Tandis que les fans les plus anxieux ou bien simplement impatients à l'heure actuelle se rongent les sangs dans l'attente incessante de l'album posthume de Control Denied, When Man and Machine Collide - soit le Made in Heaven du défunt Chuck Schuldiner - , d'aucuns auront à cœur de se ruer dans l'intervalle sur le dernier album du groupe où officie son excellent chanteur Tim Aymar - j'ai nommé Pharaoh - qui donne, lui, dans un métal apparemment plus traditionnel que les géniteurs de The Fragile Art of Existence... En surface seulement. Se pourrait-il au final que les fans de ces derniers (ainsi qu'accessoirement les autres auditeurs, adeptes ou non) trouvent leur compte sur ce Bury the Light (sorti chez Cruz Del Sur Music en mars dernier), 4ème album d'une formation américaine qui aura soufflé le chaud et le froid tout au long de sa carrière?
Avant de tâcher de répondre à cette question existentielle, attardons-nous un instant sur l'élément-clé - sinon le plus important de ce Pharaon métallique, du moins le plus connu dans nos contrées - qu'est le phénoménal vocaliste Tim Aymar, dont nous ne saurions rester sans évoquer l'inimitable organe : sorte de croisement, dans une version plus grave, râpeuse et "enrouée", entre la gouaille du Bruce Dickinson des 80's et le phrasé d'un Christian "Zouille" Augustin des regrettés Frenchies de Sortilège, dans une approche également plus agressive et exacerbée ... "à l'américaine", quoi, dans la droite lignée de ses confrères de chez Jag Panzer, Twisted Tower Dire ou jadis chez Cirith Ungol, voire du Iced Earth d'un peu toutes les époques.
Ce qui nous accroche directement à la première écoute de ce Bury the Light, c'est d'ailleurs cette formule musicale choisie qui nous rappelle les formations précitées mais dans une mouture plus 'hybride' : une sorte de mix entre un heavy US, "thrashisant" et mélodique à la fois - parfois proche du vieux Annihilator (basse "expressive" très présente, lignes de guitares enchevêtrées de haute voltige qui pourtant se distillent avec une fluidité impeccable, passages arpégés de toute beauté dignes du grand Jeff Waters!) -, la démesure d'un Mercyful Fate/King Diamond (ces 'leads' endiablées toujours, et une certaine emphase tout autant musicale que vocale - avec nombre de montées dans des 'falsettos' moins "ultrasoniques" toutefois que celles du 'King' danois!...), et enfin une teinte "power metal européen" 'speed' et enjouée qui rappelle le ton des premiers Helloween ou les cavalcades d'un Maiden période Piece of Mind/Powerslave sous amphétamines et avec une bonne dose supplémentaire de testostérone!!
Malheureusement, si les ingrédients sont vous l'aurez compris des plus alléchants, l'album pêche du fait qu'il applique toujours un peu les mêmes recettes et qu'on aurait aimé çà et là un peu plus de piment ou de levure afin d'épicer l'ensemble ou davantage le sublimer. Il y a aussi le fait que la sauce ne prend pas toujours...
D'entrée, on aurait pourtant envie de saluer la fougue complètement désinhibée du groupe et l'énergie électrique sans retenue qui en résulte dès "Leave Me Here to Dream" ! Il faudrait presque remonter jusqu'au Helloween de Walls of Jericho (et dans une moindre mesure celui du premier Keeper…) pour retrouver un tel sentiment d'urgence, une telle décharge nerveuse. C'est sûr, cet album du groupe d'Aymar ... sur les chapeaux de roue ! Pour un résultat au final bien plus schizophrénique encore et surtout plus bancal que nos Citrouilles à leurs débuts, et c'est un peu là que le bât blesse…
Car si cette même volubilité implacable pouvait également se retrouver en partie dans Control Denied, elle s'expliquait davantage alors par le fatalisme tourmenté et même le sentiment d'inexorabilité que l'on retrouvait sur le fond et en filigrane dans le propos du disque, et musicalement elle était contrebalancée par une rigueur davantage en retenue tout de même et un jeu plus "tendu" de l'équipe réunie autour de Schuldiner ; or, pour parler franchement, dans le cas de ce Pharaoh, rien ne saurait réellement expliquer ce grand écart souvent périlleux entre un heavy bien costaud et viril de très bonne facture à la bon vieux Iced Earth - et même parfois jusqu’au Judas Priest du doublé Ram it down/Painkiller -, et des ambiances (prétendument épiques) de kermesse surexcitée, mêlées qui plus est encore (puisqu'il fallait bien au moins une troisième couche!) à toute la technicité poussée à l'extrême qui est déployée ici...
