Bon, pour les titres des morceaux, ça va être chaud...
En ce mois d'avril, le groupe néo-psychédélique chinois Chui Wan viendra donner cinq concerts en France, à l'occasion de leur tournée européenne pré-estivale”¯: une bonne occasion pour nous de revenir sur leur second album, éponyme, sorti au printemps de l'an 2015”¯; un flashback d'un an seulement donc, mais ô combien nécessaire tant Yan Yulong, Wu Qiong, Liu Xinyu et Li Zichao méritent de faire salle comble lorsqu'ils passeront par Strasbourg, Besançon, Angers, Caen et Paris. Après s'être bâti une solide réputation en ses propres terres (le «”¯groupe le plus bosseur de Pékin”¯», à c'qu'on dit), et avoir séduit leurs premiers occidentaux à l'occasion du Levitation Psych Fest d'Austin, Chui Wan s'attaque donc au Vieux Continent”¯: le Portugal, les Pays-Bas, l'Allemagne et bien sûr, notre bon vieil hexagone.
Les quatre musiciens, en provenance de Pékin, évoluent dans un univers bien particulier, tout personnel”¯: ils se revendiquent du Dao-Rock, un genre qui serait inspiré des pensées de Tchouang-Tseu, philosophe taoïste s'étant assis pour réfléchir un peu dans les 400's avant Jésus-Christ (et à qui l'on doit notamment le paradoxe du papillon”¯: «”¯j'ai rêvé que j'étais un papillon, et à mon réveil, je ne savais plus si j'avais rêvé que j'étais un papillon ou si j'étais un papillon qui rêvait qu'il était Tchouang-Tseu”¯», pour les philosophes du dimanche). Sous ce manifeste quelque peu obscur et artificiel se cache une musique planante, touchante, généreusement enrobée de mysticisme – rien à voir avec la compil' «”¯jardin zen”¯» de chez Nature et Découvertes.
Leur premier effort, White Night, était déjà en 2012 une franche réussite, bien dans son temps (certains titres auraient pu être assimilés à la mouvance Tame Impala, Temples & Co, comme "å¦ä¸€ç§çˆ±" par exemple – eh ouais, je l'avais dit, c'est chaud) tout en prenant grand soin d'être toujours un peu plus barré que les autres. Chui Wan s'insrit dans le même registre, si ce n'est que le son y a sensiblement évolu锯; le registre s'est légèrement déplacé, il est justement moins pop, s'il est seulement possible de parler de pop dans un tel cas de figure, et les ambiances sont sans doute un peu plus posées. Clairement, on constate, et ce même si l'on était friand des quelques atmosphères paniquantes qui faisaient le sel de White Night et qui se font plus rares ici, que ce que le groupe a perdu en accessibilité, il l'a gagné en maturité, et en personnalité.
Il s'agit en fait de l'un de ces albums dont il est difficile de parler des morceaux au cas par cas, tant le tout qu'ils forment est cohérent (ce qui d'ailleurs nous arrange pas mal étant donné qu'on ne maîtrise que moyennement le mandarin écrit)”¯; on aime à se l'envoyer d'une seule traite sans coupure pub, et tant pis pour la pause pipi. Les pistes s'enchainent avec évidence, une vraie unité se dégage de l'ensemble, et les différents titres échangent, jouent entre eux, s'entre-réfèrent sans toutefois qu'aucun râbachage sénile ne vienne gâcher la grand-messe.
