (le pesant, 'doomy' et inquiétant "R.A.D.A.R.", avec son parler "vampirique" en intro...), gageons qu'ils pourraient être amenés à toucher un plus large public que la frange la plus 'métallique' de son auditoire : avis à tous les 'goths', 'batcavers', 'cyberpunks' et autres 'raveurs' curieux!
Vous l'aurez compris, une bien belle découverte qui ne souffre que de l'aspect répétitif engendré notamment par un "chant" (je parle là de la voix éraillée...) manquant cruellement de recherche à la longue, qui gagnerait à gagner en authenticité et en personnalité, tant par son interprétation que par son traitement. Certains riffs de guitare sont également bien trop redondants.
Toutefois, tous les ingrédients d'un premier album déjà tout à fait abouti (même si pas encore très bien 'structuré') sont là, avec en sus le petit surcroît d'originalité qui saura probablement faire la différence, pour aboutir à un 'métal hybride' d'ores et déjà tout à fait honorable, sur un terrain que les Nothnegal sont les seuls à occuper. Reste maintenant à transformer l'essai, Messieurs...
LeBoucherSlave
7,5/10