C'est qu'on en aurait envie également, de lever le poing face à ce Tim impérial lorsqu'il nous y exhorte, et dont on dirait presque qu'il aurait même envie de nous pousser au combat (le dernier break de "The Year of the Blizzard" notamment, et plus globalement lorsqu'il use d'une voix plus "directive" et à peine plus grave), bien plus convaincant à ce titre que son homologue Owens dans Charred Walls of the Damned puisqu'il faut bien en parler (quand bien même l’histoire du groupe d'Aymar … bien avant ces derniers puisqu’avant même l’intégration du chanteur!). En définitive l'auditeur adhèrera pourtant peut-être davantage à la démarche de « l’autre formation d'ex-membres de Control Denied », plus canalisée certes mais également plus abordable, cohérente et fédératrice de par le fait!
Car cela nous amène pour finir à la notion qui imprègne irrémédiablement ce disque : celle de la surenchère. « Trop, c'est trop! »... Voilà qui fait que les passages les plus fouillés finissent par perdre en lisibilité à force de surcharge bavarde, et à en devenir aussi peu touchants qu'un tube de Dragonforce - ou quand la virtuosité et la vélocité deviennent une fin et non plus seulement un moyen... Cette vilaine habitude en outre de vouloir aujourd'hui harmoniser à outrance n'importe quelle ligne de guitare pour la rendre plus 'flashy', de faire se précipiter et se bousculer les idées au lieu de prendre le temps de les développer et les aérer davantage, cet usage abusif des 'chœurs' (un élément qui resterait pourtant encore à travailler à mon sens) et d'un chant suraigu jusqu'à en gâcher l'écoute du refrain d'un "Castles in the Sky" par exemple (sur ce titre, Aymar en devient insupportable à vouloir repousser ses propres limites jusqu'aux frontières de la cassure - et ne parlons pas de la basse qui ferait mieux dans ces moments-là de rester "rythmique"!...) ; en un mot cet interminable verbiage qui vient se substituer à l'éloquence concise du Sage (et c'est le spécialiste des chros à rallonge qui vous le dit, hein!^^), notamment sur ce "Cry" dont le nom est bien trouvé à l'intention de l’auditeur désemparé et dont surtout les paroles des couplets font trois kilomètres, tout comme ce "Graveyard of Empires" (qu'on aurait sûrement préféré écrit, exécuté et transcendé par un Crimson Glory ou un Blind Guardian...) : bref, les fautes de goût manifestes finissent par abonder et transformer cette bonne surprise initiale en disque des plus indigestes et qui reste en travers de la gorge tant on n'attendait pas ça d'un album et d'un groupe qui partaient avec de tels acquis (remember ce The Longest Night de 2006 qui allait, lui, droit au but)...
