Bravant l’ère glaciaire qui sévit actuellement sur l’Europe, voici que les huit guerriers (et guerrières) d’Eluveitie redescendent des montagnes suisses pour nous offrir leur sixième album, Helvetios, sorit le 10 février chez Nuclear Blast. Le précédent opus, Everything Remains (As it never was), paru en 2010, avait, pour beaucoup, marqué un retour en force du groupe après un Slania injustement boudé par la critique. Avec cet album-fleuve (pas moins de dix-sept morceaux !), Chrigel Glanzmann et sa troupe frappent un grand coup (de hache) et confirme sa position de leader du mouvement Pagan Metal. Enfilez vos peaux de bêtes, débouchez une bonne bouteille d’hydromel, et en avant pour ce nouveau chapitre de contes gaulois…
Dans un long « Prologue », une voix chaude de conteur s’élève, et la nostalgie se fait immédiatement sentir à l’évocation des chants, des guerres, de la vie et de la mort d’un peuple tout entier. Mais bien vite, ce n’est pas la nostalgie, mais la fierté qui prend le pas alors que s’élèvent les premiers trémolos de cornemuse, introduisant « Helvetios », véritable hymne au peuple helvète, gonflé d’énergie, de mélodies celtiques dont seul Eluveitie a le secret, où de grandioses ponts instrumentaux succèdent à un refrain taillé dans le roc. En moins de six minutes, le décor est planté, l’auditeur transporté… Il n’y a plus qu’à dérouler, faire chanter les pierres, le vent et les armes comme les Suisses ont toujours su le faire.
On sait qu’Eluveitie aime à reprendre les airs celtiques traditionnels et les préparer à la sauce metal. On les avait déjà vu à l’œuvre avec la brillante reprise du « Tri Martolod » breton (que certains connaîtront peut-être par le morceau rap « La Tribu de Dana » sous le nom « Inis Mona » sur l’album Slania. Et bien, ici, nos amis remettent ça avec un « Luxtos » qui ne reprend autre que… « La Jument de Michao », air populaire breton également connu sous le nom « Le loup, le renard et la belette » ! Et n’allez point imaginer que la chose puisse être kitsch ou grotesque, c’est au contraire une véritable réinterprétation de cette mélodie, et c’est fait avec le plus grand sérieux et un véritable talent.
Le très nostalgique « Home », avec sa lente introduction au violon, et l’enthousiasmant « Santonian Shores » plus harcore, poursuivent toujours aussi bien un opus jusqu’alors irréprochable. Certes, le chant très hardcore de Chrigel en dérangera plus d’un, mais cela fait partie intégrante de la musique du groupe depuis Slania.
Un interlude de près de quatre minutes vient soudain interrompre la course folle des guitares, le galop des chevaux et le tourbillon des violons. « Scorched Earth », souffle du vent et roulis de l’eau en fond sonore, consiste en une mélopée déchirante, scandée par une voix masculine d’une clarté limpide. À mi-chemin entre le chant corse et l’incantation druidique, ce petit bijou de tranquillité prouve encore une fois le talent d’Eluveitie pour ce qui est de produire des morceaux calmes aussi bien que violents. Un second morceau acoustique, instrumental cette fois, intitulé « Hope », arrivera plus tard dans l’album.
Les très nombreux morceaux de cet opus ne nous permettent pas de s’attarder sur chacun d’eux, mais Dieu sait que tous en vaudraient la peine ! Il faut néanmoins cité en priorité l’excelllent « Neverland », issu de la même veine que le « Thousandfold » de l’opus précédent : une intro à la flûte absolument époustouflante d’efficacité, des couplets très « corisants » et un refrain, un des ces très rares refrains où Chrigel chante une véritable mélodie, le genre de mélodie que l’auditeur intègre très vite et se plaira à chanter à son tour. À écouter absolument encore, l’hallucinant « Havoc ». Le combo guitare et batterie, très lourd et gras, rappelle en effet inévitablement un morceau de Motörhead… auquel on aurait ajouté une bonne dose de gauloiserie ! Toujours sur ce même morceau, il faudra saluer le morceau de virtuosité que nous livre Meri Tadic au violon. De manière général, la prestation de la violoniste sur tout l’album est simplement ébouriffante, et l’on sent un très net progrès technique par rapport aux précédentes livrées du groupe.
Remarquable, encore, le très violent « The Siege », dont le titre reflète bien l’ambiance guerrière du morceau. Et surtout, l’originalité de cette piste réside dans le chant alterné entre Chrigel et Anna Murphy, qui, pour l’occasion, fait démonstration de ses capacités à s’arracher les cordes vocales avec une force inouïe… Deux voix, deux cris pour une débauche scandaleuse d’énergie, qui promet de véritables boucheries dans les fosses des prochains concerts du groupe !
On pourrait encore louer la magnifique nostalgie d’un « Alesia » évoquant la défaite face à l’envahisseur romain, la plainte déchirante de la cornemuse sur « A Rose For Epona », bien d’autres choses encore, et surtout l’« Epilogue » qui vient conclure cet album comme il a commencé, avec cette voix de conteur, d’ancien sage, nous appelant au souvenir d’un peuple, de son histoire, et surtout de ses chants…
Eluveitie, par son talent, la complexité de sa musique, la cohérence de son projet musical et en même temps la diversité de ses propositions, n’a probablement pas encore fini de nous surprendre et de nous séduire. Mais la tribu suisse, avec cet album quasi sans faute, se maintient indubitablement au sommet de la scène Folk/Pagan. Équilibré, proposant un florilège d’émotions, jamais redondant, cet album est sans doute le meilleur que le groupe aie jamais produit. Que l’on mette en perce des tonneaux de cervoise pour les dix ans d’Eluveitie, créé en 2002, car pour leurs dix ans d’existence, ce sont bel et bien les Helvètes qui nous offrent un cadeau !