Toute l'attention semble portée vers l'instrumental”¯; chaque ambiance est méticuleusement composée comme un joli bouquet printannier. Sur une base «”¯puriste”¯» basse-batterie, solide et minimale (bien que la basse s'autorise de temps à autre quelque excentricité mélodique du meilleur effet), s'empile avec goût toute une armada de sons électroniques inidentifiables, quelques guitares bourrées d'effet, qui laissent étonamment une belle place à l'humanité des musiciens”¯: on entend, on sent les êtres de chair et de moelle les créer, les placer, sans les laisser paraître artificiels, des sons électronico-organiques, en fin de compte. Et puis, Yan Yulong manie également le violon électrique”¯: chacune de ses interventions donne lieu à une orgie d'émotions tant les mélodies qu'il frotte sont touchantes et justes. Au milieu de cette débauche d'arrangements, la voix passe logiquement au second plan, souvent simples vocalises sans texte légèrement nasalisées, plutôt en arrière dans le mix, un instrument comme un autre... «”¯Le meilleur usage que l'on peut faire de la parole est de se taire”¯» - ça n'est pas moi qui le dis, c'est encore Tchouang-Tseu. La rareté du chant permettra d'ailleurs, par contraste, de le mettre en valeur lorsqu'un format plus proche de celui de la chanson est utilisé. C'est ce qui programme la réussite d'un titre comme "沉默" (bon, celui-là comme tous ceux de ce dernier album, est sous-titré en anglais”¯: "Silence"), où l'on découvrirait soudain le timbre d'une douceur angélique de Yan, parfaitement hypnotisant.
Il s'agit probablement du morceau qui se détache le plus du reste de l'album... Un véritable sommet aux qualités mélodiques remarquables alliées à l'enthousiasme suscité par la langue de Confucius dont la réception est si exotique à nos oreilles franchouillardes, même si en général, c'est la piste précédente, "The Sound Of Wilderness", portée concédons-le par un clip très réussi, qui a plus volontiers séduit les différents observateurs – enfin c'est ce que semble indiquer le dossier de presse international du groupe, ceci étant difficilement vérifiable puisqu'on ne trouvera pas le moindre article francophone au sujet de cet album”¯; d'où la nécessité d'autant plus urgente de laver l'affront de l'ignorance, par le présent papier.
Gageons qu'après ces cinq dates françaises, la presse se fera plus bavarde à propos de nos quatre amis pékinois”¯; ils méritent amplement de délier les langues.
C'est un fait, le rock asiatique ne jouit pas aujourd'hui d'une exposition idéale, dans notre Occident arrogant où les Anglo-Saxons monopolisent toute l'attention des médias, et par conséquent du grand public. La hype, au début du millénaire, de groupes japonais émo/gothiques/glam/clownesques tous plus vilains les uns que les autres a sans doute contribué à décrédibiliser injustement toute tentative musicale émanant de ce coin-là du globe.
Il est pourtant évident, à l'écoute d'un album tel que ce Chui Wan, qu'un tel traitement est une absurdité regrettable sur fond de clichés clivants, mais aussi un dommage considérable, tant les scènes d'Orient regorgent de talents en tout genre, aptes à souffler une gigantesque et salvatrice bouffée d'air frais dans le paysage musical européen, dont il serait stupide de se priver. Il semble tout de même qu'une prise de conscience s'amorce ces temps-ci, sous l'impulsion de quelques professionnels consciencieux – on pourrait citer pour exemple-prenez-en-de-la-graine le projet d'échanges de groupes organisé entre les Eurockéennes et le Summer Sonic Festival de Tokyo, qui avait permis l'été dernier à The Bawdies et à Bo Ningen, deux groupes japonais particulièrement talentueux et remuants, de se faire découvrir du public de Belfort... Un projet qui aurait pu être la plus parfaite des réussites si seulement les organisateurs n'avaient pas envoyé The Do en échange – Dieu seul sait si le peuple nippon nous le pardonnera un jour.
Dates de la tournée :
15/04 : Lisbon Psych Festival – Lisbonne (PT)
18/04 : Cinetol – Amsterdam (NL)
20/04 : Le 611 - Toul (FR)
21/04 : Mudd Club – Strasbourg (FR)
22/04 : Import-Export – Munich (DE)
23/04 : Les Passagers du Zinc – Besançon (FR)
28/04 : Joker's Pub – Angers (FR)
29/04 : Festival Sauvages à La Demeurée – Caen (FR)
30/04 : La Mécanique Ondulatoire – Paris (FR)
Crédits photo : Jussi Rastas