Le comble du comble c'est que le niveau est bel et bien là (nous le savons bien et avec un guitariste comme Matt Johnsen aux commandes, le contraire eût été dommage!), l'on peut même avancer sans trop se mouiller que les musiciens et/ou les fans de prog' (pléonasme?...) trouveront ici des "plans" à se mettre sous la dent vu la prestation hyper en place de chaque musicien (amateurs de métal technique à la Cynic/Atheist, êtes-vous là ??), ceux-ci se permettant même jusqu'à des micro-coupures à la précision métronomique mais des plus artificielles en cours de morceaux. Seulement, une fois passé cet émerveillement devant la démonstration (les deux titres introducteurs, en gros), le disque finit par s'essouffler à mi-parcours (alors même que le propos ne cesse de se complexifier…) car on attend alors des compos quand même plus mémorables (même si un "In Your Hands" - avec ses faux airs cette fois au Maiden de la période Somewhere in Time, notamment à "The Loneliness of the Long Distance Runner" ou à "Déjà Vu" - est plutôt plaisant à défaut d’être inoubliable).
Reste qu'il manque davantage de titres vraiment marquants de la trempe de l'énormissime "The Year of the Blizzard" (longue pièce 'à tiroirs', un vrai concept à elle seule, alternant entre sensibilité acoustique et pures envolées électriques, et dont les aérations et l'approche 'classic rock' sur quelques riffs rappelleraient un bon vieux UFO, tandis que d'autres passages nous évoqueraient la folle exubérance débridée d'un The Who et même certains la grâce et la classe du Rush période 2112!), avec cette fois des vocaux plus 'Halfordiens' que jamais par endroits (même si Tim Aymar montre pour le reste et pour notre plus grand plaisir une facette bien moins « en force » de sa voix...), bref un morceau qui se détache vraiment du lot ; ou encore le plus progressif "The Spider's Thread" qui parvient lui aussi à tenir en haleine (et en dépit de sa fin incongrue en 'fade-out', qui fait qu'on a envie d'avancer derechef à la dernière piste où se trouve étrangement sa -courte- conclusion...).
On regrettera également une batterie un peu synthétique, déjà faiblarde et pourtant de surcroît sous-mixée, peut-être afin de laisser toute la place aux autres instruments, faisant perdre un supra d'efficacité aux morceaux pour ne leur laisser que leur complexité. Le reste de la prod', très 'roots' (signé Morrisound Studio quand même...), convient en revanche parfaitement à la formule d'un heavy puissant à l'ancienne, preuve que l'attitude et l'authenticité primeront toujours sur la vaine recherche de modernisation ou du "gros son" lorsqu'il s'agit de bon vieux métal qui cogne (les Frenchies d'Elvenstorm l'ont d'ailleurs récemment compris!...).
Le constat s'avère au final sévère, mais il se trouve que pour un disque que l’on pourrait sentir proche du métal traditionnel (Mike Wead du groupe de King Diamond vient même en 'guest' taper le solo sur "Castles in the Sky"), Pharaoh se retrouve ici à avoir le cul entre deux chaises - enfonçant bien trop loin à mon sens le clou du plus posé Be Gone de 2008 : trop chargé d'informations et difficile d'accès jusqu'à en devenir hermétique pour bon nombre de fans de ‘power metal' (qui vont avoir ici du mal à dénicher un vrai "hymne" au milieu de ce méli-mélo de riffs et de leads - dans ce domaine le correct "Burn With Me" reste un peu léger... il sera alors plus sage de se rabattre sur les plus vieux albums de nos ‘Ramsès’) ou même juste de "simple" heavy métal (le Black Sabbath de Dio ou les premiers Maiden sonneraient comme des groupes de punk minimaliste à côté, c'est vous dire!), ce Bury the Light comme nous l’avons dit ne fera pas forcément non plus l'unanimité chez les amateurs de musique recherchée et/ou progressive de par son côté trop criard, "tape-à-l'oeil" et abusant de fréquences aiguës et d’artifices jusqu'à l'écœurement.
Un peu plus de mesure, Messieurs, et vous nous sortirez votre Somewhere in Time à vous d'ici une paire d'année, voire le Seventh Son of a Seventh Son à du heavy ricain que l'on attend encore!!... Et le vrai succès sera alors au rendez-vous...
LeBoucherSlave
6,5/10
Avec uniquement des morceaux de cette trempe, j'aurais pu mettre 10/10 à cet album, c'est vous dire...